Fin de vie : quand l’audiovisuel public fait la promotion de l’euthanasie
Documentaire de Marina Carrère d’Encausse intitulé Fin de vie : pour que tu aies le choix sur France 5
Le 26 septembre, France 5 diffusait en première partie de soirée le documentaire de Marina Carrère d’Encausse intitulé Fin de vie : pour que tu aies le choix. Annoncé à grand renfort de promotion entamée le 5 septembre sur la matinale de France Inter et poursuivie dans un très grand nombre de médias, le documentaire était précédé quelques heures avant de l’interview du médecin militant de l’euthanasie Denis Labayle sur la même chaîne.
Quelques jours plus tard, l’éditorialiste politique de France Inter, Yael Goosz s’irritait des tergiversations présidentielles et en appelait à Line Renaud : « Faudra-t-il que Line Renaud lève encore la voix pour accélérer le tempo présidentiel et qu’elle redise que « si la souffrance arrive, [elle] contournera la loi actuelle ? » tonnait-il ainsi dans la matinale la plus écoutée de France.
Ce matraquage médiatique s’est intensifié depuis qu’Agnès Firmin Le Bodo a remis son pré-projet de loi au président de la République. S’étant dit favorable au modèle belge lors de la campagne présidentielle de 2022, ce dernier semble désormais hésiter sur les conditions d’accès de « l’aide active à mourir » – suicide assisté seul ou assorti d’une exception d’euthanasie – repoussant ainsi le débat au parlement à l’année prochaine.
Fébriles, les promoteurs de l’euthanasie multiplient les appels à concrétiser le vote de la Convention citoyenne et sont relayés par nombre d’éditorialistes qui pressent le président de décider et de réinscrire ce sujet à l’agenda. On entend donc qu’il faudrait aller vite tant les Français n’en peuvent plus d’attendre mais qu’un projet de loi autorisant uniquement le suicide assisté serait aussi nettement insuffisant.
Un documentaire en forme de plaidoyer pour le modèle belge
Présenté comme une exploration des questionnements qui traversent la société sur la fin de vie et des options existant dans différents pays, le documentaire, passé l’introduction, s’ouvre sur la problématique assénée ainsi par Marina Carrère d’Encausse :
“En France aucun médecin n’a le droit d’aider un patient à abréger ses souffrances, même à sa demande. Faut-il enfin lever cet interdit ?”
La journaliste et médecin pose tour à tour sa caméra en Belgique, en France dans une unité de soins palliatifs, en Suisse et au Canada.
De la Belgique, on retient que l’euthanasie y est dépénalisée depuis plus de 20 ans et que pour en bénéficier il faut affronter une situation médicale sans issue et ressentir une souffrance physique et psychique insupportable qui ne peut être apaisée par les traitements. On s’arrête sur le témoignage de Françoise, Française qui a choisi la Belgique parce que « l’euthanasie au moins c’est clair c’est médical » et qui se réjouit : « Vous vous rendez compte de la chance que j’ai : je meurs en pleine conscience. J’appelle ça une belle mort ».
En fait de pleine conscience, le médecin chargé de l’euthanasier, décrit ainsi ce qui va se passer « Vous vous endormez rapidement sans vous en rendre compte ». Pour Marina Carrère d’Encausse, Françoise aura mené sa vie jusqu’au bout comme elle l’a toujours voulu et de conclure la séquence belge sur le constat que 50 Français environ s’exilent chaque année pour accéder à l’euthanasie.
L’équipe s’arrête ensuite à Narbonne, au cœur d’une unité de soins palliatifs lesquels sont présentés d’emblée comme « la seule porte de sortie en France quand les souffrances deviennent insupportables » et ensuite ainsi : « S’endormir pour oublier la mort qui approche, c’est la solution offerte par les soins palliatifs ». La sédation profonde et continue jusqu’au décès prévue par la loi Claeys-Leonetti de 2016, ne satisfait par Marina qui s’interroge : « pourquoi imposer la vie jusqu’au bout dans ces conditions ? N’y a -t-il pas là une forme d’acharnement ? Et puis tous les Français n’ont pas accès à ces soins palliatifs ».
La voie française, ni acharnement thérapeutique ni euthanasie mais soulagement de la douleur et soins palliatifs est jugée hypocrite, avec une confusion habilement entretenue entre sédation et euthanasie, et soumise à la toute-puissance des soignants. La séquence s’achève sur ces mots très durs : « Combien de patients sont-ils ainsi soumis au bon vouloir des médecins en France ».
Des mots auxquels Claire Fourcade, médecin dans ce pôle de soins palliatifs et présidente de la SFAP (Société française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs) a répondu ainsi : « Une petite phrase qui rend si peu justice à ce que sont les soins palliatifs en général et ce que nous vivons : un lent et patient travail d’élaboration d’une relation respectueuse à l’autre, patient, famille, soignant ». « Peut-être aussi cette équipe [les réalisateurs du documentaire, NDLR] avait-elle davantage le projet de conforter son point de vue que de le remettre en question ».
En Suisse, l’équipe suit le parcours de Louis, qui ne souffre d’aucune maladie incurable mais dont les nombreux problèmes de santé depuis son AVC suffisent pour obtenir une aide au suicide. Marina Carrère d’Encausse rappelle qu’en Suisse depuis 2014, on peut recourir au suicide assisté en raison de polypathologies invalidantes liées à l’âge. Troublée par le témoignage de Louis, elle se questionne : « Devrait-on nous aussi aider les personnes âgées à mourir sans maladie incurable ? Cela n’inciterait-il pas les plus vulnérables à s’exclure d’eux-mêmes ? » Pire encore, les personnes en incapacité de mettre fin elles-mêmes à leurs jours sont contraintes de se tourner vers la sédation comme en France.
Décidément ce modèle ne convient pas, tant il lui apparaît incohérent : « Alors que des malades condamnés ne peuvent être aidés à mettre fin à leurs jours, des personnes âgées sans pronostic vital engagé obtiennent cette aide. » Pourtant en Belgique les deux sont possibles, sans que la journaliste ne le remette en cause, puisqu’en 2022 les polypathologies comptaient pour 20% de l’ensemble des euthanasies et pour près de la moitié des euthanasies de patients qui ne sont pas en fin de vie.
L’enquête se termine au Canada, désigné comme le pays où l’on meurt le plus par euthanasie. La caméra se pose d’abord dans un funérarium qui délivre un service tout en un. Si l’un des médecins interrogés indique que l’ouverture de l’aide médicale à mourir (AMM), c’est-à-dire l’euthanasie, a permis à la société de « gagner en humanité », il pointe également des « dangers de dérapage » et ajoute : « ça c’est sûr qu’il faut être très prudent pour éviter ces dérapages-là. »
Alors qu’en Belgique, l’équipe aura soigneusement évité de mentionner la moindre dérive, comme s’il n’en existait pas, elle pointe l’ouverture de l’AMM aux personnes handicapées en donnant la parole à une ancienne combattante de l’armée. Ayant perdu l’usage de ses jambes à la suite d’un accident à l’entraînement, Christine Gauthier s’est vu proposer l’euthanasie par un agent du ministère des anciens combattants alors qu’elle ne demandait que le soutien et les services auxquels elle avait droit.
L’élargissement à venir de l’euthanasie aux personnes atteintes de maladies mentales comme la dépression et la schizophrénie, ou de maladies neurocognitives comme Alzheimer, fait l’objet de questionnements sur les limites des médecins qui seraient amenés à pratiquer des euthanasies dans ce contexte. Au record mondial de morts par euthanasie observé au Québec, Marina Carrère d’Encausse oppose que dans les autres pays ayant légiféré sur le sujet on n’a pas assisté à une explosion des demandes.
Mieux, en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas, les euthanasies pour cause de maladie mentale représentent 1 à 3% du nombre total d’euthanasies, ce qui par contraste semble satisfaire notre enquêtrice qui n’interroge jamais les dérives qu’en termes de nombres. Ouvrir l’euthanasie à des personnes atteintes de maladie mentale ne semble pas lui poser de problème éthique en soi.
Pour elle, une même loi n’a pas le même impact d’un pays à l’autre. Peut-être aurait-elle pu consulter Theo Boer. Ce professeur d’éthique de la Santé, ardent défenseur de la loi néerlandaise de 2002 et membre de la commission de contrôle de l’euthanasie des Pays-Bas jusqu’en 2014, a mis les Français en garde contre la pente glissante et l’illusion d’encadrer les pratiques euthanasiques.
« Toute législation autorisant l’aide à mourir sera considérée par certains comme une injustice et sera contestée devant les tribunaux… Ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres… Si le système le plus encadré et le mieux contrôlé au monde ne peut garantir que l’aide à mourir reste un dernier recours, pourquoi la France y arriverait-elle mieux ? »