Bien-être animal, cause animale, ces expressions sont couramment utilisées sans que l’on précise forcément leur contenu. Cette imprécision peut d’ailleurs être une stratégie de communication : se dire « contre le bien-être animal » paraitrait malvenu. Alors que des mouvements antispécistes se manifesteront fin août à l’occasion d’une journée auto-proclamée « pour la fin du spécisme », il est intéressant de se pencher sur les notions invoquées.
Bientraitance ou bien-être animal ?
Le ministère de l’agriculture publie sur son site une définition, reprise d’un avis de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Selon cette définition, le bien-être animal serait « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal« .
Deux notions importantes sont incluses dans cette définition. D’une part, le bien-être comprend une part de « santé mentale » et pas seulement physique. D’autre part, ce bien-être se veut défini à partir des ressentis de l’animal lui-même, de son point de vue pourrait-on dire. Une page du site de l’ANSES précise la distinction entre « bientraitance animale » et « bien-être animal » :
« La bientraitance correspond aux actions que l’humain engage ou réalise dans l’intention de répondre aux besoins des animaux tels qu’il les interprète, comme bien nourrir, bien loger, soigner. Il s’agit d’une démarche anthropocentrée qui ne tient pas compte du ressenti de l’animal ou des émotions positives« .
Mais derrière cette affirmation se tient une question de taille : peut-on vraiment parler au nom de l’animal ? Quel est le sens pour des humains de prétendre pouvoir accéder au point de vue d’un animal ?
Le site de l’ANSES donne des éléments de réponse partiels. Le bien-être animal serait visible par l’observation de modifications du comportement de l’animal, et l’étude de la physiologie de l’animal (état de santé, niveau de production…). Ces observations et études étant faites par des humains, il parait difficile de prétendre aboutir à un « point de vue animal ».
On peut en revanche tâcher d’objectiver des observations pour arriver à des mesures quantitatives. C’est ce que s’efforce de faire plusieurs associations ou institutions parapubliques. Ainsi, le Centre national de référence pour le bien-être animal (CNRBEA), institué en France en 2017 suite à une loi votée en 2014, met à disposition du public une librairie importante de documents et d’articles sur le thème du bien-être animal.
Parmi ceux-ci, le « protocol Welfare quality » est un outil de portée internationale. Pour plusieurs espèces d’animaux d’élevage, des critères, répartis en catégories (nourriture, bâtiment, conditions sanitaires et « comportement appropriés ») sont observées et notés par des humains pour arriver à une note globale de « bien-être ».
Ainsi, de bout en bout, le processus reste établi et contrôlé par une chaine de professionnels humains et témoigne du souci, également humain, de bientraitance des animaux. L’extension et le raffinement des recherches et études sur ce thème sont très importants. Un exemple entre mille : le moteur de recherche du CNRBEA référence un article coréen sur « l’analyse de différentes expressions faciales des chevaux comme indicateur de bien-être en utilisant l’apprentissage profond » (deep learning)!
Cause animale : une grande complexité de positions
La cause animale est un concept large. Il peut s’entendre comme le refus de la maltraitance et de la cruauté envers les animaux, l’attention aux conditions de bientraitance dans les élevages (considérations éthiques), la protection d’environnement adapté à des espèces sauvages, une régulation des prélèvements d’espèce par la pêche et la chasse (considérations écologiques) jusqu’au refus de toute expérimentation animale y compris dans la recherche pharmaceutique.
Le concept peut comprendre la mise en place d’un véritable « droit des animaux« , ces droits étant eux-mêmes plus ou moins larges.
Une déclaration des droits de l’animal est proposée depuis 1978 par la Fondation Droit Animal. Les 8 articles restent assez généraux dans la formulation et plutôt centrés sur la bientraitance. La loi votée en France en novembre 2021 a renforcé les dispositifs de lutte contre la maltraitance. Une fin programmée des spectacles d’animaux sauvages (cirques, delphinarium, montreurs d’ours ou de loups…) est également incluse dans la loi.
Des philosophes ont poussé bien plus loin. Partant de l’idée que la sentience est partagée également entre les animaux et les humains, il s’agira alors de refuser toute souffrance et toute « exploitation » animale. Il faudrait selon certains auteurs accorder aux animaux un statut de résident dans la cité au sens large (Zoopolis, idée de communauté citoyenne entre humains et animaux), de prendre en compte leur histoire relationnelle dans leur espèce et entre espèces…
Le refus de « l’exploitation » des animaux relève du véganisme (refus de consommer tout produit de provenance animale) sur le plan du comportement individuel, et de l’antispécisme sur le plan idéologique et politique. Une anecdote rapportée par la presse au début de l’été illustre la question de « l’exploitation ». Le parti animaliste s’est élevé contre le transport de touristes en calèche dans des villes touristiques au motif allégué que c’est « incompatible avec le respect des besoins biologiques des chevaux« . Une gérante d’entreprise de calèche a reçu des menaces et a décidé de porter plainte.
La prédation, une réalité qui bouscule l’argumentaire des antispécistes
Si la cause antispéciste a une caractéristique, c’est d’être elle-même rattachée aux humains : établie par des humains, pour convaincre des humains avec des moyens humains. Il parait difficile de réclamer une fin totale de toute « exploitation » des animaux par les humains en passant sous silence la réalité de la prédation dans l’ensemble du monde animal.
La réalité n’est pas source de toute norme, mais le fait massif de cette prédation conduit soit à accepter les différences entre espèces soit à devoir transformer de fond en comble le monde animal en cherchant à réduire toute souffrance, même dans le monde sauvage, avec un programme de « changement de la nature », revendiqué par certains antispécistes.
En attendant, on peut noter que le souci légitime de la bientraitance envers les animaux est une manifestation du caractère moral des humains en tant qu’espèce.