Exportation de gamètes et d’embryon, PMA post mortem : la CEDH rend un arrêt

22/09/2023

Exportation de gamètes et d’embryon, PMA post mortem : la CEDH rend un arrêt

 

La CEDH (Cour Européenne des droits de l’homme) a rendu un arrêt sur le sujet sensible de la PMA post mortem et l’exportation de gamètes ou d’embryons.

Les faits

Deux femmes, récemment veuves, ont introduit un recours auprès de la CEDH concernant l’interdiction en France de la PMA post-mortem, et con corollaire : le refus d’exporter des gamètes ou des embryons congelés en France vers un pays qui pratique ce type de PMA.

La « PMA post-mortem » (après la mort)  signifie le fait de pratiquer une aide médicale à la procréation après le décès de l’un des membres du couple.

 

Dès la première loi de bioéthique, la PMA post mortem a été écartée par le législateur. Le code de santé publique prévoyait que  » l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination« . Lors de la dernière loi de bioéthique, ce sujet avait été l’objet de nombreux débats. L’avis du gouvernement, maintenant l’interdiction, avait été suivi finalement, et l’interdiction est donc maintenue en France. Quelques rares pays, notamment des pays frontaliers comme la Belgique et l’Espagne l’autorisent.

 

Dans les deux requêtes examinées par la CEDH, une femme demandait le transfert de ses embryons congelés, conçus avec le sperme du père, décédé depuis, l’autre femme, voulait le transfert du sperme congelé de son conjoint, également décédé.

Dans les deux cas, les Centres conservateurs ont refusé l’exportation. Le code de Santé publique, article L2141-18 stipule que  » l’importation et l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine« .

Et par ailleurs, «  il est mis fin à la conservation des gamètes ou des tissus germinaux en cas de décès de la personne« . Les tribunaux, jusqu’au Conseil d’Etat, ont confirmé ce refus d’exportation que les requérantes contestaient, d’où leur recours auprès de la CEDH pour violation de l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale). Le Conseil d’Etat, dans ces deux affaires, a considéré entre autre que l’exportation demandée visait simplement à contourner l’interdiction française de la PMA post mortem, les deux femmes n’ayant aucun lien avec l’Espagne.

 

Les arguments dans le débat sur la PMA post mortem

Les derniers débats parlementaires sur la question ont reflété les arguments « pour » ou « contre » sur ce sujet.

Pour les partisans de l’autorisation, sur le principe, seule la femme peut et doit décider de ce qu’elle veut faire. Dans cette optique, la procréation est un droit individuel sans considération de la réalité biologique qui implique toujours un homme et une femme. Après l’autorisation donnée en 2021 de la PMA pour les femmes seules, il serait, selon ses partisans, contradictoire d’autoriser une femme veuve à faire une PMA avec du sperme de donneur anonyme tout en lui interdisant d’utiliser celui de son conjoint décédé.

Pour ceux qui restent opposés à la PMA post mortem, le décès du père biologique marque la fin de tout « projet parental » du couple. Par ailleurs, dans son rapport remis en 2018 au moment du projet de révision des lois de bioéthique, le Conseil d’Etat a signalé d’autres difficultés. Le fait d’être élevé par un parent seul est « une vulnérabilité en soi ». Le fait de « naître dans un contexte de deuil est une situation qui pourrait marquer le « récit identitaire » de l’enfant nécessairement impacté par le deuil de son père« .

Troisièmement, « dans un tel contexte, il peut également être difficile de créer les conditions d’une décision apaisée de la part de la mère, celle‐ci pouvant être à la fois influencée par des pressions familiales et par l’impact d’un deuil très récent« . Enfin, sur le plan juridique, autoriser la PMA post mortem nécessite « d’aménager le droit de la filiation et le droit des successions afin d’intégrer pleinement l’enfant à la lignée du défunt« . En effet, les embryons et des gamètes conservés ne sont pas « des sujets de droit« .

 

Décision de la CEDH

A l’unanimité, la Cour a « dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention« . Dans son raisonnement, la Cour a estimé que l’ingérence dans la vie privée avait bien eu lieu et que cette ingérence était légitime. D’une part, l’interdiction de la PMA post mortem était prévue dans la loi, et donc connue des requérantes. D’autre part, cette ingérence répond «  aux buts légitimes de la « protection des droits et libertés d’autrui » et de « la protection de la morale », autrui dans ce cas étant l’intérêt de l’enfant à naître.

Par ailleurs, la CEDH « note que cette interdiction relève d’un choix politique remontant à la première loi bioéthique de 1994 et qui a été constamment réitéré à l’occasion des révisions périodiques de celle-ci et, récemment, en 2021, dans le cadre de débats législatifs approfondis. Elle constate que le processus législatif a abouti au maintien du statu quo, compte tenu des enjeux éthiques spécifiques liés à la procréation post mortem.

Elle rappelle que lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’une question de société. »

Cependant, la CEDH a ajouté que « malgré l’ample marge d’appréciation dont bénéficient les États en matière de bioéthique, le cadre juridique mis en place par ces États doit être cohérent« . Implicitement, elle vient donc questionner la cohérence du dispositif actuel suite à la légalisation de la PMA pour femmes seules.

Un ajout critiqué par une des sept juges de l’affaire, qui estime  » quil outrepasse notre rôle de juges dans le cas d’espèce et que, de manière confuse et embrouillée il contribue à indiquer à l’État français quelque chose qui va au-delà de cette affaire, sans aucune nécessité pour la Cour de se substituer au législateur« .

 

Plus fondamentalement, les dispositifs techniques de la PMA ancrent davantage les gamètes et les embryons concernés dans un statut de marchandises, exportables ou non selon les législations ou la décision de juges.

Pour Alliance VITA, l’intérêt supérieur d’un enfant ne peut être d’être délibérément conçu déjà orphelin.

Ces demandes de PMA mortem illustrent que la norme « de droit à l’enfant » est enclenchée depuis des années, alimenté par une logique où « l’offre crée la demande ». Ce désir de PMA post mortem n’existe que parce que la technique le permet. Celle-ci vient nourrir une vision de toute-puissance, dont l’horizon est de supprimer le temps et la mort.

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