Une opposition multiforme à l’euthanasie et au suicide assisté
Des voix diverses s’élèvent contre une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté : politiques, professionnels de la santé, et aussi citoyens parmi lesquels des personnes confrontées au handicap. Sans être exhaustives, ces prises de position montrent de profondes fractures face à un projet présenté comme devant être consensuel et un débat loin d’être apaisé.
Des politiques de tous bords expriment leurs réserves sur l’euthanasie et le suicide assisté
Parmi les personnalités politiques, deux ministres directement concernés se sont récemment exprimés.
Le ministre de la Santé, François Braun, dès le mois d’avril s’était exprimé dans un entretien au Monde pour rappeler que : « accompagner la mort, ce n’est pas donner la mort ».
Très récemment, le 23 juin 2023 Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées mettait en garde contre toute évolution législative dans un entretien au Figaro : «Une loi sur l’aide active à mourir risquerait de nous faire basculer dans un autre rapport à la vulnérabilité» et « l’auto-effacement » des personnes les plus fragiles.
L’ancien directeur de la Croix Rouge parle d’expérience. Il propose ce que devrait être le modèle français demandé par le président de la République : « Un modèle fait du refus de l’obstination thérapeutique déraisonnable, de soins palliatifs mieux connus et plus précoces, de soutien aux aidants, de liens sociaux pour lutter contre le fléau de la solitude et de regards aimants sur la personne souffrante. »
Ce mercredi 28 juin la commission des affaires sociales du Sénat remettait un rapport jugeant « inappropriée et dangereuse » toute forme de mort programmée. Quant au président du Sénat, Gérard Larcher, interrogé par BFM le 13 avril dernier, il s’était dit « extrêmement réservé » rappelant que » 2/3 des Français n’ont pas accès aux soins palliatifs en France, c’est cela ma priorité ! »
Début mai, c’est François Bayrou, président du Modem, parti affilié à la majorité présidentielle qui faisait part de ses réserves intimes sur la fin de vie « Ne faisons pas un service public pour donner la mort ».
Enfin de manière inédite, 6 députés de partis différents (PCF, PS, LR, Modem, Renaissance et Horizon) ont signé une tribune transpartisane le 22 juin 2023 dans le Monde rappelant que « la fin de vie est encore la vie » et que « le soignant ne doit jamais disposer du droit de vie et de mort sur celui qui se confie à lui. » Ils soulignent que le patient doit pouvoir « partager ses peines et ses craintes les plus intimes sans que jamais le lieu où l’on soigne ne puisse être celui où l’on donne la mort. »
Les professionnels du soin font entendre leur opposition
En avril 2023, le Conseil national de l’ordre des médecins s’est dit « défavorable à la participation d’un médecin au processus qui mènerait à une euthanasie » et à sa participation active au suicide assisté. Dès le mois de février 2023, 13 organisations représentant 800 000 soignants ont publié un avis éthique sur les conséquences d’une potentielle légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté et qui réaffirme que « donner la mort ne peut être considéré comme un soin ». Ces organisations qui représentent divers métiers (infirmiers, gériatres, soins palliatifs, cancérologie, hospitalisation à domicile, EHPAD et secteur médico social…) alertent le législateur sur les menaces que ferait peser une telle évolution sur les personnes vulnérables.
Mobilisation également de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) qui interpelle le gouvernement et la société « Veut-on tuer les personnes âgées pour faire des économies ? ». Cette association rappelle que « bon nombre de citoyens âgés souffrent de syndromes dépressifs notamment liés à la solitude » et refuse qu’il soit « question d’inviter des personnes âgées à mourir parce qu’on ne leur aurait pas donné les moyens de vivre leurs dernières années correctement. ».
Les personnes vulnérables et handicapées se retrouvent en première ligne
Philippe Pozzo di Borgo, l’homme qui a inspiré le film Intouchables, «chef de file des anti-euthanasie » titrait Le Parisien dès octobre 2022. Parrain du Collectif Soulager mais pas tuer, celui qui vient de nous quitter début juin signait une tribune dans Ouest France en décembre 2022 invitant à signer son appel « aidons-nous à vivre, pas à mourir », déjà soutenu par des dizaines de milliers de personnes. Son engagement a fait des émules.
Edwige Mouttou, 44 ans et atteinte de la maladie de Parkinson depuis 9 ans, publiait pendant la convention citoyenne une lettre ouverte au philosophe pro-euthanasie André Comte-Sponville : « Donner la liberté de recourir au suicide assisté c’est autoriser la société à faire pression pour que certains aient l’élégance de demander la mort et ne pas peser ». De son côté, Caroline Brandicourt, atteinte d’une maladie dégénérative et porte-parole du collectif vient de parcourir 1200 km à vélo à travers 12 départements dépourvus de soins palliatifs pour demander leur généralisation partout et pour tous.
Elle témoigne que « Le plus triste, le plus déprimant, ce n’est ni la dépendance, ni la maladie mais bien la solitude et le sentiment de rejet et d’exclusion. L’idée même de l’euthanasie, ça me coupe les jambes et me décourage. »
Le 28 juin, ce sont 111 personnes concernées par le handicap ou le grand âge qui signaient une tribune en écho au manifeste des 109. Pour la plupart en bonne santé, les signataires du manifeste militaient pour réclamer « un droit de mourir », publié en mars 2023 dans l’Obs.
Les personnes les plus concernées répondent : « Nous, personnes handicapées, entravées dans notre corps, dépendantes, porteuses d’un handicap moteur ou mental, malades atteints de maladie grave comme des cancers ou la maladie de Charcot, pour certains de nous, âgés ou proches de la mort, anonymes, nous demandons à être considérés, accompagnés et encouragés. »
Depuis l’étranger, Theo Boer, professeur d’éthique de la santé et ancien membre d’un comité de contrôle de l’euthanasie des Pays-Bas met en garde la France contre la volonté de légiférer. Il explique qu’aucun encadrement ne tient. Il constate une augmentation progressive des cas d’euthanasie aux Pays-Bas, une extension progressive des critères (mineurs, handicaps, maladies mentales ..), et une croissance du nombre de suicides.
Il explique que dans son pays les gens demandent l’euthanasie par peur d’être un fardeau. C’est l’une des raisons, sinon la raison essentielle, de demander une mort administrée.
Autant d’alertes essentielles qui doivent faire réfléchir nos gouvernants.
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