« Modèle d’embryons » : l’Agence de Biomédecine publie un avis
Des recherches sur ce qu’on peut appeler des “modèles d’embryons” fabriqués de manière artificielle en laboratoire sont menées depuis quelques années dans quelques équipes (Angleterre, Israël, Etats-Unis….). Elles ont fait l’objet de récentes publications scientifiques, avec un certain écho médiatique – entre faits, fantasmes et illusoires promesses- dont Alliance VITA a proposé un décryptage fin juin. Or, à l’heure actuelle, dans les rares pays où ces recherches sont menées, les équipes scientifiques s’appuient, en l’absence de législation, sur les recommandations émises par la Société Internationale de Recherche sur les Cellules Souches (ISSCR).
C’est dans ce contexte qu’en France, le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (ABM) a souhaité définir un « avis cadre » à poser pour ce type de recherche, qu’elle vient de publier. L’ABM souligne dans son communiqué de presse qu’il “s’agit du premier document de ce type produit par une instance éthique au niveau national et international“, ce qui est notable.
Depuis la dernière loi de bioéthique votée en 2021 – qui a considérablement assoupli certaines règlementations entourant la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires – certains protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines sont soumis à déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine qui sollicite obligatoirement son Conseil d’orientation pour avis. C’est dans ce cadre que cet avis est publié.
Selon cet avis, si les premières publications sur des recherches sont récentes (2014), les progrès se sont accélérés au cours des dernières années, avec la publication de la constitution de modèles d’embryon, chez la souris et pour l’espèce humaine. Les auteurs soulignent également que leur réflexion dépend de l’état actuel des connaissances scientifiques, qui par définition, sont des connaissances en mouvement.
Concernant la terminologie, l’Agence de la biomédecine choisit d’utiliser deux dénominations : celui de « modèle embryonnaire », terme préférentiellement choisi par la société internationale de recherche sur les cellules souches (ISSCR), et celui d’ « embryoïdes », de façon équivalente.
Un avis qui s’appuie sur les guidances ISSCR
Il n’existe donc pas de réelles législations dans le monde consacrées de manière précise à ces modèles. Les guidances de l’ISSCR servent alors, par la force des choses, de référentiel.
Dans sa dernière édition, ces guidances distinguent des enjeux différents autour des “modèles non intégrés” et des “modèles intégrés”, se distinguant par les types de cellules utilisées.
- Le premier cas est un modèle dont on estime, au stade actuel des connaissances, qu’il n’aura pas la capacité de former un embryon complet.
- Dans le deuxième cas, le “modèle embryonnaire intégré”, s’il était implanté, toujours selon les connaissances scientifiques actuelles, pourrait initier un début de développement.
L’ISSCR préconise donc que “les recherches concernant les modèles intégrés doivent recevoir un aval des comités d’éthique alors que les recherches concernant les modèles non-intégrés doivent seulement être notifiées à ces mêmes comités”.
L’ISSCR maintient une interdiction d’implantation de ces modèles dans un utérus humain ou animal.
En revanche, l’ISSCR a supprimé de ses recommandations l’interdiction de culture des embryons humains au-delà de 14 jours. Au contraire, les auteurs de l’avis estiment que si “ la fixation d’une limite revêt toujours un côté arbitraire“, la limite au quatorzième jour est fondée sur des “événements embryologiques“, entre autres la possibilité pour un embryon de se scinder pour donner des jumeaux monozygotes.
Une position intermédiaire
Dans son paragraphe “sur quelles considérations éthiques peut-on s’appuyer ?“, l’avis de l’ABM présente d’abord l’intérêt scientifique des recherches dans ce domaine, et souligne que “de nombreuses applications biomédicales peuvent être envisagées“. L’avis se présente comme une voie moyenne entre une position restrictive (encadrer la recherche sur ces modèles comme la recherche sur les embryons humains) et une position dite permissive (ces modèles sont des “amas cellulaires” sans aucun encadrement spécifique à prévoir).
La “position intermédiaire” estime que les modèles d’embryons ” méritent donc un encadrement spécifique qui doit être plus souple que celui concernant la recherche sur l’embryon, mais plus strict que celui concernant la recherche sur les lignées de cellules classiques“.
Le statut des modèles
Si la position de l’ABM rejoint celui de l’ISSCR sur cette position moyenne, l’avis comporte également une position tranchée sur le statut des modèles embryonnaires.
Selon ses auteurs, ” les embryoïdes humains, par essence, ne peuvent pas être équivalents à des embryons“, et ils citent deux raisons.
- D’une part, l’absence de fécondation entre deux gamètes comme origine du modèle d’embryon,
- d’autre part “l’intentionnalité“, distinguant le “projet parental” initial d’un embryon, même s’il est ensuite donné à la recherche, de l’absence d’un tel “projet” pour les modèles embryonnaires.
L’avis n’élabore pas sur la validité de ce critère dans l’hypothèse où un chercheur aurait l’intention de créer un modèle en vue d’une implantation pour une grossesse.
Les auteurs écrivent que “le parallèle qu’on est en permanence amené à effectuer entre embryoïdes et embryons, nous impose de nous interroger sur le statut de l’embryon humain“.
Ils notent que “le développement, du zygote à la naissance, constitue ainsi un continuum, dont toute segmentation revêt un caractère artificiel” tout en citant la position du CCNE qui ” considère que définir un statut pour l’embryon est impossible“. Une forme de grand écart éthique qui interroge.
S’appuyant sur des principes généraux (proportionnalité, précaution) le Conseil d’Orientation de l’ABM édicte plusieurs recommandations concrètes à la fin de son avis :
- Un avis défavorable à l’extension de la limite à 14 jours pour la culture des embryons humains “même si les progrès scientifiques le permettent”
- L’autorisation des recherches sur des “modèle d’embryons intégrés”, notamment les plus complets, jusqu’à un stade de développement équivalent au 28ème jour du développement de l’embryon naturel, avec arrêt complet de toute expérimentation au-delà de ce stade
- L’interdiction de leur implantation in vivo.
- L’avis recommande aussi de revisiter la question du consentement pour les donneurs d’embryons ou de cellules somatiques destinées à générer des cellules souches IPS.
Une approche partielle et partiale
Pour Alliance VITA, l’avis a le mérite de poser un cadre sur des recherches récentes dont les développements sont rapides et fascinants pour des chercheurs.
Il est également louable que leur avis ne suive pas la ligne de l’ISSCR sur l’extension de la culture d’embryons humains au-delà de 14 jours.
Il reste que s’appuyer sur l’intérêt scientifique ou sur des principes subjectifs comme l’intention, pour étayer une vision éthique reste une approche partielle et partiale venant d’une Agence de recherche.
Fondamentalement, les possibilités qu’offrent les biotechnologies ne doivent pas dicter les décisions éthiques ni modifier notre regard et notre rapport aux vivants et à la vie vers un sens plus utilitariste.
Pour aller plus loin :
Des tentatives de “modèles d’embryons” fabriqués artificiellement ? Juin 2023.
Vers l’embryon artificiel : progrès scientifiques et risques éthiques. Septembre 2023.
Retrouvez toutes nos publications sur le transhumanisme.