IVG dans la Constitution : liberté ou droit, un faux débat ?

17/11/2023

IVG dans la Constitution : liberté ou droit, un faux débat ?

 

Annonce d’un projet de loi inscrivant l’IVG dans la Constitution

Le 29 octobre 2023, le président de la République a annoncé qu’un projet de loi pour inscrire l’IVG dans la Constitution serait présenté en Conseil des ministres au mois de décembre. Selon des informations de La Tribune, le texte qui figurerait à l’article 34 de la constitution serait libellé ainsi : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse« . Au-delà de la portée symbolique de cette constitutionnalisation, la formulation d’une liberté plutôt qu’un droit fait débat. Le choix de l’une plutôt que l’autre modifie-t-il l’impact de cette inscription dans la constitution ?

 

Rappel des faits

En novembre 2022 une proposition de loi constitutionnelle votée en première lecture à l’Assemblée nationale disposait que « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Le Sénat l’a votée à son tour en ces termes : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

 

Liberté, droit : quelle définition ?

Pour Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen, « La liberté est une ‘faculté de’, c’est une notion subjective, c’est ‘je peux recourir à’. Par exemple, avec la liberté d’expression, si j’ai envie de parler ou de publier, je le fais, mais je n’attends rien en retour. Alors que le ‘droit subjectif à’, donne l’impression d’une créance : l’État doit le garantir. C’est le cas du droit de grève par exemple. »

Pour les partisans de l’inscription d’un droit, cette formulation de la liberté ne va pas assez loin.

D’après Mathilde Philip-Gay, professeur de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3, « Le droit à l’IVG, c’est la garantie que si une personne le souhaite ou si c’est nécessaire, elle pourra procéder à une interruption volontaire de grossesse. La liberté est garantie par la loi, alors que le droit doit être garanti en lui-même. » Pour elle, si « le choix du mot liberté est symboliquement important – car cela permet de faire entrer l’expression « interruption volontaire de grossesse » dans la Constitution – juridiquement, il n’y a pas un changement énorme » par rapport à la situation actuelle.

Cette position est également soutenue par Jean-Marie Burguburu, avocat et président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Dans un avis adopté le 28 septembre 2023, la CNCDH indique : « C’est le droit lui-même qu’il faut consacrer et non le pouvoir de légiférer à son sujet. La formulation retenue doit intégrer une « garantie » afin d’éviter toute régression par rapport à l’état actuel du droit. Elle doit exprimer une consécration claire du droit à interrompre volontairement sa grossesse pour toute personne le souhaitant. »

En réalité la Constitution n’établit pas de distinction entre les notions de liberté et de droit.

S’agissant de normes constitutionnelles, droit et liberté ne peuvent s’exercer que dans le cadre des lois qui les règlementent. La Constitution accorde une égale protection aux « droits et libertés qu’elle garantit » notamment par la possibilité de soulever une question prioritaire de constitutionnalité figurant à l’article 61-1. En outre, rien n’indique dans la Constitution que les droits et libertés qui y figurent auraient des portées différentes.

Les droits et libertés qu’elle garantit, s’entendent en effet, indistinctement, des dispositions de la loi fondamentale elle-même, y compris son préambule et les textes auxquels il renvoie, ainsi que des principes non écrits dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Par une décision de 2001, le Conseil constitutionnel a considéré que la loi sur l’IVG est conforme à la Constitution dans la mesure où elle préserve l’équilibre « que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Cette jurisprudence constitutionnelle consacre une forme d’équilibre entre plusieurs libertés, droits et principes à valeur constitutionnelle :  la décision de 2001 a donc été rendue en évaluant la loi sur l’avortement au regard du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, du droit à la vie ou encore au regard de la liberté de conscience des soignants.

Inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution sans inscrire les autres principes qui y sont associés constitue une rupture qui fragilise ces derniers

Selon Guillaume Drago, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, outre la liberté de conscience des personnels de santé qui peuvent, avec la loi de 1975, refuser de procéder à des avortements et qui est une liberté constitutionnelle, l’inscription de l’IVG dans la constitution vient aussi se heurter à des principes constitutionnels comme « la liberté personnelle des personnels de santé, la protection de la santé, énoncée par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, intégré au bloc de constitutionnalité, et la protection constitutionnelle de l’intérêt supérieur de l’enfant énoncée encore par le Conseil constitutionnel en 2019. »

Pour les partisans du toujours plus, le projet de loi tel que présenté ne va pas assez loin : ils contestent le choix du mot liberté et déplorent que cette liberté constitutionnelle figure à l’article 34, lequel définit ce qui relève de la compétence du législateur, plutôt qu’à l’article 1er ou 2 sous forme de droit fondamental.

Quelle que soit la formulation retenue, liberté ou droit, on peut s’inquiéter des conséquences d’une inscription dans la Constitution sur le cadre juridique qui régit aujourd’hui l’avortement. La portée symbolique est puissante et les menaces qui pèsent sur le droit à la vie, la liberté de conscience et la liberté d’expression ne sont pas dérisoires. A l’avenir, la façon dont le Conseil constitutionnel pourrait mettre en balance ces différents principes dans sa jurisprudence reste incertaine.

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