PMA : réserve du Conseil constitutionnel sur les informations du tiers donneur
Le Conseil Constitutionnel vient de valider les dispositions en vigueur issues de la loi bioéthique de 2021, avec une réserve pour les donneurs anonymes ayant donné leurs gamètes avant l’adoption de la loi .
Pour les personnes nées à la suite d’une AMP (Assistance Médicalisée à la Procréation, communément dénommée PMA), avec recours à des gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes) d’un donneur anonyme, la question de l’accès aux informations sur leur(s) géniteur(s) est très sensible.
Les grands principes du don de gamètes fixés lors des premières lois de bioéthique de 1994 étaient : la gratuité, le consentement libre et l’anonymat. Mais la dernière révision de la loi bioéthique de 2021 est venue changer le système en profondeur.
Pourquoi la levée de l’anonymat ?
Depuis longtemps déjà, l’anonymat était fortement remis en cause, et d’abord par des personnes nées de don elles-mêmes. À l’époque, on avait pensé à la place de ces enfants — désormais adultes — que naître d’un don anonyme resterait sans effet ou même qu’il serait mieux pour eux que le secret soit bien gardé. Depuis, nombreux sont ceux qui sont revenus en boomerang prouver que c’est faux. Si bien que plus personne aujourd’hui ne conteste leur besoin de savoir qui est ce parent biologique, quel est son visage, son histoire, son âge et la raison de son don… mais aussi, de découvrir s’ils ont des demi-frères et sœurs.
Connaitre leurs origines n’est pas anodin, mais un réel besoin qu’ils ont exprimé. Même si la filiation ne peut se résumer à la biologie (pensons aux adoptions), le lien biologique ne peut être balayé comme ne comptant pour rien, ou n’étant qu’une simple idée. Plusieurs associations représentant les personnes nées de dons anonymes réclamaient donc cette levée de l’anonymat.
Par ailleurs, la technique des tests d’ADN et leur accès facile ont permis à de nombreux adultes de retrouver le donneur à l’origine de leur conception. Comme Arthur Kermalvezen-Fournis, des témoignages ont démontré la facilité – imprévue à l’époque – avec laquelle la technologie permet aujourd’hui de retrouver un parent biologique, ce qui rend désuet ce maintien de l’anonymat. L’importance de l’historique médical de ses ascendants biologiques pour le suivi de sa propre santé, justifie également le droit à connaitre ses origines.
En parallèle, lors des états généraux de la bioéthique en 2018, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait publié un avis dans lequel il se positionnait pour la levée de l’anonymat au nom d’un droit d’accès à la quête des origines et du fait de l’évolution de la technologie, à la fois sur le plan du génome et des accès aux données (« Big data »).
Que prévoit la loi actuellement ?
La dernière loi de bioéthique votée en 2021 a donc acté de nouvelles dispositions pour accéder à l’identité du tiers donneur. Ces dispositions sont inscrites au code de la Santé publique. L’article L 2143-2 stipule que :
- Toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes* du tiers donneur.
- Les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leur embryon à l’accueil consentent expressément et au préalable à la communication de ces données et de leur identité, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article. En cas de refus, ces personnes ne peuvent procéder à ce don ou proposer cet accueil.
- Le décès du tiers donneur est sans incidence sur la communication de ces données et de son identité.
- Ces données peuvent être actualisées par le donneur.
Ces nouvelles dispositions ont donc établi deux régimes successifs avec un anonymat strict jusqu’à la loi de 2021 et l’accord préalable de levée de l’anonymat pour tout nouveau don depuis 2022, afin que les enfants, devenus majeurs, puissent accéder à l’identité du donneur.
Le décret d’application paru en août 2022 a prévu des dispositions pour les deux cas. Pour les enfants conçus grâce à un don postérieur au 1er septembre 2022, le donneur a expressément accepté la levée de l’anonymat. L’enfant devenu majeur (soit 18 ans plus tard…) aura donc accès à sa demande. Une commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données de tiers donneur (CAPPAD) est en charge de gérer les demandes.
Pour les personnes issues de dons antérieurs, elles peuvent aussi s’adresser à cette Commission pour demander l’accès, la CAPPAD se chargeant alors d’adresser la demande au donneur. Cela est déjà arrivé, une personne a retrouvé son père biologique, par ce biais, alors même que son géniteur avait procédé à un don de sperme à une époque où l’anonymat lui avait été garanti, et où nous étions loin d’imaginer que les progrès de la science et des connaissances génétiques permettrait de le rendre caduque. Mais le donneur est aussi en droit de refuser que ses informations soient divulguées.
La loi fixe actuellement à un maximum de 10 le nombre d’enfants issus d’un même donneur. Les nouvelles dispositions peuvent ainsi donner lieu à des contacts répétés de la CAPPAD auprès d’une personne ayant procédé à un don de gamète avant septembre 2022.
La décision du Conseil Constitutionnel
C’est dans ces cas de demandes de levées de l’anonymat antérieures à 2022 qu’intervient la décision du Conseil Constitutionnel. Celui-ci avait été saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) par le Conseil d’Etat.
Le requérant reprochait aux nouvelles dispositions de « prévoir qu’un tiers donneur, ayant effectué un don de gamètes ou d’embryons à une époque où la loi garantissait son anonymat, peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur afin de recueillir son consentement à la communication de ces données, sans lui permettre de refuser préventivement d’être contacté ni garantir qu’il ne soit pas exposé à des demandes répétées. Il en résultait selon lui une méconnaissance du droit au respect de la vie privée. »
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a écarté le « grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée » et déclaré conforme à la Constitution les dispositions contestées. Mais il a apporté une réserve, suggérée pendant les auditions par le représentant du gouvernement. Selon la décision, les dispositions validées « ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne« . En pratique, il faudra éviter une multiplicité de contacts après un premier refus du donneur.
Un don de gamète n’est aucunement comparable à un don d’organe ou de sang. Le gamète est à l’origine d’une nouvelle vie et fait du donneur ou de la donneuse le parent biologique de l’enfant ainsi né. Même en l’absence de lien de filiation juridique, des liens biologiques, génétiques, épigénétiques laissent une empreinte qui peut être ressentie comme importante par la personne née de don. Il n’est pas certain que les nouvelles dispositions d’accès aux origines suffisent pour clore les questions soulevées par la procréation médicalement assistée.
Car au fond, ces nouvelles dispositions visent à pallier des difficultés désormais bien identifiées pour les enfants nés par un don de gamètes, sans pour autant remettre en question l’origine de ces difficultés : l’AMP avec donneur, autorisée et même élargie par la loi bioéthique de 2021.
Rappelons enfin que notre pays a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce texte à valeur juridique internationale est contraignant, c’est-à-dire supérieur à notre droit français. Il s’impose aux États, parlements, gouvernements et présidents…
Or ce texte pose le droit pour tout enfant, dès sa naissance, à un nom, une nationalité et, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux. Notre loi – qui organise par avance et de manière délibérée la conception d’un enfant d’une manière qui fait disparaître le père ou la mère ou permet seulement à l’enfant de connaitre « l’identité » de son géniteur à sa majorité — n’est assurément pas respectueuse de ce droit.
Le 2 juin 2023, le comité des droits de l’enfant de l’ONU a enjoint la France de permettre aux enfants nés par AMP avec donneur d’avoir accès à leurs origines quand ils en font la demande y compris avant 18 ans.