Audition de Tugdual Derville à l’Assemblée nationale – Synthèse
Le 14 juin 2023 à l’invitation du groupe d’étude sur la fin de vie présidé par Olivier Falorni, le porte-parole d’Alliance VITA est intervenu face à Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.
[Synthèse réorganisée des propos liminaires et des réponses aux questions des députés]
Intervenant aujourd’hui comme porte-parole d’Alliance VITA, je me suis engagé depuis plus de quarante ans auprès d’enfants polyhandicapés et de personnes âgées en situation d’isolement et de précarité puis dans le conseil aux établissements de santé. Alliance VITA a lancé en 2004 le service d’aide SOS fin de vie qui soutient des personnes traversant des épreuves de fin de vie, leurs proches et leurs soignants.
Ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie : soulager mais pas tuer
Notre association est engagée contre l’euthanasie dans le collectif inter-associatif Soulager mais pas tuer dont le parrain était Philippe Pozzo di Borgo, à l’origine du film Intouchables, parrain qui vient malheureusement de nous quitter.
Notre posture est claire : « ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie, ni suicide assisté, mais accompagnement et soins palliatifs jusqu’au terme naturel de la vie ». Autrement dit : soulager mais pas tuer. C’est une double exigence : s’abstenir de provoquer délibérément la mort ne suffit pas : un effort constant est nécessaire, dans l’élan des progrès déjà accomplis, pour lutter contre la douleur physique et les souffrances morales inhérentes aux graves maladies, au grand âge et à la dépendance, sans oublier l’isolement de nombre de nos concitoyens.
L’interdit de tuer au cœur de la relation soignante
Nous revendiquons le caractère central de l’interdit de tuer dans la relation soignante : c’est lui qui sécurise la relation entre le soigné, ses proches et le soignant. Il y a 2500 ans, le serment d’Hippocrate, dans sa version antique, exprimait cette sagesse : « Je ne délivrerai à quiconque un poison même si on m’en fait la demande ». Autrement dit : « Retenez-moi ou je fais un malheur ! », car le médecin, et par extension le soignant, est conscient du risque de sa toute-puissance.
Il connait les onguents, les produits, les substances, aujourd’hui les molécules et leur dosage. C’est parce qu’il a la capacité de tuer, qu’il refuse le « métier » d’empoisonneur et prend soin de s’en distinguer par serment. Cet interdit fondateur de la médecine oblige à la créativité dans la façon de soigner et soulager, sans jamais avoir l’intention de tuer. Comme le rappelait Robert Badinter, auditionné dans le cadre d’un débat sur la fin de vie en 2008 : la loi pénale a une valeur répressive mais aussi expressive. Elle dit les valeurs d’une société. Or, « nul ne peut retirer la vie à autrui ». C’est une exigence en démocratie.
On veut faire sauter ce verrou
Ne soyons pas naïfs : nous savons bien que l’objectif des promoteurs de l’euthanasie et du suicide assisté est de faire sauter le verrou, en commençant par les « cas exceptionnels ». L’ADMD procède ainsi en mettant en exergue des situations émouvantes, complexes, ultimes ; mais son agenda va beaucoup plus loin. Partout où la légalisation de l’euthanasie est intervenue, elle a commencé par des situations prétendument exceptionnelles et les ADMD de ces pays ont toujours revendiqué et obtenu l’élargissement des conditions initiales. Votée pour les adultes, l’euthanasie a été étendue aux enfants en Hollande (récemment pour les moins de 12 ans) et en Belgique.
Je note à ce propos que si l’ADMD France ne revendique pas aujourd’hui l’ouverture de l’euthanasie aux mineurs, Jonathan Denis a l’honnêteté de s’y dire favorable à titre personnel. Quant à la loi canadienne
instaurant l’AMM (aide médicale à mourir, sigle de l’euthanasie), elle était initialement prévue pour des maladies à pronostic vital engagé à court terme. Lorsqu’a été envisagée l’AMM pour des personnes en situation de handicap, l’ADMD du Canada a demandé et obtenu que soit enlevée du projet d’extension la mention limitative « maladie neurodégénérative ». Et maintenant on a légalisé au Canada l’euthanasie pour maladie mentale, sans s’entendre sur les critères précis, ce qui retarde l’application de cette extension…
Où s’arrêter ? L’ADMD des Pays-Bas soutient l’idée d’une euthanasie des personnes de plus de 75 ans « fatiguées de vivre ».
C’était la revendication de mon amie Jacqueline Jencquel, qui fut ici vice-présidente de l’ADMD avec laquelle j’étais en profond désaccord – nous nous le sommes dit – car, au fond, elle méprisait la vieillesse et finalement son propre vieillissement. Au risque de véhiculer une injonction implicite de rester fort pour être digne de vivre.
Ecoutons Théo Boer – professeur hollandais, ancien membre de la commission de contrôle de son pays, qui dit avoir « changé d’avis » et recommande à la France de ne pas légiférer. Il a cru qu’en se limitant à des euthanasies exceptionnelles, on pourrait limiter d’autant le suicide : or l’euthanasie s’est multipliée dans son pays, pendant que le suicide croissait… Il dit s’être trompé.
Zéro naïveté : l’encadrement ne tient pas
Ce serait donc naïf et finalement malhonnête à nos yeux de penser qu’on peut encadrer. Pensons au critère de « souffrance psychique ». Qui peut se permettre de contredire une personne qui affirmera endurer des « souffrances psychiques insupportables » ? En tant qu’écoutant de personnes en souffrance, je sais qu’il n’y a pas pire souffrance que celle qui n’est pas reconnue. Un tel critère, invérifiable, est la porte ouverte à tous les glissements.
D’ailleurs, en Belgique, a été euthanasiée en toute légalité en 2022 Shanti de Corte, jeune femme de 23 ans fragile psychiquement depuis l’adolescence, en raison du traumatisme lié à sa présence sur un site des attentats de Bruxelles où elle n’avait pas été blessée, et malgré les protestations de victimologues. On ne compte plus dans ce pays les euthanasies de personnes n’ayant pas de maladie mortelle.
La France est attachée à l’égalité. En cas de levée partielle de l’interdit de tuer, ce précieux principe constitutionnel jouerait le rôle d’accélérateur des dérives. Le dernier avis du Comité d’éthique anticipe que le suicide assisté (modalité qu’il préfère préconiser) nécessiterait, au nom de l’égalité, l’euthanasie pour les personnes trop dépendantes pour déclencher le processus létal…
Le titre de mon livre vient d’une conversation avec deux médecins au cours d’un congrès : l’africain nous demandait sur le ton du reproche ce que nous faisions de nos vieux, nous les Occidentaux ; son collègue belge lui a rapporté avec tristesse avoir reçu un patient âgé qui avait des pathologies mais n’était pas en fin de de vie ; ses enfants l’avaient convaincu de demander l’euthanasie.
Une fois seul à seul avec son médecin le vieux monsieur lui a posé cette question : « Docteur, est-ce que j’ai le droit de vivre encore un peu ? » On parle de liberté, mais inexorablement, dès que l’euthanasie est légalisée, cette « liberté » fait irruption dans toutes les têtes. La question « vivre ou mourir ? » s’impose à tous en cas de grave maladie ou de dépendance. Ce qui est présenté comme un droit se mue insidieusement en devoir.
Une prétendue liberté à déconstruire
Jonathan Denis parle d’une loi de liberté. C’est désormais l’argument-clé de l’ADMD après la souffrance (mais ce serait un scandale qu’on euthanasie quelqu’un parce qu’il serait mal soulagé) et la dignité (mais on sent bien, comme l’a reconnu André Comte-Sponville, pourtant favorable à l’euthanasie et membre du comité de soutien de l’ADMD, que nier la dignité d’une personne malade ou âgée a quelque chose d’injuste ou d’absurde).
A nos yeux cette « liberté de choisir sa mort » est biaisée à 4 titres :
1. Quel est le sens d’une liberté qui serait en réalité exercée sous la pression « intérieure » d’une situation toujours difficile motivant la demande d’euthanasie ? Douleur mal régulée, souffrances morales inhérentes aux graves maladies, peur de ce qui risque d’arriver demain, voire détresse irraisonnée, celle qui génère malheureusement les passages à l’acte suicidaire… Nous avons travaillé avec des spécialistes de la prévention du suicide qui nous mettent en garde contre la difficulté de distinguer une demande d’euthanasie d’une pulsion suicidaire.
2. Quel est le sens, par ailleurs, d’une liberté exercée sous pression « extérieure » : peur de déranger, de peser, d’être inutile, imprésentable, de coûter à ses proches ou à la société tout entière, de ne plus y avoir sa place ? La plupart des euthanasies au Canada se font pour de tels mobiles « altruistes » et l’on commence à entendre en France une petite musique qui remet en cause les dépenses faites pour des personnes dont nos sociétés exigeantes, sélectives, hyperactives doutent de l’utilité.
En contrepoint de la réforme controversée des retraites, l’idée d’instaurer simultanément l’euthanasie devrait provoquer le malaise… Le même André Comte-Sponville défend l’argument économique de l’euthanasie car, selon lui, on couterait aussi cher à la sécurité sociale au cours des six derniers mois de sa vie que dans le reste de son existence.
Cette « petite musique » nous parait extrêmement dangereuse, tout en étant absurde. D’abord on sait l’impossibilité de prévoir – heureusement – le moment de la mort à cette échéance ; ensuite nier l’importance des derniers mois de la vie, c’est méconnaitre la valeur surprenante de ce que vivent nos contemporains devenus malades ou dépendants avec leurs proches, lorsqu’ils sont bien entourés…
3. Quels est le sens d’une liberté qui conduit à supprimer un « reste à vivre » où ne pourra plus s’exercer cette liberté ? Maints exemples montrent que ce sont des moments qui peuvent se révéler plus précieux qu’on ne le pensait. Je pense à cette pharmacienne qui avait renoncé à euthanasier sa fille malgré sa promesse. Or sa fille a connu par surprise un temps de « rémission » (selon l’expression de la sagesse populaire) et lui a dit : « Maman, heureusement que tu ne l’as pas fait ! »
J’ai personnellement des expériences gratifiantes avec mon propre père dans sa fin de vie (six mois grabataire, où nous avons échangé comme jamais) et plus récemment avec un ami, tous deux morts en soins palliatifs. J’ai l’impression qu’il y a une grande – voire grave – méconnaissance de ce qu’offrent les soins palliatifs, leur bénéfice pour ceux qui sont en fin de vie, leurs proches, toute la société. Il faut le vivre pour le mesurer.
4. Enfin quel est le sens d’une liberté qui conduit à exiger que des soignants transgressent l’élément fondateur de leur déontologie plus que bimillénaire, tout en s’imposant à tous les proches (famille, amis…) ? Le livre collectif « Euthanasie : l’envers du décor » rapporte les larmes d’un médecin belge retraité qui repense la nuit aux visages de ceux qu’il a euthanasiés… Notre amie Claire Dierckx a subi en Belgique l’euthanasie de son père – qui souffrait de la même maladie qu’elle – comme une profonde injustice. Euthanasie et suicide provoquent des divisions dans les familles et les équipes médicales, des deuils pathologiques…
Quand une mort est provoquée, cela résonne durablement dans la conscience de ceux qui restent, qui se sentent parfois obligés de cautionner le passage à l’acte contre leur conscience intime.
Vouloir prendre la main sur la mort, pour en faire un « projet maîtrisé », est tentant pour la « modernité ». Mais est-ce gagnant pour l’humanité ? La liberté avancée par l’ADMD reflète à nos yeux une forme d’idéologie : celle d’une autonomie absolutisée par l’individualisme : elle nous considère comme des îles, alors que nous sommes tous interdépendants. J’ai aidé une mère à convaincre sa fille de ne pas se suicider en Suisse en lui montrant qu’un tel suicide concernait sa mère.
Comment allait-elle pouvoir se sortir d’une mort ainsi programmée ? Et la jeune femme a renoncé en mesurant l’attachement de sa mère… Pour un homme qui voulait partir se faire suicider en Suisse, nous avons eu la chance de trouver une équipe de soins palliatifs dans sa ville ! Et il n’a plus voulu mourir.
La prévention du suicide ne souffre pas d’exception
Tout suicide nous concerne tous. Question de fraternité humaine. La prévention du suicide ne doit exclure personne, surtout pas les plus souffrants, malades, âgés, dépendants : ce serait une grave discrimination. C’est pourquoi nous récusons l’idée que des catégories de « maladies » devraient être éligibles au suicide ou à l’euthanasie. La maladie de Charcot ou SLA (pour sclérose latérale amyotrophique) est injustement désignée comme telle.
Or, on n’est heureusement pas condamné à la mort administrée lorsqu’on est atteint de cette grave maladie évolutive ! J’ai témoigné au Sénat, aux côtés d’un médecin qui a montré comment il avait pu – après une demande initiale de mort – accompagner jusqu’au bout son patient pendant deux mois, en lien avec son fils, dans de belles relations, jusqu’à une sédation profonde ultime (qui a duré deux heures).
Il est des principes, certaines lois fondamentales qu’une seule exception ruine. Mais ce refus du suicide comporte une exigence : il faut accompagner les personnes, lutter contre la mort sociale (500.000 séniors concernés selon les petits frères des Pauvres) ou l’isolement des personnes âgées (4 millions de nos contemporains n’ont pas plus de trois conversations par an selon la Fondation de France). Cela nous conduit à demander une politique d’inclusion des personnes les plus fragiles, seule façon de ne pas les pousser à l’auto-exclusion.
Ne surtout pas valoriser le suicide
Nous sommes donc inquiets de la teneur de l’annexe 6 de l’avis n°139 du comité consultatif national d’éthique, en ce qu’il discute de sémantique, aboutissant pour nous à un piège. L’annexe estime finalement qu’il faut garder le mot suicide pour « suicide médicalement assisté », en tablant sur le fait que sa pratique, progressivement, donnera au mot suicide un statut de neutralité. Cela nous fait froid dans le dos. S’il ne faut pas cacher les maux (suicide et euthanasie) derrière des expressions édulcorantes (comme « aide active à mourir »), il ne faut surtout pas présenter positivement le suicide.
C’est ce que répètent les spécialistes de sa prévention qui savent que la désespérance qui conduit à ce drame est contagieuse (cf. effet Werther). Nous avons dit à Agnès Firmin-Le Bodo, lorsque nous l’avons rencontrée à sa demande, que le débat actuel est un risque. A cause du débat en cours, nous recevons dans notre service SOS fin de vie des appels de personnes en souffrance psychique qui pensent que la France a déjà créé une sorte de service public d’administration de la mort aux désespérés !
Développer les soins palliatifs sans les dénaturer
La promotion des soins palliatifs par l’ADMD peut sembler louable mais ne nous convainc pas vraiment, bien que nous demandions aussi leur généralisation et leur accessibilité à tous. Certes il est temps que la loi de 1999 instaurant un droit d’accès aux soins palliatifs soit vraiment appliquée. Nous demandons des soins palliatifs dignes de ce nom dans tous les départements. Mais attention justement à ne pas dénaturer leur identité comme cela se fait en Belgique où l’on tend à nommer l’euthanasie « ultime soin palliatif ».
Dans ce pays, contrairement à ce qu’a affirmé Jonathan Denis, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre de lits de soins palliatifs depuis 2007 (379 lits) malgré les demandes. Par ailleurs, la confusion s’est établie entre euthanasie et soins, et spécialement entre euthanasie et sédation. Parmi les nombreuses euthanasies clandestines (non déclarées, estimées à 30% du total en Belgique) beaucoup sont réalisées par surdosage délibéré de sédatifs. Quant à la commission de contrôle, la CEDH a dénoncé son inefficacité…
J’entends dire par l’ADMD que des personnes ne voudraient pas des soins palliatifs et qu’il faudrait leur donner accès à l’euthanasie. Cela peut dénoter, chez ces patients, une méconnaissance de ces soins… Est-ce par ailleurs logique de refuser d’être soulagé, accompagné par des soignants compétents, tout en demandant au même système de santé de provoquer sa mort ? L’ADMD a trop souvent fait des soins palliatifs une présentation dévalorisante et dégradée… Euthanasie et soins palliatifs relèvent en réalité de deux cultures incompatibles.
Sédation ? Sans intention de provoquer la mort
En France, la Haute autorité de santé (HAS) a au contraire bien explicité en 2018 que la sédation profonde et continue jusqu’au décès prévue par la loi de 2016 ne devait pas avoir comme objectif de provoquer la mort, et ne devait intervenir qu’en cas de pronostic vital engagé à court terme. Si elles suivent ses recommandations, les sédations profondes et continues jusqu’au décès pratiquées en France sont éthiques.
Et s’il y en a si peu – comme l’a révélé le récent rapport d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti sous l’égide d’Olivier Falorni, c’est parce qu’on préfère à juste titre les sédations proportionnées et réversibles (par exemple pour soulager et se reposer la nuit et recouvrer une capacité de relations avec ses proches et ses soignants le jour). Elles fonctionnent très bien, comme me l’a encore confirmé hier un oncologue.
Ce critère de l’intention nous a été contesté au CCNE l’an dernier par Alain Claeys – dans le cadre des auditions en vue de l’avis n°139 – ainsi que par un haut magistrat de la Cour de Cassation. Ils le jugeaient inopérant car impossible à vérifier. Mais nous réaffirmons que l’intention est le critère-clé de l’euthanasie avec celui du « résultat » : la mort. En cas de mort d’homme, la justice s’interroge bien pour savoir si c’est un crime (assassinat prémédité ou meurtre délibéré) ou un homicide involontaire. Et le traitement judicaire de ces drames n’est absolument pas le même.
L’ambivalence de la clause de conscience
Rappelons que 13 organisations professionnelles ou syndicales représentant 800.000 soignants ont affirmé : « Tuer n’est pas un soin ». Le gouvernement assortit systématiquement l’annonce de son projet de loi de la garantie d’une clause de conscience. Bien sûr, personne ne peut forcer quelqu’un à faire un acte en contradiction flagrante avec sa conscience. Mais la clause de conscience est un leurre. Elle est systématiquement attaquée.
Elle est d’abord contestée au plan institutionnel. Un établissement canadien de soins palliatifs a déjà dû fermer faute de subventions car il ne voulait pas de l’AMM dans ses murs. La clause de conscience génère partout des tensions : problèmes d’organisation, discriminations à l’embauche et dans les promotions, divisions au sein des équipes.
L’euthanasie n’est en rien une priorité pour la France et les Français
Nous constatons que l’euthanasie n’est pas réellement une demande sociale forte. Il suffit de voir ce que les Français estiment prioritaire.
1. De façon générale, la légalisation de l’euthanasie n’arrive pas à 1% lorsqu’on leur demande de choisir deux priorités parmi 24 attendues des pouvoirs publics (sondage avant la réélection de l’actuel président). L’ADMD parle volontiers des Français contraints de « fuir » pour mourir à l’étranger. En réalité, il n’y en a qu’une centaine par an en Suisse et en Belgique…
2. En matière de santé, les pouvoirs publics sont attendus sur bien d’autres vraies priorités : crises de l’hôpital, des déserts médicaux, des professions médicales, des urgences, des EHPAD. Ces crises rendent encore plus risquée la levée de l’interdit de tuer pour les soignants. Il y aurait quelque chose d’indécent à légaliser l’euthanasie alors qu’on a renoncé à la loi Grand âge et autonomie.
3. Et si l’on s’en tient à la seule fin de vie, le consensus n’est pas sur l’euthanasie mais sur l’accès universel aux soins palliatifs. Appliquer concrètement la loi de 1999 alors que 21 départements n’ont toujours pas de service hospitalier de soins palliatifs (même s’ils ont des lits « dédiés » et des équipes mobiles valeureuses), cela demande une ambition politique et des moyens à hauteur de ces ambitions !
Le risque d’une interminable guérilla juridico-politique.
Lever (même partiellement) l’interdit de tuer entre soignants et soignés – ne nous y trompons pas – c’est faire entrer la France dans des dizaines d’années de guérilla législative et juridique. Au nom du principe d’égalité, les promoteurs de l’euthanasie seront toujours insatisfaits. Mois après mois, il y aurait de multiples pressions, protestations, controverses, actions judiciaires, propositions de loi etc. autour de l’euthanasie des enfants, des personnes désorientées ou démentes, des personnes malades mentales, en situation de handicap ou très âgées, sans compter les cas controversés et les familles divisées. Et l’on entrerait dans des polémiques sans fin.
Pour une culture de la vulnérabilité
La voie française votée consensuellement en 2005 renvoie dos-à-dos euthanasie et acharnement thérapeutique pour promouvoir les soins palliatifs. Il n’y a pas de raison d’inventer un nouveau « modèle » qu’aucun événement nouveau ne justifie. Et encore moins tant que la culture palliative n’est pas généralisée.
Face à notre statut de mortel, refuser de prendre la main sur la mort, c’est consentir à son caractère imprévisible, c’est refuser de s’en faire complice mais c’est aussi s’engager à humaniser la vie jusqu’au bout. Nous avons conscience – et nous nous y engageons à Alliance VITA – que la culture que nous préconisons est exigeante. Elle considère la société comme une « chaine de solidarité » dont le maillon faible détermine la solidité.
Peut-être avons-nous à inventer un mode de vie où les générations ne sont plus séparées en silos. J’avoue avoir eu cette expérience pendant les confinements en emmenant une personne âgée désorientée de ma famille : j’ai été émerveillé du bénéfice de ce moment « contraint » où trois générations ont vécu ensemble pendant plusieurs mois.
La société solidaire dont nous avons besoin pour résister aux pulsions suicidaires a certes besoin de l’aide de l’Etat. Elle nous appelle aussi et surtout à reconnaitre – et c’est parfois difficile – la valeur de toute vie, les plus vulnérables ayant le plus besoin de se sentir membre à part entière de la société.
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