Extension controversée de la loi d’euthanasie au Québec
La loi concernant les soins de fin de vie a été définitivement adoptée le 7 juin 2023, deux jours avant la fin de la session parlementaire du Québec.
Une des mesures votées est particulièrement coercitive. Les maisons de soins palliatifs sont en effet forcées dans les 6 prochains mois de mettre en place la pratique de l’euthanasie, ce qui est contraire au principe même de soins palliatifs.
Le plaidoyer du docteur Leonie Herx professeure associée en médecine palliative de l’Université Queen’s n’a pas été pris en compte par les députés. De manière factuelle, elle avait souligné que la pratique de l’euthanasie ou AMM « a eu d’importantes répercussions délétères sur la pratique des soins palliatifs, notamment la diminution des ressources en soins palliatifs et l’augmentation de la détresse morale et de l’épuisement professionnel des cliniciens en soins palliatifs ».
Lire le mémoire transmis au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir 24 avril 2022.
Le 30 mai 2023, la commission des relations avec les citoyens du Québec a achevé l’étude détaillée du projet de loi 11 concernant les soins de fin de vie.
Ce projet de loi déposé le 16 février dernier est l’objet de fortes controverses car il entend étendre le recours à l’euthanasie, désignée sous le terme « aide médicale à mourir » (AMM), à des personnes handicapées dont le pronostic vital n’est pas engagé. En réalité, il s’agit d’une transposition de la loi fédérale : le fait que cette province y soit tenue fait débat.
Le projet de loi prévoit également d’autoriser une demande anticipée à mourir « aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude » pour que l’euthanasie soit exécutée quand la personne n’est plus apte à consentir. Cela concerne potentiellement les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, posant des questions éthiques majeures sur l’accompagnement des personnes concernées.
D’autre part, outre les médecins, les infirmières praticiennes spécialisées pourraient administrer les sédations dites « palliative continue », c’est-à-dire maintenue jusqu’au décès ainsi que l’euthanasie ou le suicide assisté. Elle supprime la clause de conscience institutionnelle conduisant à imposer la proposition d’AMM aux maisons de soins palliatifs, en l’assimilant à un « soin ».
Plusieurs controverses ont émergé sur la banalisation progressive de l’euthanasie, l’assimilation abusive de l’AMM aux soins palliatifs et la stigmatisation des personnes handicapées.
Alors que le Québec connait le plus fort taux d’euthanasie au monde avec 7% des décès par euthanasie prévu en 2022, certains parlementaires ont exprimé leur inquiétude face à « ce changement de paradigme » risquant de produire un pouvoir d’attraction et une banalisation toujours plus étendue de l’AMM.
A ce titre, un sondage de l’Institut Research co. publié en mai 2023 sur la loi fédérale canadienne qui inclut la plupart des mesures discutées aujourd’hui au Québec révèle une évolution alarmante des mentalités. 73% des sondés disent approuver la loi actuelle et 20% approuvent l’euthanasie sans condition ; quand on mentionne des situations spécifiques relatives à la situation économique, 28% se disent favorables à étendre les critères à des personnes en raison de leur statut de sans-abri et 27% en raison de leur pauvreté.
Lors des débats, l’Alliance des maisons de soins palliatifs a plaidé pour ne pas forcer les quelques maisons qui ne pratiquent pas l’AMM à le faire. Cette alliance qui regroupe 36 maisons sur les 37 que compte le Québec a commandité un sondage auprès d’Ipsos pour mieux connaître la perception des Québécois sur les soins palliatifs. Publiés début mai 2023, lors de la semaine nationale des soins palliatifs, les résultats montrent une méconnaissance de ces soins et une persistance d’idées fausses.
74% des sondés associent les soins palliatifs uniquement au soulagement de la douleur, 49% pensent à tort que l’AMM fait partie des soins palliatifs, 30% estiment que les soins palliatifs vont accélérer la mort, et 28% estiment qu’il est normal de ressentir de la douleur en fin de vie. Cette méconnaissance est particulièrement inquiétante et interroge sur le manque d’information.
Ce projet de loi est aussi particulièrement critiqué par les associations de personnes handicapées comme le souligne le réseau citoyen Vivre dans la dignité dans son mémoire de contribution au débat sur le projet de loi. Ce réseau a formulé 4 recommandations :
- Plutôt que de franchir la frontière de l’inaptitude pour accéder à l’aide médicale à mourir, mieux vaudrait investir massivement dans les soins gériatriques et dans l’accompagnement des personnes vivant avec un trouble neurocognitif. Grâce à la mise en œuvre des meilleures pratiques pour traiter les symptômes des maladies et accompagner les pertes de capacité, elles ne doivent plus craindre de perdre leur dignité.
- Plutôt que de franchir la frontière du handicap pour accéder à l’aide médicale à mourir, mieux vaudrait investir massivement dans tout ce qui encourage l’aide à vivre.
- Plutôt que de franchir la frontière des contraintes institutionnelles imposées aux maisons de soins palliatifs, respecter le choix des quelques milieux de vie qui préfèrent ne pas offrir l’aide médicale à mourir.
- Plutôt que d’envisager franchir éventuellement la frontière du trouble mental pour accéder à l’aide médicale à mourir, mieux vaudrait lancer un message clair au gouvernement fédéral : le Québec ne veut pas de cet accès.
Cette dernière recommandation fait référence au report de l’application d’un article de la loi fédérale sur la fin de vie votée en 2021 qui prévoit l’accès à l’euthanasie pour les personnes atteintes de trouble mental. Le Québec a exclu ce critère pour le moment.
Enfin un amendement de dernière minute qui vise à élargir les lieux où sont pratiquées les euthanasies a jeté un sérieux trouble. Cette modification avait originellement pour but d’interdire la promotion commerciale de l’offre d’AMM par un salon funéraire après la découverte que certains complexes avaient loué leur salle d’exposition pour pratiquer des euthanasies. Radio Canada précise que « Le gouvernement du Québec prévient toutefois que le lieu choisi devra être autorisé par le médecin ou par l’infirmière praticienne spécialisée (IPS) dans le dossier. ».
Le réseau citoyen Vivre dans la dignité alerte les députés sur la gravité d’un tel élargissement soumis au pouvoir arbitraire d’un médecin ou d’une infirmière qui conduirait à une atteinte à la liberté de conscience des détenteurs de lieux éventuels. « Comme il n’y a pas de droit au refus inclus dans la loi, les propriétaires d’auberges, de campings, de chalets, les administrations gérant des parcs publics et tant d’autres gestionnaires » pourraient être concernés indistinctement.
Le projet de loi devrait être débattu et soumis au vote à l’Assemblée nationale du Québec d’ici le 9 juin, qui marque la fin de la session parlementaire.
La pente glissante observée au Canada et au Québec a été l’objet d’alerte de l’ONU. Comme le rappelaient récemment trois experts des Nations Unies, un tel élargissement de l’euthanasie conduit à ce que les personnes âgées et/ou handicapées se sentent mises sous pression pour mettre fin à leur vie prématurément.
En savoir plus sur l’euthanasie et le suicide assisté à l’étranger.