Les progestatifs, un nouveau scandale de santé publique ?

05/04/2024

Les progestatifs, un nouveau scandale de santé publique ?

 

Le tribunal administratif de Montreuil a enregistré fin mars 2024 deux requêtes qui visent à engager la responsabilité de l’Etat, au travers de l’Agence nationale du médicament (ANSM), pour le retard pris dans l’information auprès des prescripteurs comme des patients des risques de méningiome en cas de prise de progestatifs.

Aujourd’hui, des femmes demandent réparation pour les préjudices subis. D’autres requêtes suivront. L’avocat chargé de les défendre annonce détenir 450 dossiers de femmes ayant consommé de l’Androcur ou d’autres progestatifs, Lutéran et Lutényl. Il y aurait 50 expertises judiciaires individuelles ordonnées, dont les 20 déjà terminées ont toutes retenu le lien de cause à effet entre la prise de ces médicaments et l’apparition de ces méningiomes. Une association de victimes de méningiomes a vu le jour en 2020 : AMAVEA.

Entre 2019 et 2020, des études épidémiologiques successives ont démontré que ce risque augmente avec la dose reçue, pour trois progestatifs (Androcur, Lutenyl, Lutéran et génériques). Dans un communiqué de janvier 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) indiquait que dans le cadre d’une surveillance renforcée à la suite de ces études, des cas de méningiome survenus lors de traitements par d’autres progestatifs ont été aussi constatés. Un effet « classe » des progestatifs sur le risque de méningiomes ne pouvait donc être exclu.

Qu’est ce qu’un méningiome ?

Le méningiome désigne une tumeur des méninges, membranes qui entourent le cerveau et la moelle épinière. Il touche donc le cerveau mais peut aussi se situer dans la colonne vertébrale. Les signes évocateurs d’un méningiome peuvent être très différents selon sa taille et sa localisation. Les symptômes les plus fréquents sont les suivants (liste non exhaustive) : maux de tête fréquents, troubles de l’audition, vertiges, troubles de la mémoire, troubles du langage, faiblesse, paralysie, troubles de la vision, perte d’odorat, convulsions, nausées… Elles sont complexes à soigner, demandent parfois des opérations chirurgicales délicates et de longues convalescences.

Cette maladie peut bouleverser la vie des personnes touchées. Le méningiome peut être découvert lors d’un scanner ou d’une IRM réalisé devant des symptômes variés, comme des maux de tête, ou parce qu’il entraîne déjà un dysfonctionnement du cerveau (crise d’épilepsie, déficit neurologique, troubles de la conscience…). Le traitement est chirurgical, associé parfois à de la radiothérapie. Les récidives ne sont pas rares.

A quoi servent ces traitements ? 

Les progestatifs sont des médicaments prescrits parfois en dehors de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) dans diverses pathologies gynécologiques (endométriose, fibromes, règles particulièrement longues et/ou abondantes, troubles du cycle), dans le traitement hormonal substitutif (y compris ménopause) ; mais aussi en obstétrique (stérilité par insuffisance lutéale, avortements à répétition) ou encore dans les processus de « transition de genre ».

Sous certaines indications, des personnes ont été amenées à ce traitement pendant des années, voire des décennies. Or, le sur-risque de méningiome, connu depuis les années 2010, s’intensifie à mesure que la dose et la durée du traitement par acétate de cyprotérone augmentent.

Androcur (acétate de cyprotérone)

Ce médicament contient un dérivé de la progestérone. Il a une action antihormonale (anti-androgénique) : il s’oppose à l’action des hormones androgènes (essentiellement la testostérone) et inhibe donc les effets des hormones sexuelles mâles. C’est pour cela qu’il est utilisé hors AMM dans les processus de de « transition de genre » par les hommes qui désirent réduire leurs caractères sexuels physiques masculines (pilosité, masse musculaire… ) et faire évoluer des caractères sexuels secondaires féminins (taille de seins).

Chez l’homme, son action permet de ralentir la croissance des cellules de la prostate. Il est donc indiqué dans le cas du cancer de la prostate.

Chez la femme, les hormones androgènes sont présentes en petite quantité et sont impliquées dans les troubles de la pilosité et des excès de sébum. Ce traitement est utilisé dans les cas sévères d’acné et d’hirsutisme (pilosité excessive)

Lutényl et génériques (acétate de nomégestrol) et Lutéran et génériques (acétate de chlormadinone)

Ce sont des dérivés de la progestérone. Ils sont utilisés dans certaines maladies gynécologiques invalidantes comme l’endométriose, les règles très abondantes, irrégulières et prolongées, qu’elles soient ou non en lien avec un fibrome. Ces médicaments sont quelquefois prescrits hors AMM comme contraceptif.

Des risques connus de longue date

L’identification du risque de favoriser l’apparition de méningiome n’est pas récente. La première alerte de pharmacovigilance remonte à 2004. Dès 2007, une étude sur Androcur le mettait déjà en lumière. Il a été clairement établi et rendu public par l’ANSM en 2018 dans une étude menée sur 4000 000 femmes. Cette même année des témoignages bouleversants de femmes émergeaient.

En 2019, le risque accru de développer des tumeurs intracrâniennes pendant la grossesse chez les femmes ayant été auparavant traitées par Androcur, bien après l’arrêt du traitement, était aussi révélé. En effet, dans le cas où une femme ayant été sous traitement aurait développé un méningiome non connu ou non détecté, la période de grossesse devient singulièrement à risque puisque naturellement le corps se met à produire une quantité très importante de progestérone, ce qui déclenche l’augmentation brutale de la taille du méningiome.

Dans une étude portant sur 287 femmes, 56% avaient été sous Androcur pour des cas d’acné ou de contraception, sur une durée moyenne d’exposition de 15 ans… On y découvre aussi que les premiers diagnostics de méningiome remontent à 1995.

Les recommandations accompagnant les prescriptions ont évolué depuis 2018. D’abord, les professionnels ne devaient pas prescrire ou arrêter le traitement en cas de survenue de méningiome. Puis, en 2020, le dépistage par IRM est instauré en début et en cours de traitement.

Pour la présidente de l’association AMAVEA, Emmanuelle Huet-Mignaton, « dix ans ont été perdus », avant que les prescripteurs ne soient correctement informés des risques. Or, « ce retard dans la délivrance d’une information précise et circonstanciée constitue une faute de l’Autorité de santé », précise Maître Joseph-Oudin, l’avocat des femmes ayant déposé ces requêtes. « Cette affaire des progestatifs constitue un scandale de santé publique majeur. Pendant des années, des milliers de femmes ont été exposées à des doses très importantes d’un produit pourtant suspecté de créer des tumeurs cérébrales très graves ».

 

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