Croissance du suicide assisté en Oregon
Une étude rétrospective sur 25 ans de pratique du suicide assisté en Oregon (Etat américain) montre une croissance continue de cet acte depuis 25 ans et une interprétation extensive des critères d’application.
Cet Etat américain a été le premier dès 1997 à se doter d’une loi autorisant le suicide assisté dénommée « Death with Dignity act ». Des chercheurs britanniques ont analysé les évolutions de cette législation souvent présentée comme un « modèle » en compulsant les données des rapports annuels, publiés entre 1998 et 2022 par l’Oregon Health Authority (OHA).
Leur analyse publiée en octobre 2023 par le BMJ Support Palliative care montre les dérives du système à partir de plusieurs facteurs : le nombre de personnes ayant eu recours au suicide assisté en Oregon, les critères d’éligibilité, les caractéristiques sociaux-démographiques, les raisons du recours au suicide assisté en Oregon et les informations concernant les modalités de cet acte.
Le terme suicide assisté se définit par « l’auto-administration d’un produit létal ». La loi sur le suicide assisté en Oregon prévoit que la prescription du produit se fasse par un médecin mais sa présence au moment de l’acte est optionnelle. La personne demandeuse doit être majeure, capable de prendre et communiquer des décisions médicales, et être diagnostiquée d’une maladie en stade terminal engageant le pronostic vital à moins de 6 mois. Un temps de 15 jours de réflexion est requis avant de pouvoir accéder au suicide.
Evolution de la pratique « médicale » du suicide assisté en Oregon
Depuis 25 ans, 2 454 personnes sont décédées du suicide assisté en Oregon, passant de 16 en 1998 à 278 en 2022. Cela représente 0,6% des décès. Comparativement à la population en France, cela reviendrait à près de 4000 suicides par an. L’âge moyen des patients suicidés se situe à 72,5 ans.
Les données de 2022 qui paraissent dans le dernier rapport annuel révèlent que 431 ordonnances ont été établies par 146 médecins. Les médecins prescripteurs représentent 0,9 % du total des praticiens en Oregon ce qui montre une concentration de cette pratique sur une minorité de médecins. La plupart des praticiens prescrivent cet acte une ou deux fois par an, sauf un médecin qui en a prescrit 51, ce qui correspond à près d’une prescription par semaine.
Toutes les personnes ayant reçu une ordonnance en vue d’un suicide assisté en Oregon ne finissent pas nécessairement par s’en servir. Cependant, il y a un manque de données quant aux raisons de cette non utilisation : soit les personnes sont décédées de leur maladie, soit elles ont renoncé au suicide assisté.
Aucune information n’est fournie sur les produits achetés et non consommés. La proportion de décès suivant la prise d’un produit létal prescrit comparée avec le nombre de prescriptions est passé de 58% dans la première décennie consécutive à la légalisation à 67% ces 5 dernières années.
En 25 ans, on constate une forte réduction de la durée de la relation thérapeutique avec le médecin prescripteur. Elle est passée de 18 semaines en 2010 à seulement 5 en 2022. Les évaluations psychiatriques pour s’assurer des capacités du demandeur à prendre une telle décision ont pratiquement disparu. De 28% dans les 3 premières années consécutives à la légalisation, ce chiffre est tombé à seulement 1% des personnes ayant eu recours au suicide assisté en 2022.
Les auteurs s’interrogent sur l’influence que peut avoir la baisse des évaluations psychologiques et la réduction de la relation thérapeutique sur le diagnostic de facteurs traitables comme la solitude, la dépression et l’anxiété influençant la demande de mourir.
Bien que les chiffres indiquent une forte prise en charge palliative (une moyenne de 90,8% de 1998 à 2020), il n’y a pas d’informations quant à ce que cette prise en charge représente. On entend par « soins palliatifs » les soins de confort lorsque plus aucune autre intervention ne sera prise en charge par l’assurance maladie. Il n’est pas indiqué si cette mention comprend une prise en charge pluridisciplinaire ou celle d’un seul praticien non spécialisé. Ce manque d’information ne permet pas de savoir si les patients ont reçu une prise en charge palliative adéquate avant d’avoir recours au suicide assisté.
Enfin, depuis quelques années les produits létaux utilisés ont évolué. Bien qu’un manque de données sur les dosages ne permette pas une analyse précise, le retour sur le rapport de 2022 permet de constater que les produits utilisés pourraient avoir tendance à augmenter le laps de temps qui sépare la prise du produit et la mort. Selon le rapport 2022, sur les 165 patients pour lesquels cette indication était connue, ce temps varie de 3 minutes à 68 heures avec une moyenne de 52 minutes.
Une évolution des critères d’éligibilité et des procédés qui laissent perplexes
Les chercheurs pointent le manque de respect des critères exigés par la loi. Comme par exemple les 15 jours de réflexion dont un quart des patients a été exempté en 2022 pour motif de stade terminal imminent de la maladie. Si les demandes concernaient des cas de cancer à 80% dans les cinq premières années, ils représentaient 64% en 2022. Depuis 2010 des personnes ont eu recours au suicide assisté en raison de polypathologies non terminales (comme l’arthrite, des complications liées à une chute, une hernie, une sclérose ou une anorexie mentale) qui ne correspondent pas au diagnostic d’une maladie entraînant la mort dans les 6 mois.
Les raisons invoquées par les patients pour demander à mourir varient de la peur de la perte d’autonomie aux inquiétudes financières.
90% des personnes citent la perte d’autonomie, ainsi que la perte de capacité à faire des activités qui rendent la vie agréable, 74% la perte de dignité et 27% le manque ou l’inquiétude sur le contôle de la douleur. Le sentiment d’être un poids pour les proches a passé de 30% dans les 5 premières années de la légalisation à 46% en 2022.
Enfin les raisons économiques sont en progression. L’inquiétude du coût des traitements qui pousse parfois à les refuser et à demander le suicide assisté atteint 8,1% en 2021. Les auteurs ont aussi noté une évolution des catégories sociales des patients depuis 2008 à partir des assurances médicales qui sont un indicateur du niveau de vie aux Etas-Unis.
En moyenne 65% des candidats au suicide détenaient une assurance médicale privée jusqu’en 2008. La tendance s’est ensuite totalement inversée : 79,5% des patients qui demandent le suicide assisté sont souscripteurs d’une assurance publique dont Medicaid qui est octroyée aux personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ces indications mériteraient une étude plus approfondie dans la mesure où la part de Medicaid dans la catégorie des assurances publiques n’a pu être déterminée.
Les auteurs de l’étude concluent que les données restent limitées et que les médecins ne sont présents que dans environ 25% des moments de l’ingestion du produit létal et dans 28 % des cas en 2022, les personnes sont seules. Des études plus approfondies seraient nécessaires.
Actuellement 10 Etats américains sur 50 ont adopté des législations autorisant le suicide assisté : en plus de l’Oregon, il s’agit des Etats de Washington, Californie, Colorado, New Mexico, Maine, Vermont, New Jersey, District of Columbia (Washington DC), et Hawaï. L’Etat du Montana le tolère à la suite d’une jurisprudence. L’Association médicale américaine (AMA) vient de réaffirmer le 14 novembre son opposition à la pratique du suicide assisté après une nouvelle pression pour rendre sa position neutre.