Des tentatives de « modèles d’embryons » fabriqués artificiellement ?

30/06/2023

De quoi parle-t-on ?

 

« Embryons de synthèse », « embryoïdes », « embryon humain synthétique », « simili-embryons », « modèles embryonnaires », « embryon dérivé de cellules souches », « imitations d’embryons humains en laboratoire » « blastoïdes » … c’est sous toutes ces appellations alambiquées que la presse a relayé les annonces de deux équipes de chercheurs. Elles ont été faites lors de la réunion annuelle de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR) qui s’est tenue à Boston, le 14 juin 2023.

Les deux équipes sont celles du professeur Magdalena Zernicka-Goetz de l’université de Cambridge et du California Institute of Technology et celle de Jacob Hanna, de l’Institut Weizmann en Israël.

Il est complexe, en effet, de dénommer avec justesse les résultats des expérimentations dont il est question. Il s’agit de tentatives d’agrégations de cellules souches entre elles. Pour faire simple : ces travaux ont pour objectif de créer artificiellement des modèles biologiques en combinant différents types de cellules souches. Ce sont ces cellules qui ont des propriétés singulières: elles sont dites pluripotentes car elles ont la propriété de pouvoir se différencier indéfiniment pour former la plupart des tissus de l’organisme.

Les cellules souches peuvent être obtenues de plusieurs manières : soit prélevées sur des embryons (ces cellules sont des lignées établies à partir d’embryons humains, issus de Fécondation In Vitro (FIV) et ayant été (aban)donnés à la recherche), soit prélevées dans des tissus particuliers (moelle osseuse, tissus graisseux, sang de cordon ombilical) ou encore générées artificiellement par la technique dite des IPS à partir de types cellulaires déjà différentiées (exemple, cellules de peau).

Dans ce type d’expérimentations, les chercheurs cultivent l’un ou l’autre ou plusieurs types de ces cellules ensemble, dans l’objectif de les voir s’organiser entre elles en structure pouvant avoir des similitudes avec des embryons.

Ces structures n’ont donc pas été obtenues comme le sont naturellement des embryons : à savoir par une fécondation, la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovocyte.

Ce ne sont donc pas des « embryons » à proprement parler, utiliser cette terminologie d’embryon n’est pas exact. Un embryon qu’on laisse se développer aboutit à un individu. Ces modèles ne le peuvent pas.

« Synthétique » n’est pas non plus un adjectif tellement approprié, attendu que les cellules utilisées ont été prélevées sur de « vrais » embryons ou sur d’autres sources vivantes.

Qu’ont annoncé les équipes ?

Il est important de noter que leurs travaux n’ont pas encore été soumis à des comités de lecture.

L’équipe de Magdalena Zernicka-Goetz aurait constitué ses modèles avec des cellules souches embryonnaires humaines reprogrammées (des cellules prélevées sur des embryons humains, à un stade précoce de leur développement, soumis à une technique de reprogrammation).

Celle de Jacob Hanna n’aurait pas utilisé de modifications génétiques, seulement des cellules souches embryonnaires. D’après l’équipe, le modèle aurait pu se doter d’une organisation très complexe et commencer à montrer un début de différenciation des tissus.

Pourquoi ces recherches ?

Ce sont essentiellement des modèles de recherche, en vue d’acquérir de nouvelles connaissances. Les perspectives de progrès thérapeutiques et de profits sont également envisagées. Le développement embryonnaire précoce fascine les chercheurs.

« Nous ne connaissons pas l’embryon humain. Il fabrique tous ses organes entre le septième et le vingt-huitième jour de la grossesse. Après cela, il ne s’agit plus que de croissance pendant les huit mois qui suivent. Il y a donc ces trois semaines rapides et critiques au début où tout se joue, mais il y a une boîte noire », a expliqué Jacob Hanna au Time of Israël. Les chercheurs évoquent en effet ce qu’ils appellent entre eux une « boite noire ». Cela correspond à un moment du développement où les embryons sont peu ou pas « disponibles » pour la recherche.

In vitro, la recherche sur l’embryon humain est actuellement possible jusqu’au 14ème jour. Ensuite, les données ne peuvent venir que plus tardivement d’analyses pratiquées sur des grossesses ou sur des embryons issus de fausses couches et donnés pour la recherche.

Les motivations de cette course aux annonces et de ces recherches sont multiples, plus ou moins officielles, réalistes ou aventureuses, et avec une limite évidente : ce ne sont pas des embryons « normaux » et ils sont cultivés dans des milieux qui restent artificiels.

 

Acquérir de nouvelles connaissances sur le développement embryonnaire in vitro

Les chercheurs espèrent que ces modèles pourront fournir des données complémentaires sur les étapes du développement embryonnaire, et ainsi comprendre également d’éventuelles causes de dysfonctionnements. Voire comprendre des événements du début du développement embryonnaire qui interviendraient dans les fausses couches.

Servir de modèles pour tester la toxicité de molécules

Ces structures pourraient être des modèles utiles pour tester la toxicité de molécules, comprendre les malformations favorisées par certains toxiques, médicaments ou polluants.*

Proposer une alternative à la recherche sur l’embryon humain

Ces modèles sont présentés comme pouvant être une alternative au recours à la recherche sur les embryons dits surnuméraires, particulièrement pour les modèles n’utilisant que des cellules adultes reprogrammées.

Cependant, les hypothèses qui seront formulées grâce à ces modèles « devront être validées sur des embryons humains, et ne remplaceront donc pas la recherche sur les embryons issus de dons », estimait déjà en 2021 Teresa Rayon, biologiste au Francis Crick Institute (Londres).

Dépasser les limites du temps de culture de l’embryon in vitro

La limite de temps de culture sur les embryons humains en vigueur dans de nombreux pays est de 14 jours (y compris en France, depuis la loi du 2 août 2021). Cette limite se conforme à un large consensus international car elle marque le moment où l’individualité d’un embryon est assurée, à ce stade, il ne peut plus se diviser en jumeaux. C’est également à ce stade que se forme la ligne primitive, qui commence à distinguer la tête de l’embryon de sa queue et précède de peu l’apparition des premiers signes de formation du système nerveux central.

Concernant les modèles artificiels dont nous parlons, cette règle ne s’applique pas. Et pouvoir aller « plus loin » est l’une des motivations des chercheurs. Un axe de travail déjà familier à l’équipe de Magdalena Zernicka-Goetz, justement, qui est sur ce créneau de recherches depuis plusieurs années, sur les embryons humains. (Voir Embryons in vitro : toujours plus loin ? Mai 2016)

Contourner l’interdiction de créer des embryons spécifiquement pour la recherche

Ces modèles permettent également de contourner l’interdiction de créer des embryons pour la recherche.

Avant la loi de 2021, l’article L2151-2 du code de la santé publique mentionnait que « La conception in vitro d’embryon ou la constitution par clonage d’embryon humain à des fins de recherche est interdite. » Le mot embryon a ensuite été complété avec ces 5 mots : « humain par fusion de gamètes », ouvrant ainsi ouvert la porte législative à la création, pour la recherche, de ces modèles dit « sans fusion de gamètes ».

 

Ces recherches sont-elles totalement inédites ?

Fabriquer artificiellement, en éprouvette, ce type de modèles sans passer par la fécondation, sans ovule ou spermatozoïde, fait l’objet de recherches depuis quelques années déjà, en particulier sur des modèles animaux.

Des expériences avec des cellules humaines ont aussi déjà été menées. En 2018, une équipe de Cambridge publiait ses travaux. En 2021, deux autres laboratoires ont détaillé dans la revue Nature leurs essais de mise au point de ces structures organisées appelées alors “blastoïdes”, pour rappeler le mot “blastocystes”, nom scientifique donné à l’embryon humain âgé de cinq jours environ. Ce que ces structures fabriquées artificiellement entendaient déjà « imiter ».

Deux voies différentes ont déjà été empruntées par deux équipes, une américaine et une australienne. L’équipe pilotée par José Polo, professeur à l’université Monash en Australie, a travaillé avec des fibroblastes, des cellules de peau adultes. Ces cellules ont été reprogrammées, par la technique dite IPS pour ré-acquérir leur capacité originelle de pluripotence. L’autre équipe, dirigée par Jun Wu de l’université du Texas, a également utilisé ce type de cellules pluripotentes induites mais aussi des cellules souches embryonnaires humaines.

Mises en culture dans un milieu favorable, ces cellules se sont multipliées et auto-organisées pour construire des structures cellulaires complexes. Pour l’organisation cellulaire en 3-dimensions, des supports ont été utilisés : des plaques en plastique creusées de “micropuits” qui servent à agréger les cellules par sédimentation, tout en contrôlant leur nombre.

Ces études confirmaient que les cellules « communiquent » entre elles puisqu’elles se sont auto-organisées en structures cellulaires composées de cellules différentes : une couche de cellules externes (figurant le futur placenta, s’il y avait fécondation et développement “normal”) entourant une cavité remplie de liquide qui contient une masse de cellules “embryonnaires”.

Mais ces structures artificielles présentent de notables différences avec leurs modèles naturels. Par exemple, elles contiennent des cellules absentes des véritables blastocystes. En 2018, le chercheur français Nicolas Rivron, responsable d’un laboratoire à l’Académie autrichienne des sciences, était parvenu à créer les premiers modèles de blastocystes de mammifère (souris). Pourtant, ce spécialiste estimait alors qu’il faudrait encore « dix ans pour créer des blastoïdes qui ressemblent fortement aux blastocystes humains ».

Ces structures ne peuvent pas se développer longtemps et il semble très peu plausible qu’au stade actuel des recherches, elles aient la capacité de s’implanter dans l’utérus d’une femme, si l’expérience en venait à cette étape-là. Sur le modèle animal, l’expérience a déjà été menée. Des blastoïdes animaux se sont implantés dans l’utérus de souris, des vaisseaux se sont connectés à ces structures pseudo-embryonnaires. Et le système immunitaire de la souris a interagi avec elles. Mais, dès quatre jours après l’implantation, des anomalies dans ces structures ont été observées.

Sur ces échecs constatés sur les modèles animaux, on ne sait pas s’il y a une cause biologique fondamentale à cette non-viabilité, ou alors s’il s’agit simplement d’un problème technique, a commenté Robin Lovell-Badge, de l’Institut Francis Crick de Londres.

 

Que deviennent ensuite ces modèles ?

Soit leur évolution s’arrête spontanément – rien n’assure que ces structures puissent jamais avoir le potentiel de continuer à mûrir au-delà des premiers stades de développement – soit ils sont volontairement détruits.

Leur implantation dans un utérus féminin reste évidemment à ce jour interdite, en France comme dans les pays où ces recherches sont menées.

Quel est le statut de ces organisations cellulaires ?

Au niveau international, la question reste entière. Aucune norme juridique ne les régit. Devant ces nouveautés que les biotechnologies rendent possibles, c’est le flou. Concernant le statut juridique de « cette nouvelle catégorie d’objets vivants créés par l’être humain, nous sommes dans une zone grise », d’après Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm.

 

Quels enjeux moraux et éthiques ?

Les évolutions vertigineuses qu’offrent les biotechnologies modifient notre rapport au vivant. La « vie » longtemps du domaine du « donné » devient, de plus en plus, par la technique, du domaine de la fabrication, de la construction. L’ingénierie du vivant aboutit au passage d’un ordre naturel à un ordre artificiel.

La question du « statut moral » de ces modèles se pose. C’est-à-dire : quelles sont les obligations morales qui se posent face à ces modèles constitués à partir de cellules humaines ? Des questions qui s’amplifieraient dès lors que les étapes de développement deviendraient techniquement capables d’êtres allongées, voire de conduire à de réelles activités cardiaques ou cérébrales, ce que l’état de la science n’est pas en mesure d’assurer aujourd’hui.

Se posent aussi sur le plan éthique et moral les risques liés à « l’idéologie de la promesse », aux fausses promesses, dès lors que ces expérimentations se présentent comme des sources de multiples progrès thérapeutiques, au risque de nourrir de faux espoirs.

Il y a également la question du consentement et de l’information des donneurs d’embryons ou de cellules utilisés ensuite pour ces expérimentations ou comme souches IPS. La protection des données génétiques, des données de santé des donneurs et des éventuels profits tirés de ces modèles posent également d’importants enjeux.

D’ores et déjà, ces expérimentations posent des graves questions éthiques car elles induisent, impliquent, alimentent l’instrumentalisation de la vie humaine à son commencement (utilisation de cellules souches embryonnaires) et la destruction d’embryons humains.

Pour Robin Lovell-Badge, responsable de la biologie cellulaire et de la génétique du développement au Francis Crick Institute : « si l’intention est que ces modèles ressemblent beaucoup à des embryons normaux, alors, d’une certaine manière, ils devraient être traités de la même manière ».

des tentatives de "modèles d’embryons" fabriqués artificiellement ?

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