Autoconservation des ovocytes : la réalité en face
Des demandes en hausse. Une impossibilité de les honorer. Un leurre assumé par les autorités en charge. Une prise en charge lourde, non dénuée de risques et souvent inutile. Une perte de chance pour les femmes de devenir mère un jour. Voici les 5 principaux points à retenir concernant l’autorisation de conserver ses ovocytes, procédure ouverte aux femmes sans aucune raison médicale depuis la loi du 2 août 2021.
Le mercredi 13 décembre, l’Agence de la biomédecine (ABM) a dévoilé les derniers chiffres de son enquête de suivi auprès des centres de don et d’autoconservation de gamètes. Ce jour-là s’est tenue la première réunion du « Comité national de suivi du plan ministériel 2022-2026 pour la Procréation, l’Embryologie et la Génétique humaines (PEGh) »,
L’ABM rapporte que l’autoconservation non médicale d’ovocytes est de plus en plus plébiscitée, avec une hausse significative du nombre de demandes de 1ère consultation. Depuis son entrée en vigueur, près de 19 160 demandes ont été recueillies par les centres autorisés. La tendance reste à la hausse puisqu’on recense 7 616 nouvelles demandes au 1er semestre 2023 contre 5 038 au 2ème semestre 2022, soit une hausse de 51 %.
En 2022, il y a eu 11 500 demandes, seules 4800 ont obtenu un rendez-vous et finalement 1778 y ont eu accès.
Les centres submergés de demandes pour l’autoconservation des ovocytes
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé qui présidait la commission de Loi bioéthique lors de son vote semble étonnée : « Personne ne pouvait prévoir qu’il allait y avoir autant de demandes », affirme-t-elle. Pourtant, rien n’était plus prévisible, alors que les Françaises font des enfants de plus en plus tard et que le simple système de l’offre crée la demande,
L’âge moyen d’une première maternité est passé de 27,3 ans en 1998 à 28,9 ans en 2020 et les grossesses dites tardives sont toujours plus nombreuses, notamment chez les CSP +. « Plus les femmes qui travaillent ou ont déjà travaillé appartiennent à un groupe social élevé, moins leur fécondité est forte et surtout, plus elle est tardive », pointait une étude de l’Insee en 2016.
Cette procédure a été mise au point au départ pour permettre aux femmes qui doivent subir des traitements lourds pouvant amoindrir ou détruire leur fertilité (traitements anticancéreux par exemple) de mettre de côté leurs ovocytes avant de les subir. Aujourd’hui, cela est présenté comme une prétendue « possibilité de préserver sa fertilité » contre le vieillissement naturel ou de remettre à plus tard un projet de grossesse.
Que dit la loi ?
Toute femme peut demander à faire procéder au prélèvement et à la conservation de ses ovocytes sans raison médicale à compter du 29ème anniversaire et jusqu’ à son 37ème anniversaire.
La procédure d’autoconservation ovocytaire
Elle implique de procéder à une stimulation ovarienne (administration d’hormones) pour contraindre l’ovaire à faire murir un nombre d’ovocytes plus élevé que naturellement. Ensuite, il est procédé à une ponction par prélèvement chirurgical sous anesthésie générale ou locale pour récupérer le liquide folliculaire et ses éventuels ovocytes contenus en nombre variable. Les ovocytes subissent ensuite plusieurs étapes successives pour aboutir à leur cryogénisation (conservation dans l’azote liquide à -196°C). La procédure pourra être répétée deux ou trois fois pour congeler le maximum d’ovocytes.
Les risques ?
Des effets secondaires légers (8 à 14%) ou graves (0,7% en moyenne) sont à déplorer : syndrome d’hyperstimulation ovarienne sévère, complications chirurgicales liées au recueil des ovules (anesthésie, hémorragie, infection, torsion d’ovaire), complications thromboemboliques dont certaines peuvent menacer le pronostic vital. Concernant des complications potentielles à long terme, l’interrogation principale porte sur le risque de cancer de l’ovaire ou du sein, tissus dont on connaît la sensibilité aux stimulations hormonales.
Une médecine à l’envers
Proposer ce traitement à toutes les femmes, y compris celles qui sont jeunes, en bonne santé, qui n’ont pas encore envie d’avoir des enfants, n’ont et n’auront peut-être jamais aucun problème d’infertilité sauf ceux liés à un âge tardif de tentative de grossesse, qui n’auront peut-être jamais besoin d’avoir recours à ces ovules congelés car elles auront leurs enfants naturellement… n’est-ce pas prendre la médecine complètement à l’envers ?
La prise en charge
L’ensemble de la procédure (environ 3000 euros) est pris en charge par l’assurance maladie, même s’il n’y a aucune raison médicale qui la justifie. Seule le coût de conservation (45 euros annuel) revient aux femmes.
Quel devenir des ovocytes ?
Si la femme souhaite utiliser ses ovocytes pour tenter d’avoir un enfant, une étape de fécondation in vitro sera inévitable. Impliquant le faible taux de succès qu’on connait à cette pratique. Si elle tombe enceinte naturellement, ses ovocytes ne lui serviront peut-être jamais. En Espagne où cette pratique est autorisée depuis 2006, le taux d’utilisation des ovocytes ne s’élève qu’à 13%. Elle aura donc traversé ces différents traitements pour rien. Les ovocytes pourront alors être donnés à d’autres femmes et couples, abandonnés à la recherche ou détruits.
Des promesses non tenues
Le gouvernement avait présenté cela comme un nouveau droit et un progrès pour les femmes. Or, les centres sont submergés. Pour répondre à cette très forte demande, le gouvernement a annoncé son projet d’ouvrir une vingtaine de nouveaux centres dans toute la France d’ici à 2025.
Quelles chances de succès ?
Le taux de succès (mesuré par le nombre de naissances) dépend de l’âge de la femme au moment du prélèvement des ovocytes, l’âge au moment des tentatives de fécondation in vitro et le nombre d’ovocytes qui auront pu être récoltés au cours des procédures.
Nombres d’ovocytes congelés |
Taux cumulé de naissance |
|
Femme ≤35 ans (âge du prélèvement) |
Femme ≥35 ans |
|
3 |
5% |
5% |
5 |
15% |
15% |
8 |
30% |
20% |
10 |
40% |
25% |
15 |
70% |
40% |
20 |
75% |
50% |
D’apres Cobo et al, fertil steril, 2021.
Ainsi, si une femme ne réussit à « mettre de coté » que 8 ovocytes, ses chances d’avoir un enfant ne seront que de 30%.
Il serait injuste pour les femmes de leur laisser croire que cette technique serait une épargne sécurisée ou une « assurance maternité », à savoir une garantie d’avoir un enfant plus tard.
Le taux de succès des FIV n’est déjà qu’aux alentours de 20%. Or, plus l’âge de la femme avance, plus le taux de succès des FIV diminue.
Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, la trotteuse de l’horloge biologique ne se fige pas quand les ovocytes s’endorment dans le froid. En réalité, l’ensemble du corps féminin vit, et donc vieillit. L’âge avançant, une grossesse est plus difficile à obtenir, y compris par FIV, et présente également aussi plus de risques. Les gynécologues et obstétriciens s’accordent sur ce point : la fréquence des complications, tant pour la mère que pour l’enfant, croît rapidement avec l’âge maternel.
Ainsi, augmenter le recours à l’autoconservation des ovocytes, en maintenant la femme dans l’illusion qu’elle peut attendre, pourrait influer sur le risque de rester involontairement sans enfant. (Platts et al, acta obstet gynecol Scand, 2021). Par ailleurs, la place de l’homme est souvent la grande oubliée de ces réflexions. La procréation étant de plus considérée, à tort, comme étant une fonction biologique individuelle, et non la seule qui se vit à deux.
Sources : Avis du CCNE du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ; Rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique sur les États généraux de la bioéthique, juin 2018.
Pour aller plus loin :
[Vidéo] Autoconserver ses ovocytes – Université de la vie 2023
Congeler ses ovocytes ? On n’épargne pas sa vie. 2018
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