Le professeur Xavier Ducrocq est neurologue et exerce depuis près de 40 ans en milieu hospitalier. De par sa spécialité, il accompagne des patients atteints de SLA (ou maladie de Charcot) en phase diagnostic, en suivi des phases de la maladie et assure le lien avec les équipes spécialisées ou de soins palliatifs.
1. Quelles sont les manifestations de la SLA (sclérose latérale amyotrophique) ou maladie de Charcot ?
La SLA réalise une paralysie musculaire généralisée, rapidement progressive, d’évolution fatale en 2 à 3 ans en moyenne. Elle est due à une dégénérescence des neurones moteurs de la moelle épinière et de la partie basse du cerveau, (le bulbe rachidien.) La paralysie débute le plus souvent dans les membres inférieurs, puis atteint en quelques mois les membres supérieurs.
Elle touche l’ensemble de la musculature, y compris respiratoire. Lorsqu’elle atteint le bulbe, elle affecte la déglutition et la phonation entrainant des difficultés croissantes puis la perte de la capacité de mâcher, d’avaler, de parler.
Certaines formes, rares, évoluent beaucoup plus lentement. Il existe des cas extrêmes comme celui du physicien Stephen Hawking qui a vécu 56 ans avec cette maladie, ce qui nous montre aussi qu’elle n’atteint pas les capacités intellectuelles. Certaines formes vont toutefois se compliquer de démence frontale.
On estime qu’environ 8 000 personnes sont affectées par la SLA. Comparée à d’autres maladies dites neurodégénératives, elle est 10 à 15 fois moins fréquente que la maladie de Parkinson, elle-même beaucoup moins fréquente que la maladie d’Alzheimer.
2. Comment est organisée la prise en charge ?
Il n’existe pas de marqueur spécifique de la maladie. Le diagnostic repose sur la clinique, la rapidité d’évolution, et l’électromyogramme qui analyse le fonctionnement des nerfs et les muscles. Le fait que l’on n’ait pas de marqueur est frustrant. L’incertitude ne permet pas d’agir avec la même aisance que lorsqu’on est certain d’un diagnostic. Il n’existe pas actuellement de traitement curatif.
Les principaux axes de recherche consistent à essayer de comprendre l’origine du processus de dégénérescence dont on ignore toujours la cause.
Des centres experts SLA ont été créés pour essayer de mieux coordonner les soins, la prise en charge respiratoire et les autres symptômes. Il en existe une vingtaine en France mais certains peuvent être éloignés du lieu de vie des personnes qui au fil du temps ont de plus en plus de difficultés à se déplacer.
D’autre part, le centre sert à bien accompagner ponctuellement mais pas sur le long terme. A un certain stade, la prise en charge peut se faire dans un hôpital de proximité et ultimement par une structure de soins palliatifs. Ce sont des patients à accompagner jusqu’au bout et plus on avance dans la maladie, plus l’accompagnement nécessite davantage d’intervenants pour vraiment s’adapter aux patients. Or bien souvent la Médecine s’exerce dans la vitesse et la rentabilité. Cette maladie vient percuter la logique de rentabilité économique et les problèmes d’effectifs soignants.
Il s’agit d’une médecine humble où le médecin doit de se mettre à l’écoute du patient pour s’adapter à ses besoins. Le médecin peut être force de proposition, mais toujours dans un souci d’ajustement, ce qui est délicat. Cette maladie soulève toutes les questions éthiques de fin de vie notamment celle de l’acharnement thérapeutique : la pose d’une gastrostomie*, une assistance respiratoire plus ou moins invasive sont-elles raisonnables ? La réponse n’est jamais absolument exacte.
Pour les soignants, il est délicat d’anticiper les étapes (l’insuffisance respiratoire ou les problèmes de déglutition ) qui vont immanquablement intervenir à un moment ou un autre sans nuire à la vie présente du patient.
D’où l’importance de la prise en charge palliative. La culture palliative, née en cancérologie, s’est petit à petit diffusée dans les services traitant les maladies neurologiques. Si l’insuffisance respiratoire d’un patient qui a une SLA n’est pas différente en soi de celle d’un insuffisant respiratoire après bronchite chronique, il existe malgré tout une spécificité de la SLA : le patient ne communique pas aussi facilement que les autres ; il est beaucoup plus dépendant physiquement parce qu’il est totalement paralysé.
Les soins sont beaucoup plus lourds : c’est pourquoi les services de soins palliatifs et les neurologues collaborent pour bien accompagner ces malades. Ce travail ensemble permet de s’ajuster au patient avec la meilleure connaissance possible de sa pathologie. Les soins palliatifs peuvent répondre à tout ce dont un patient atteint de SLA en fin de vie peut avoir besoin.
3. Pourquoi cette maladie est-elle aujourd’hui stigmatisée et utilisée pour revendiquer l’euthanasie ?
C’est une maladie incurable, d’évolution assez rapide. La paralysie progressive entraine la perte de toutes les capacités physiques. On devient totalement dépendant, vulnérable ; la communication elle-même peut devenir extrêmement compliquée.
Mais il y a de nombreuses maladies aussi difficiles qui ne sont pas stigmatisées comme celle-là. Peut-être parce que le patient avec une SLA garde toutes ses facultés intellectuelles dans l’immense majorité des cas. Se voir diminuer ainsi est douloureux, pour le patient comme pour les proches.
Mais je suis surpris que cette maladie soit utilisée pour justifier l’euthanasie. Si la fin de vie d’un patient atteint de SLA est souvent marquée par l’insuffisance respiratoire, les grands insuffisants respiratoires, confrontés à des questions similaires, sont bien plus nombreux, sans pour autant qu’on les stigmatise de la même façon.
Le problème d’une loi qui définirait la SLA comme éligible à l’euthanasie ou au suicide assisté, c’est d’en faire une espèce de prêt-à-porter, de modèle dans lequel il faudrait entrer. Ce qui serait forcément réducteur, chaque situation étant unique. Cela pourrait beaucoup réduire les possibilités de dialogue et d’approche du patient. La légalisation risque de créer une sorte d’obligation pour le patient. Les patients s’adaptent si on leur donne le cadre et les moyens pour le faire.
Un patient atteint de SLA me disait : « je ne voulais pas que mes filles me voient comme ça, diminué, comme je suis. » Et dans le même temps, quelques minutes après, il allait aussi me dire : « On est dans un autre rapport. On est plus proches, on s’est dit des choses qu’on ne s’était pas dites auparavant. » Lorsque son état respiratoire s’est dégradé, il a réitéré sa demande de sédation terminale. Mais il voulait attendre l’anniversaire de sa fille.
On a donc attendu l’anniversaire de sa fille et quelques jours avant, il est mort de lui-même sans qu’on n’ait rien fait de particulier. En service de soins palliatifs depuis plusieurs mois, il recevait quotidiennement les visites de son épouse et de ses filles.
L’histoire de ce patient est éloquente. Quand il raisonne, il veut l’euthanasie, puis il veut la sédation. Et quand il revient au réel, ce n’est pas le moment, il y a toujours autre chose à faire du début de la maladie jusqu’à la fin. Son ambivalence est permanente.
C’est un phénomène bien connu déjà depuis longtemps et en particulier par les services de soins palliatifs. C’est vrai quelles que soient les maladies terminales. Cette ambivalence en fin de vie est tout à fait classique, respectable et salutaire même. Le tout, c’est de pouvoir l’entendre. Or si on légalise l’euthanasie ou le suicide assisté, on va priver ces patients de cette liberté de parole. Certains n’oseront plus l’évoquer par peur du passage à l’acte, par peur des conséquences. Alors qu’aujourd’hui ils ont cet espace de liberté de pouvoir dire ce qui les habite et c’est un appel à l’écoute, au dialogue.
Pour ce patient, derrière sa revendication d’euthanasie, il y avait le souhait de parler simplement, de dire ce qui le faisait souffrir et que ce soit entendu.
Après 40 ans d’exercice de la médecine, et de la neurologie en particulier, je fais encore le constat aujourd’hui de la capacité des personnes à s’adapter à la nouvelle condition que crée la maladie, même la plus handicapante. Au fond de chacun je constate que des ressources vont être mobilisées pour donner un autre sens à sa vie et souvent moins superficiel qu’auparavant.
*Procédé qui permet d’administrer directement des nutriments dans l’estomac lorsqu’une alimentation par la bouche est impossible.
Pour aller plus loin : Etude sur les enjeux de la loi Leonetti pour les patients atteints de SLA
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