L’aide médicale à mourir (AMM), l’euthanasie au Canada, source d’économies ?
Analyse approfondie des coûts de l’aide médicale à mourir au Canada.
Selon une étude publiée en 2017 avant le vote de la loi C-14, des économies budgétaires étaient estimées entre 35 et 137 millions de dollars par an. La Loi C-14 a autorisé en 2016 l’euthanasie pour les personnes dont la mort était raisonnablement prévisible à court terme. En 2020, avant le vote d’une loi C-7, élargissant les conditions d’accès à l’AMM, un rapport officiel estimait que l’extension de l’accès à l’AMM permettrait de réaliser 149 millions de dollars d’économies.
Selon leurs auteurs, ces estimations s’inscrivent dans une démarche de transparence et d’évaluation de l’impact budgétaire de mesures législatives. Tout en quantifiant les économies qui découleraient de la mise en place d’un système d’euthanasie, ils réfutent l’idée que la légalisation de l’AMM viserait des économies.
Une récente étude sur le dispositif canadien publiée sur le site des Presses universitaires de Cambridge et analysée par une précédente note expert, a pointé cependant le risque que l’accès à l’euthanasie soit privilégié au détriment d’un accès à des soins appropriés mais coûteux.
Quelle est la fiabilité de ces estimations ?
Commandé par un sénateur pour estimer les coûts financiers découlant du projet de loi C-7, ce rapport du bureau du directeur parlementaire du budget présente « une ventilation entre les coûts qui résultent de la loi actuelle (C-14) et les coûts supplémentaires qu’entraînerait l’élargissement proposé de l’admissibilité à l’AMM (projet de loi C-7) ».
Il reprend la méthodologie de l’étude de 2017 et l’ajuste en extrapolant les statistiques mises en place depuis l’application de l’AMM en 2016. Les économies résultant de la loi C-14 (en prenant en compte les coûts d’administration de l’AMM) étaient ainsi estimées à 86,9 millions de dollars en 2021, en considérant que 6465 décès sont attribuables à l’AMM. Si la loi C- 7 était votée, 1164 décès résulteraient de l’extension de l’AMM, représentant 62 millions de dollars d’économies. Au total, l’extension de l’accès à l’AMM permettrait de réaliser 149 millions de dollars d’économies au total.
Ces estimations et notamment celles de la 1ère étude de Trachtenberg et Manns reposent sur la méthodologie d’un article[1] publié aux Etats Unis 20 ans plus tôt, lequel s’appuyait sur 3 facteurs pour évaluer les économies potentielles issues de la légalisation du suicide médicalement assisté :
- La proportion du nombre de patients candidats à l’euthanasie,
- Les effets de l’”intervention”, c’est à dire l’euthanasie, sur le reste à vivre du patient,
- Les coûts totaux de prise en charge de la fin de vie.
Passées au crible des statistiques, les estimations réalisées au regard de chacun de ces facteurs s’avèrent peu fiables voire erronées.
Ainsi du nombre de « patients » candidats à l’euthanasie. Alors que le rapport de 2020 anticipait 6465 décès dus à l’euthanasie en 2021 soit 2,2% du nombre total de décès, 9845 décès par “AMM-C14” ont été recensés en 2021 (soit 3,3% des décès) selon les statistiques officielles. Ces mêmes statistiques révèlent aussi l’erreur d’estimation du nombre de décès supplémentaires attribuables à l’AMM dans le cadre de l’extension C-7. 1164 décès par AMM C-7 étaient estimées par le rapport. En réalité, 219 personnes sont décédées dans ce cadre.
Pour estimer le « reste à vivre », l’étude de Trachtenberg et Manns s’est appuyée sur une étude conduite aux Pays Bas fondée uniquement sur des estimations médicales prédictives sur enquêtes, sans vérification possible et profondément dépendantes de la pathologie et de la personne.
En revanche, elle fait l’impasse sur des données montrant que le diagnostic des médecins sur la durée de vie résiduelle d’un patient en fin de vie est précis seulement dans 20 % des cas : dans 63% des cas la durée de vie est surestimée. La tendance à la surestimation a non seulement pour effet d’augmenter les économies affichées mais a aussi des conséquences sur la date d’admission tardive dans les services de fin de vie ce qui peut entrainer une utilisation de traitements lourds très coûteux au lieu d’orienter vers des structures palliatives par exemple pour améliorer la qualité de vie.
Alors que le rapport de 2020 estimait que « la vie des personnes sera raccourcie de trois mois dans 45% des cas », en 2019 les statistiques officielles révélaient que 60% des personnes ayant formulé une requête d’AMM sans l’avoir obtenue meurent dans les 10 jours qui suivent leur demande.
Enfin pour évaluer les coûts de santé des patients demandant l’AMM, le rapport de 2020 a appliqué une réduction des coûts standards de 50% pour 80 % des personnes demandant l’AMM en prenant l’hypothèse que cette proportion aurait bénéficié de soins palliatifs. Or, cette proportion a été fortement relativisée par un récent article qui mentionne que ”l’accès aux soins palliatifs avant la proposition d’AMM aux patients était en fait beaucoup plus faible que rapporté. “. Par ailleurs, le montant de réduction de 50% est une simplification majeure par rapport à la diversité des pathologies des personnes demandant l’AMM au Canada (cancers principalement) engendrant des coûts variant du simple au triple au sein de la catégorie des cancers.
Au final, l’estimation d’économies potentielles résultant des dispositifs d’Aide Médicale à Mourir au Canada s’appuie sur des hypothèses peu fiables et sans base scientifique et statistique. Ce type de publication interroge néanmoins. Dans des pays vieillissants où les coûts de santé pèsent sur les comptes publics, la légalisation de l’euthanasie pourrait être interprétée comme une démarche des gouvernements pour faire des économies aux dépens du bien-être et de l’accompagnement des citoyens.
[1] Emanuel EJ, Battin MP. What are the potential cost savings from legalizing physician-assisted suicide. N Engl J Med 1998;339:167-72, 1998
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