Projet de loi fin de vie : ouverture d’un guichet pour le suicide assisté et l’euthanasie
Le projet de loi fin de vie a été transmis au Conseil d’Etat pour examen, avant présentation au Conseil des ministres le 10 avril.
Un projet « ficelé » depuis des mois
Une version datée d’octobre 2023 avait déjà circulé. Alliance VITA, par son Porte-Parole en avait proposé un décryptage. A l’époque, de nombreuses associations de soignants en avait dénoncé les termes. La version circulant aujourd’hui reprend toutes les caractéristiques de la précédente en y ajoutant le critère de souffrance psychologique :
- L’ « aide à mourir » serait exécutée sous forme de suicide assisté ou d’euthanasie si le patient ne peut physiquement se l’administrer lui-même y compris par un proche.
- Un seul médecin décide au final si la demande du patient est conforme aux critères d’éligibilité.
- Le pronostic vital doit être engagé à court ou moyen terme sans définition du terme.
- Le temps de décision est relativement court : en moins de 3 semaines, la décision peut être actée.
- Les proches et les familles n’ont pas de rôle dans le processus mis en place.
- La clause de conscience prévue n’inclut pas les pharmaciens qui devront préparer et transmettre la substance létale, ni les Institutions hébergeant les malades.
- Le contrôle ne sera qu’a posteriori.
Cette quasi absence de modifications depuis octobre interroge sur les motifs du délai pour l’annonce officielle, faite par Emmanuel Macron dans une interview le 10 mars. D’autant plus que le projet de loi ne comporte pas d’objectif contraignant pour la partie soins palliatifs renommés soins d’accompagnement.
Le contenu du projet
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Exposé des motifs
L’exposé des motifs s’efforce de placer ce projet dans la continuité des lois précédentes : accès aux soins palliatifs, refus de l’obstination déraisonnable, possibilité d’arrêter ou de refuser un traitement, sédation profonde et continue jusqu’au décès en cas de pronostic vital engagé à court terme…
Le mot de dignité, qui n’est jamais défini, est repris plusieurs fois dans l’exposé. A la lecture du texte, on comprend que cette dignité désigne en fait le sentiment subjectif du patient, et non une dignité intrinsèque à toute personne humaine. Un premier glissement sémantique lourd de conséquences.
Avec ce projet, la rupture est consommée avec la recherche d’une « voie française » pour la fin de vie. Enoncée en 2005, cette voie refusait l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie. Dans son discours aux membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie en avril 2023, Emmanuel Macron parlait de « tracer un nouveau jalon vers ce modèle français de la fin de vie ». Le processus mis en place est en fait d’importation étrangère.
Le projet fait état d’une « demande sociétale » : « celle de pouvoir décider de sa mort ». Pourtant, à notre connaissance, aucun sondage, ni la Convention citoyenne n’a posé la question de cette façon directe « Voulez-vous décider de votre mort ? ». Le CCNE, invoqué dans le projet de loi, a indiqué dans son avis controversé sur la question (avis 139)
« La sollicitation d’une aide active à mourir traduit en particulier la peur de mal vieillir : de subir l’isolement, la solitude, l’invalidité, la dépendance ou l’absence d’accès à des soins palliatifs. Enfin, les demandes de mort peuvent aussi être l’expression d’un profond syndrome anxiodépressif (qu’il faut évaluer et traiter) dans une situation où les pertes de fonctions et d’autonomie se succèdent, engendrant une perte de l’estime de soi. Ces peurs peuvent expliquer une volonté d’évolution législative en faveur d’une autorisation de l’aide active à mourir ».
Peut-on parler de volonté libre et éclairée, de décision, dans un tel contexte ?
Et si le suicide est considéré comme une ultime liberté », comme le sous-entend l’exposé des motifs voire « un droit », pour quelle raison en ferait–on la prévention ?
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Le premier volet du projet est consacré « aux soins d’accompagnement et aux droits des malades ».
Les premiers articles entendent redéfinir ces soins comme une approche plus large que les soins palliatifs. La « notion de soins palliatifs » est intégrée dans « celle plus englobante de soins d’accompagnement ». Le projet prétend que ces soins comprennent des « soins de support » (accompagnement psychologique, nutritionnel…), des « soins de confort » (massage, musicothérapie…), cet accompagnement devenant une « démarche palliative initiée précocement y compris à domicile et régulièrement réévaluée pour améliorer la qualité de vie du patient jusqu’à la mort ».
Cette définition est pourtant très exactement celle des soins palliatifs selon l’OMS !
Son site précise que : « Les soins palliatifs sont une approche pour améliorer la qualité de vie des patients (adultes et enfants) et de leur famille, confrontés aux problèmes liés à des maladies potentiellement mortelles. Ils préviennent et soulagent les souffrances grâce à la reconnaissance précoce, l’évaluation correcte et le traitement de la douleur et des autres problèmes, qu’ils soient d’ordre physique, psychosocial ou spirituel. ».
La réalité de terrain semble méconnue dans ce projet de loi. La musicothérapie est pratiquée dans des unités de soins palliatifs, ainsi que l’accompagnement psychologique. Le philosophe Jacques Ricot rappelle dans un article ancien que la première unité de soins palliatifs en France, ouverte en 1987, comprend une psychologue dans son équipe. La violoncelliste Claire Oppert a écrit un beau témoignage sur la musicothérapie pour les personnes en fin de vie. Rien de nouveau, donc, contrairement à ce qui est communiqué.
Une nouvelle appellation enrichit le lexique sanitaire sous le vocable de « maisons d’accompagnement », structures intermédiaires destinées à recevoir des patients pour cette prise en charge globale.
Aucune assurance de moyens n’est donnée dans le projet au volet « soins ». Les « maisons d’accompagnement » seront sous une contrainte budgétaire de financement (dite ONDAM) qui régit déjà un système de santé en crise.
Le projet de loi introduit un droit de visite des patients hospitalisés et des résidents d’établissements médico-sociaux. Réclamé après les restrictions importantes pendant la crise sanitaire, ce droit « devra toutefois être concilié avec les contraintes organisationnelles du service ».
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La deuxième partie du projet de loi détaille le processus de « l’aide à mourir ».
Celle-ci consiste en l’auto-administration de la substance létale par le patient, ou son administration par un soignant ou un proche si la personne est dans l’incapacité physique de le faire.
Des conditions d’apparence stricte sont mentionnées :
La personne doit être majeure, capable d’exprimer une volonté libre et éclairée, souffrant d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme et présentant des souffrances physiques ou psychologiques réfractaires ou insupportables liées à cette affection.
Dans l’interview du 10 mars dans laquelle le président de la République dévoilait les grandes lignes du projet de loi, il y précisait que ce serait « à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande. »
Dans le texte transmis au Conseil d’Etat, un seul médecin sera décisionnaire. Le médecin consulté recueille l’avis d’un médecin qui ne connait pas la personne, spécialiste de la pathologie dont souffre le patient et d’un professionnel de santé paramédicale.
Ces avis ne constituent aucunement une « décision collégiale ». Le processus retenu consacre ainsi une toute-puissance médicale. On peut craindre que se crée une filière puisque le patient pourra choisir le médecin à qui il adressera sa demande. Aucun lien avec le médecin traitant n’est exigé. Dans ce même échange avec les journalistes de La Croix et de Libération, Emmanuel Macron affirmait aussi que « les membres de la famille qui peuvent avoir intérêt à agir pourront faire recours à la demande ». Aucune information ou consultation des proches ou de la famille n’est pourtant prévue dans le processus.
Le délai de mise en œuvre est relativement court : le médecin consulté a 15 jours pour répondre au patient, puis le patient a 2 jours pour confirmer sa volonté.
Enfin, pour ce prétendu « modèle français » dont la Ministre en charge Catherine Vautrin, a précisé que ce n’est « ni euthanasie, ni suicide assisté » alors qu’il s’agit en réalité de légaliser les deux, le projet de loi modifiera le code des assurances et le code de la mutualité qui excluent le cas de suicide pour l’assurance décès lors de la première année d’un contrat…
« Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde », selon le philosophe Ludgig Wittgenstein. On comprend ainsi l’importance accordé par ce projet de loi à utiliser son propre langage, manipulant de nouvelles définitions sur des réalités existantes.
Le monde dessiné par ce projet de loi est résolument individualiste. Il constitue un véritable basculement en levant l’interdit de tuer et il consacre une toute puissance médicale dont les plus vulnérables seraient les premières victimes.
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