Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie
Il est d’usage de se rappeler les êtres chers qui nous ont quittés, d’aller fleurir leur tombe ou de se retrouver en famille pour évoquer leur souvenir. Il s’agit là d’une des rares incursions de la mort dans notre quotidien occidental qui semble vouloir la cacher. Or la mort nous concerne tous et face à elle, nous sommes tous égaux.
L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), qui milite en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, a décidé de profiter de ce jour pour pousser ses revendications, arguant que les Français « n’en peuvent plus d’attendre » une loi autorisant la mort provoquée.
Comment donner à la mort sa juste place ?
Le paradoxe de la mort dans la modernité
Dans les films, les jeux vidéo, l’imaginaire culturel et fictif, la mort est partout. Et pourtant dans les rites funéraires aujourd’hui, sa réalité est réduite à la portion congrue : on ne veille plus les corps, l’incinération est souvent privilégiée à l’inhumation, les proches sont moins présents autour du défunt… On privilégie également l’emploi de verbes considérés comme plus doux : « partir », « quitter » pour évoquer le décès comme une sorte d’endormissement indolore. La mort d’une personne confine désormais à l’intime, on ne traverse plus la ville en procession, on ne porte plus le deuil ; tout se passe comme si, à l’échelon de la société, la mort devait être cachée.
Le philosophe Michel Foucauld analyse le passage à l’époque moderne comme le passage d’une société du “faire mourir et laisser vivre” à une société du “faire vivre et laisser mourir. Selon lui, notre société moderne est une société où le pouvoir vise à organiser la vie et la santé des sujets, et où la mort devient l’intime par excellence. Le concept d’autonomie devient dominant, dans un contexte libéral où chacun veut pouvoir décider de son propre sort.
Notre société semble considérer que la mort est le dernier instant de décision de notre vie, l’occasion d’exercer une maîtrise toujours plus grande. Ainsi les tenants de la mort provoquée parlent souvent d’une loi « de liberté » ou encore « du libre choix » lorsqu’ils évoquent la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Pure idéologie ou irrationnelle pulsion de mort ?
Certains semblent presque avoir peur de mourir de façon naturelle avant que la loi ne leur permette de le faire dans un cadre médical !
Ainsi voit-on des personnes en bonne santé comme Jacqueline Jencquel (qui s’est finalement donné la mort en 2022) se faire les porte-parole de la mort provoquée, alors qu’aucune affection médicale sérieuse ne paraît justifier le passage à l’acte. Elles semblent appeler de leurs vœux une nouvelle société du « faire mourir », où l’Etat et la société organiseraient la mort des citoyens, dans un retournement de leur désir de maîtrise.
Derrière l’invocation d’un « droit individuel » et d’un « choix personnel », la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté concernerait en réalité toute la société, chargée d’organiser et de mettre en œuvre ce nouveau « droit ».
Journée des défunts : ne pas masquer la mort mais savoir la montrer
Le fantasme d’une mort douce, « consentie, sereine et digne », porte en lui le paradoxe évoqué plus haut. On appelle la mort provoquée de ses vœux, on la rend omniprésente en l’invoquant comme le droit ultime dans la vie de chacun mais on souhaite dans le même temps l’aseptiser, la rendre pour ainsi dire neutre en la médicalisant.
L’image d’Epinal, apparue récemment, de la personne mourant par euthanasie une coupe de champagne à la main, le sourire aux lèvres pour elle et ses proches, nie cette réalité fondamentale : la mort est toujours un drame, car elle s’oppose à l’instinct de survie en tout homme, car elle laisse un trou béant dans le cœur des proches.
La mort par euthanasie ou suicide assisté est en fait plus brutale encore : on pense par exemple à cet Américain ayant appris via Facebook que ses deux sœurs (en bonne santé) étaient allées se suicider en Suisse. L’incompréhension devant un tel choix augmente la douleur des proches.
L’aseptisation et la médicalisation de la mort mènent à des drames humains. L’épidémie de covid-19 a privé un grand nombre de personnes des rites de deuil qu’ils auraient dû vivre.
Pour des raisons sanitaires, de nombreuses familles n’ont pas eu la possibilité de visiter une dernière fois leur proche, de veiller son corps ou même de voir sa dépouille, enveloppée dans un sac pour éviter la contagion. Orphelins de père traumatisés par cette situation, Stéphanie Bataille et Laurent Frémont ont lancé le collectif « Tenir ta main » pour dénoncer de graves reculs éthiques et anthropologiques, et militent désormais pour un « droit de visite aux patients dans tous les établissements de santé ».
Ne pas avoir le droit de voir la dépouille de son proche, c’est être privé d’une étape essentielle pour faire son deuil. En tant que civilisation, c’est aussi un retour en arrière : « On est devenus humains au moment où on a su enterrer nos morts », rappelle Stéphanie Bataille dans une émission en mars 2021.
Si les rites funéraires permettent de voir la mort en face, il est essentiel également de pouvoir mettre des mots sur ce drame intime. Ainsi les membres d’Alliance VITA sont-ils allés en 2014 à la rencontre des Français dans la rue, en leur proposant des « conversations essentielles » sur la manière dont ils avaient vécu la mort d’un proche.
Les personnes qui le souhaitaient pouvaient se confier et échanger sur ce que la mort d’un proche leur avait « appris de la vie » : la richesse de derniers moments avec une grand-mère, ou au contraire le regret de ne pas avoir été présent pour un père… autant de révélateurs de ce que la fin d’une vie est toujours la vie, jusqu’au bout.
Accompagner les vivants jusqu’à leur mort
Aujourd’hui, les progrès médicaux et les innovations thérapeutiques ont profondément modifié notre rapport à la mort et les modalités du décès. Un quart des personnes seulement meurent chez elles, ce qui signifie que la majorité des décès a lieu dans un cadre médicalisé ou du moins institutionnalisé (maison de retraite…). Les progrès de la réanimation et de la chimiothérapie ont fait augmenter l’espérance de vie, ce qui est évidemment positif.
Toutefois, le risque est désormais que l’on considère que la médecine doit régir toute fin de vie. La loi Leonetti de 2005 et celle de 2016 relatives aux droits des malades et des personnes en fin de vie encadrent la tentation de l’acharnement thérapeutique en disposant que « les actes mentionnés […] ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable […] lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés… ».
Au fond, vouloir prolonger obstinément la vie ou y mettre fin sont les deux faces d’une même médaille : un désir de toute-puissance, de maîtrise totale de la vie humaine, qui peut venir du corps médical ou de la personne elle-même.
Heureusement, la France s’est engagée depuis plusieurs dizaines d’années maintenant dans une autre voie : celle de l’accompagnement et des soins palliatifs, qui consistent à soulager les souffrances en prenant en compte toutes les dimensions de la personne, lorsque sa guérison n’est plus possible. Une des associations de bénévoles a pris pour nom la devise « Jusqu’à la mort, accompagner la vie ».
Donner sa juste place à la mort nous rendra plus humains, car la mort fait partie intégrante de la vie. A l’heure où certains voudraient médicaliser et provoquer la mort, nous appelons à ne pas la masquer ni la provoquer mais bien à la regarder et à en parler.
Tout le monde est digne, même dans la maladie, même dans la mort. Vivre et mourir dignement, cela passe par la réponse aux vraies demandes des Français : pouvoir être soignés et soulagés, pas être euthanasiés. En ce 2 novembre, honorons les défunts qui nous sont chers en apprenant à redonner sa juste place à la mort dans nos vies.
Retrouvez tous nos articles sur la mort et le deuil.
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