Inquiétude et opposants au projet de loi fin de vie
Dimanche 10 mars, le président de la République dévoilait les contours du projet de loi fin de vie et l’ouverture d’une aide à mourir, vaine euphémisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Nombreuses sont les voix qui se sont fait entendre pour marquer leur inquiétude et leur opposition face à un tel projet.
Plusieurs personnalités ont immédiatement partagé leurs craintes comme la psychologue Marie de Hennezel qui dans une adresse au président de la République dans Ouest France se fait la porte-parole « Des personnes de 80 à 100 ans, fragilisées bien que souvent encore autonomes, qui perçoivent le danger d’une loi qui établira un continuum entre les soins de fin de vie et l’euthanasie. »
Elle rappelle l’urgence « de couvrir le territoire de structures de soins palliatifs, maintenant et pas d’ici dix ans » et s’interroge « Qui fera désormais confiance à son médecin ? Comment ferez-vous pour restaurer cette confiance, pour protéger les plus vulnérables de notre société ? » D’autres encore ont pointé le basculement qu’entraine la levée de l’interdit de tuer comme le philosophe Pierre Manent, ou encore l’inéluctabilité des dérives comme le sociologue Jean-Pierre Le Goff.
Les soignants réunis au sein du collectif sur la fin de vie ont exprimé leur consternation et leur colère dans un communiqué de presse. Alors qu’ils seraient en première ligne pour appliquer la loi si elle était votée, ils déplorent n’avoir jamais été associés à l’élaboration du texte. Ils pointent également le caractère « ultra-permissif » du modèle envisagé : « le dispositif décrit emprunte à toutes les dérives constatées à travers le monde. Aucun pays n’envisage l’administration de la substance létale par un proche. »
Très inquiets de la confusion sur le sens du soin, ils le sont aussi des annonces dérisoires sur l’accompagnement de la fin de vie et en particulier s’agissant du budget affecté aux soins palliatifs. Pour eux, ce projet « va à l’encontre des valeurs du soin et du modèle de non abandon qui fondent [notre] modèle français d’accompagnement de la fin de vie ».
Les représentants des religions ont aussi exprimé leur inquiétude face au projet de loi. Au micro de France Inter, l’évêque de Nanterre Matthieu Rougé a rejeté une réforme qui promeut à la fois l’euthanasie et le suicide assisté, indiquant qu’« on ne peut pas parler de fraternité quand on répond à la souffrance par la mort ».
Pour le président de la Conférence des évêques de France, Monseigneur de Moulins-Beaufort, « Appeler “loi de fraternité” un texte qui ouvre le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie ». Pour lui, « Ce qui est annoncé ne conduit pas notre pays vers plus de vie, mais vers la mort comme solution à la vie. […] les Français n’envisageraient pas de la même manière la fin de vie si les soins palliatifs étaient chez nous une réalité pour tous partout, comme le voulait la loi dès 1999. Ces derniers temps, non seulement rien n’a été fait pour apporter des soins palliatifs là où il n’y en a pas, mais les moyens de plusieurs services existants ont été réduits encore. C’est cela la vérité. »
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz a pour sa part, jugé qu’ « une aide à mourir ne peut pas être “une loi de la fraternité”, quelles que soient les conditions et les circonstances». Et pour Sadek Beloucif, membre du Forum de l’islam de France (Forif), ce projet marque « un véritable changement de paradigme ». Idem pour le président de l’Union bouddhiste de France, Antony Boussemart, qui a regretté auprès de l’AFP que « la boîte de Pandore (soit) ouverte »
Pour le président de la Fédération protestante de France (FPF), Christian Krieger, si « L’aide à mourir n’est ni une euthanasie ni un suicide assisté, car la demande de la personne n’est pas automatiquement satisfaite. », il regrette en revanche l’inversion de l’ordre des priorités entre « la possibilité du don de la mort » [qui] apparaît comme première ; le développement d’une culture palliative comme seconde, voire secondaire !»
Seul le grand rabbin de France, Haïm Korsia, s’est dit rassuré, estimant que ce projet de loi « n’ouvrira pas de nouveau droit ».
Le flou sémantique entretenu par le président autour de l’ « aide à mourir » qui selon lui ne serait ni euthanasie ni suicide assisté, a été largement critiqué aussi bien par ceux qui s’opposent à un tel projet que par ceux qui le réclament. Le professeur Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d’éthique et co-initiateur de la « stratégie décennale » qui a inspiré le chapitre du projet de loi consacré à ces soins et favorable à une évolution du cadre légal, considère « que la formule n’est pas claire et qu’il s’agit d’un euphémisme. »
Sur France Culture, le 11 mars, l’ancien député et co-auteur de la loi Claeys-Leonetti de 2016, Jean Leonetti, juge que les termes de cette future loi sont « flous », car Emmanuel Macron « dit que ce n’est ni l’euthanasie, ni le suicide assisté, mais un peu des deux ». « Quand on est flou, il y a une difficulté à l’application des lois qui ne sont pas extrêmement claires », a-t-il aussi soutenu. Dans un entretien au magazine Valeurs actuelles, François Braun, ancien ministre de la Santé, regrette l’euphémisation : « Je crois qu’on ne peut effectivement pas se cacher derrière la sémantique. On parle de mort. Quelles que soient les circonvolutions, à la fin, il s’agira de donner ou non la mort. »
Enfin il n’est pas inutile de se pencher sur les critiques formulées par les partisans de l’évolution du cadre législatif et de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Certains remettent déjà en cause un cadre jugé trop strict. Martine Lombard, professeure de droit public à l’université Panthéon-Assas, considère que le texte ne va pas assez loin notamment en ce qui concerne le critère de pronostic vital engagé à moyen terme : « Les médecins auront du mal à attester précisément d’une espérance de vie. Le risque, c’est que seuls les malades de cancer en phase terminale soient concernés. »
L’ADMD (association pour le droit de mourir dans la dignité) par la voix de son président, partage sa crainte et brandit l’argument de l’exil à l’étranger pour ceux dont l’état ne correspondrait pas au cadre. L’association déplore aussi que les personnes atteintes de « maladies dégénératives, de type Alzheimer » soit exclues des critères et que les personnes éligibles n’aient pas la « liberté de choix absolue » sur la manière de mettre fin à leurs jours.
Certains regrettent encore que les mineurs soient exclus de l’ « aide à mourir ». Pour la cardiologue Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPV) de 2016 à 2020, « il faut pouvoir faire entrer tous les gens qui ont le même niveau de souffrance et qui ne peuvent pas trouver un apaisement d’une autre façon. Il y a un moment où nous voudrions pouvoir choisir de partir parce qu’il est temps. »
Où l’on voit que les verrous fixés par le président de la République ne tarderont guère à sauter. La boite de Pandore est ouverte.
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