Porno-criminalité : le Haut Conseil à l’Egalité publie un rapport accablant
Le HCE (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) a publié très récemment un rapport sur la porno-criminalité avec un sous-titre explicite : « Mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique« .
Epais de 216 pages, le rapport comporte à la fois des constats et des recommandations. Le rapport du Sénat « L’enfer du décor », dont Alliance VITA a fait une analyse ici, est cité comme « excellent ». Selon le HCE, la pornographie est la représentation de l’esclavage sexuel. Selon la définition du Conseil d’Etat dans un arrêt de décembre 2017, la pornographie désigne des contenus » comportant des scènes de sexe ou de grande violence de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser sans aucun parti pris esthétique ou procédé narratif « .
Dans son rapport, le HCE a décidé de se concentrer sur l’industrie pornographique. Il rappelle deux repères chronologiques: l’explosion dans les années soixante de la production de contenus, sous un couvert « glamour », et la mutation profonde à partir de 2006 avec les vidéos en streaming sur internet en accès libre.
Le rapport comporte 4 parties :
- L’examen des violences physiques et symboliques véhiculées par l’ensemble des contenus,
- L’exploitation sexuelle au niveau mondial,
- Les obligations de l’Etat à agir contre ces violences
- Les recommandations pour « sortir de l’impasse aussi bien concernant la production, la diffusion que la prévention et l’éducation ».
- Les auteurs concluent leur introduction en rappelant que « le corps des femmes n’est pas à vendre ».
Un contenu systématiquement violent, qui impacte les relations entre les femmes et les hommes
Les auteurs soulignent la présence quasi systématique de violences, physiques et verbales, contre les femmes dans des contenus accessibles en un seul clic. La violence peut s’exprimer jusqu’à la torture et aux traitements dégradants et inhumains. L’association de la souffrance et du plaisir tient d’une dimension sadique « incontestable » selon le rapport. La Procureure de la République de Paris, interrogée par le Sénat, avait d’ailleurs confirmé le caractère manifestement illégal d’une bonne partie des contenus : viols aggravés, actes de torture, traite des êtres humains, proxénétisme. Selon elle, ces qualifications pénales « permettraient de lutter contre 90% de l’activité de l’industrie pornographique ».
Le modèle économique de beaucoup de plateformes, la « course aux clics » incite par ailleurs à une surenchère de cette violence. Le rapport cite à l’appui plusieurs journalistes ayant enquêté en République Tchèque et en Hongrie, deux pays hospitaliers pour l’industrie pornographique.
Analysant nombre de contenus ainsi que les commentaires laissés par les consommateurs de vidéo, le rapport montre combien les femmes sont déshumanisées, traitées en objet. Le racisme, l’antisémitisme, la haine de l’autre, l’inceste sont présents dans nombre de vidéos largement accessibles.
La consommation est massive, et masculine à 75%. L’Arcom a publié une étude en mai 2023 sur la consommation par les mineurs. Celle-ci a rejoint désormais la consommation des adultes : 51% des garçons de 12 ans, 65% des garçons de 16 ans se rendent sur un site pornographique chaque mois, contre 55% des hommes majeurs.
L’impact psychologique est souligné par des psychologues. Le clivage « fantasme » contre « vie réelle » peut finir par s’estomper : « les représentations produites par l’industrie pornographiques finissent effectivement par s’immiscer dans la vie intime« .
Les auteurs consacrent un chapitre à une approche en neurosciences. Des études d’imagerie cérébrale ont mis en évidence le phénomène d’addiction à la pornographie et les difficultés à en sortir. Une intervenante à un colloque a relaté ce témoignage d’un jeune : « j’ai un stock d’images sales dans ma tête que je n’arrive pas à enlever« . L’activation des neurones miroirs lors de la consommation, visualisée dans des IRM, va « altérer la capacité empathique de la personne et influencer les comportements qui seront reproduits par imitation« .
L’argument souvent entendu que les images consommées n’ont pas d’impact dans la vie réelle est battu en brèche, entre autres, par une analyse publiée en 2015 qui concluait que : « La consommation était associée à l’agression sexuelle aux États-Unis et à l’échelle internationale, chez les hommes et les femmes, et dans les études transversales et longitudinales. Les associations étaient plus fortes pour l’agression sexuelle verbale que physique, bien que les deux soient significatives. La tendance générale des résultats suggère que le contenu violent peut être un facteur aggravant« .
La pornographie : un système mondial d’exploitation
L’énormité de la production de contenus ne se ferait pas sans la mise en place d’un véritable système de production. Un chiffre peut résumer la masse produite : les nouveaux contenus mis en ligne chaque jour sont équivalents à tout le contenu présent sur Netflix (15 térabytes de nouveaux contenus quotidiens). Les profits des plateformes liés aux revenus publicitaires sont colossaux, et alimentés par un système de proxénétisme exploitant les fragilités, économiques et aussi psychiques des femmes.
Le rapport dénonce fortement les opérations de communication de l’industrie pornographique française, avec des chartes et du lobby institutionnel. Il dénonce aussi le phénomène prégnant de proxénétisme et de traite humaine, y compris quand les vidéos se parent de l’appellation « porno amateur ». Une plaignante dans une procédure judiciaire contre des sociétés a résumé l’enjeu : « le porno éthique il n’existera jamais. Donc aujourd’hui il faut juste supprimer et interdire le porno« .
L’extension du réseau pornographique à la pédocriminalité est exposée par le HCE. Le NCMEC (National Center for Missing and Exploited Children), leader mondial sur les alertes à la circulation de fichiers à contenus pédopornographiques, a reçu des signalements sur 6.5 millions de fichiers en 2015. En 2019, l’organisation en a recueilli 69.2 millions.
Le système décrit dans le rapport est également mondialisé, avec l’exploitation de femmes pauvres dans la pornographie en « livestreaming ». Les auteurs consacrent aussi un passage à la porosité entre la pornographie en ligne et la prostitution. En effet, les vidéos en ligne peuvent devenir un « lieu de repérage pour les réseaux de proxénètes« .
Enfin, les tendances lourdes de la société s’observent dans l’industrie pornographique et la prostitution. Les services d’enquête français ont constaté en 2022 que la prostitution logée concernait 85% des cas, contre 9% pour des « activités » sur la voie publique.
Le rapport parle d’uberisation de la prostitution. Le recrutement des victimes, la rencontre entre « l’offre et la demande », la location du lieu, se font massivement en ligne, avec un « complément » de contenus consommables en ligne. Selon le Commissaire Général Christophe Molmy, cité, « l’hypersexualisation de la société et l’industrie de la pornographie poussent de nombreuses gamines à se porter volontaires et à tomber dans le piège« .
Comment ce système a-t-il pu s’étendre ?
Le document décrit selon ses propres termes » la banalisation d’une pornographie violente et misogyne sous couvert de libération sexuelle« . Les auteurs s’attaquent aux pratiques « d’euphémisation linguistique », destinées à neutraliser les garde-fous légaux et politiques, ainsi qu’à la défense par l’industrie d’une « bonne » pornographie dont il ne s’agirait que d’écarter des dérives actuelles. Aux Etats-Unis, la Cour suprême a restreint l’interdiction de la pornographie dans un arrêt de 1973 au nom de la liberté d’expression. Le rapport note les liens mafieux de la production d’images, attestés par des femmes victimes.
Les notions de consentement, de liberté d’expression et d’entreprise, de liberté de disposer de son corps, sont régulièrement invoqués par les partisans de la prostitution et de le pornographie. Prenant le contrepied de ces arguments, le HCE a auditionné plusieurs juristes sur ces thématiques. Des notions fondamentales dans le droit français ressortent de ces auditions, par exemple :
- La notion de dignité humaine est objective, et supplante dans notre droit celle du consentement qui, elle, est subjective et donc sujette à manipulation.
- Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable.
- Pour valider un contrat, le consentement n’est pas suffisant. Il faut aussi que le contenu soit licite, ce qui n’est pas le cas des vidéos pornographiques, produites par des violences et l’exploitation de femmes.
Le rapport note en particulier que défendre une liberté totale sur internet, au titre de la liberté d’expression ou d’un droit absolu à la vie privée, est un abus de droit qui consacre la loi du plus fort. Le rapport déplore le manque d’actions des pouvoirs publics pour juguler ce fléau alors que l’arsenal juridique, national et international existe.
Le HCE détaille un ensemble de 34 recommandations afin de rendre plus contraignante la lutte contre les violences porno-criminelles et l’exploitation sexuelle.
On notera par exemple la recommandation 14 de « donner le pouvoir à l’Arcom de bloquer les sites pornographiques ne mettant pas en place un contrôle effectif de l’âge » ou la recommandation 33 de « bannir le terme de travail du sexe de toute communication publique, Etat ou collectivité ».
Dans ce rapport, le HCE s’inscrit fortement dans une approche abolitionniste sur la pornographie, cohérente avec la législation actuelle sur la prostitution. Cette approche s’appuie implicitement sur la notion que certains actes, par leur violence, et même s’ils sont inter médiés dans des images, sont contraires à la dignité humaine. En particulier, l’interdiction de la marchandisation du corps fait obstacle à la légalisation de pratiques, qu’elles soient ou non réclamées par des particuliers, consommateurs ou producteurs. L’éthique est non seulement une question de limites acceptées socialement, mais de limites tout court.
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