Analyse critique de la campagne « santé sexuelle  » 2023 lancée par Santé Publique France.

30/06/2023

Analyse critique de la campagne « santé sexuelle  » 2023 lancée par Santé Publique France.

 

Sous l’égide de Santé Publique France, établissement sous tutelle du ministère de la santé, une campagne sur la « santé sexuelle » s’est déroulée du 22 mai au 25 juin 2023. Cette campagne se déploie à partir du constat que : « Tout le monde se pose des questions sur la sexualité et tout le monde peut trouver des réponses sur QuestionSexualite.fr« . Le communiqué de presse cite « la prévention… des grossesses non prévues » comme un des « enjeux de santé publique ».

Dans le paragraphe « s’informer et dialoguer pour limiter les situations pouvant dégrader la santé sexuelle » on lit qu’en : « En France, malgré une couverture contraceptive élevée1, une grossesse sur trois est non prévue et 64 % d’entre elles donnent lieu à une interruption volontaire de grossesse (IVG)« .

 

Selon cette assertion, la « couverture contraceptive » a donc pour objectif d’éviter toute « grossesse imprévue », en particulier parce que ces grossesses conduisent majoritairement à un avortement. La logique du raisonnement est qu’une plus grande diffusion et utilisation de la contraception permettrait d’éviter des IVG. Déjà, cette logique était présente dans les débats lors de la loi de dépénalisation de l’avortement en 1975. Cette loi, selon ses promoteurs, visait à ce que l’avortement reste une « exception« , « un ultime recours pour des situations sans issue« .

Or, les chiffres démentent ce raisonnement. L’expression « paradoxe contraceptif » a d’ailleurs été utilisé pour rendre compte de ces faits. Une publication de 2011, « Circonstances des échecs et prescription contraceptive post-IVG, analyse des trajectoires contraceptives autour de l’IVG« , par Caroline Moreau, Julie Desfrères et Nathalie Bajos, expose ce « paradoxe » dans son introduction : « Le législateur pensait que, avec la diffusion des méthodes contraceptives médicales, ces situations de grossesses non prévues devraient décliner notablement et ne plus concerner qu’une frange marginale de la population. Force est de constater que le recours à l’IVG, qui a baissé du lendemain de la légalisation jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, reste stable depuis ». 

Le communiqué de presse de la campagne fait d’ailleurs explicitement référence à cette publication.

 

Par ailleurs, l’affirmation de Santé publique France que 64% de ces grossesses « donnent lieu à une interruption volontaire de grossesse (IVG) » est inexacte. L’étude de 2011 citée plus haut, indique que « L’estimation de la part des IVG survenant alors que la femme utilisait une méthode de contraception en métropole est de 64 % ». Autrement dit : parmi les IVG (et non parmi les grossesses non prévues) 64% des IVG ont eu lieu alors que la femme était sous contraception.

Cette information vient des enquêtes des personnes réalisant des IVG et non d’enquêtes sur les femmes ayant des grossesses « non désirées ». Selon la même source, cette estimation « est légèrement inférieure à celle établie à partir des données de l’enquête COCON (78 %). » Une autre source, un rapport de l’IGAS en 2010, donne une estimation de l’ordre de 72 % de femmes réalisant un IVG alors qu’elles prenaient une contraception dite efficace. Sachant que l’estimation dans le rapport de l’UNFPA est un taux d’avortement des grossesses non intentionnelles de 33% au niveau mondial, des études chiffrées sont nécessaires pour mieux déterminer le niveau en France.

 

Par ailleurs, la campagne met en avant le site « questions sexualité » comme « référence » informative. Sur les « grossesses non prévues », ce site mentionne bien toutes les options possibles :

« Si vous ne l’avez pas planifié, le fait d’apprendre que vous êtes enceinte peut être vécu comme une magnifique surprise… ou comme un drame. Dans tous les cas, cette annonce peut être déstabilisante. Quelles que soient les situations particulières, il y a plusieurs options possibles.:

  • poursuivre la grossesse et accueillir un enfant ;
  • poursuivre la grossesse et confier l’enfant à l’adoption ;
  • Interrompre la grossesse.

Si la décision est évidente pour certains, elle est beaucoup plus complexe pour d’autres. N’hésitez pas à vous faire accompagner dans vos interrogations et démarches en demandant conseil à des proches ou à des professionnels de santé. »

Cependant, seule la décision d’interrompre fait l’objet d’un renvoi vers la page « Tout savoir sur l’IVG ». Les soutiens possibles pour poursuivre la grossesse ne font l’objet d’aucune information. Pourtant, elles existent. La campagne aborde également le sujet de l’efficacité des différentes méthodes de contraceptions, ainsi que la question des IST (Infections sexuellement transmissibles).

Le parti pris d’aborder la sexualité sous un angle très largement individuel et sanitaire, dans la lignée des campagnes précédentes, est une forte limite de ce type de communication. En effet l’horizon d’une relation amoureuse durable pour construire une famille reste une aspiration chez les jeunes. Dans « La fracture » livre enquête sur la génération des 18-30 ans en 2021, Frédéric Dabi, Directeur général de l’Ifop, et Stewart Chau, sociologue, rapportaient le « primat absolu de la famille dans les éléments perçus par les jeunes comme les plus importants pour avoir une vie réussie (62%). »

 

Pour aller plus loin : Sexe « neutre » en France ? La Cour européenne des droits de l’homme dit non

analyse critique de la campagne "santé sexuelle " 2023 lancée par santé publique france.

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