La santé des enfants nés par FIV ? L’Académie de médecine se penche dessus
Être conçu par fécondation in vitro (FIV) a-t-il un impact sur la santé à moyen et long terme des enfants ? C’est la question sur laquelle s’est penché un groupe de travail de l’Académie de médecine (ANM), qui vient de publier son rapport, exprimant une prise de position officielle, adoptée par 55 voix pour, 4 contre et une abstention.
Ce groupe de travail est né à la suite d’un colloque international organisé par l’Inserm en 2021 qui portait sur l’incidence des anomalies se manifestant chez les enfants nés par PMA.
Qu’est-ce qui présente un possible impact sur la santé des enfants ?
Les phases de gamétogenèse (maturation des ovocytes et des spermatozoïdes) et de développement de l’embryon avant son implantation dans l’utérus sont particulièrement sensibles. Ce qui correspond aux phases où des manipulations ont lieu, dans le cadre de la procréation artificielle. Lors de cette période, a naturellement lieu une reprogrammation épigénétique et la mise en place d’empreinte génomique parentale qui jouent un rôle déterminant dans le développement embryonnaire.
Les traitements hormonaux de stimulation ovarienne mis en place pour récolter les ovocytes maternels, les conditions dans lesquelles les embryons sont conçus et cultivés in vitro puis, parfois, congelés plus ou moins longtemps avant d’être décongelés font partie des procédures les plus suspectées d’être à l’origine des troubles observés. Notamment, par leur impact sur les phénomènes épigénétiques (la manière dont est régulée l’expression des gènes). Mais ces mécanismes d’altération sont mal connus et peu documentés.
La FIV, en quelques chiffres
En France, la première naissance par FIV date de 1978. Depuis lors, le nombre de naissances par FIV ne cesse d’augmenter. En 2019, la part atteint 3,6% des naissances. On estime à près de 10 millions les enfants nés par FIV à travers le monde, et les plus âgés ont maintenant plus de 40 ans.
Qu’a étudié le groupe de travail ?
Etant donné l’étendue des questions qui se posent en PMA, il s’est focalisé uniquement sur la FIV standard avec congélation embryonnaire, en excluant celles avec donneurs de gamètes. Il s’est également focalisé sur les résultats qui lui semblaient les plus significatifs : il ne s’agit donc pas d’une enquête complète ni globale.
Sur quelles études porte ce rapport ?
Les membres du groupe de travail ont étudié l’impact probable des FIV sur les cancers pédiatriques, les troubles du neurodéveloppement et du comportement, les troubles de la croissance et du métabolisme, les troubles cardiovasculaires, les altérations de la fertilité. Ainsi que ceux liés aux gènes soumis à l’empreinte génomique et aux modifications épigénétiques. (Tout ce qui impacte l’expression des gènes).
Quelles observations ?
Ils constatent que des études comparatives mieux caractérisées devraient être poursuivies, notamment à des âges plus avancés. Car les résultats déjà publiés ne sont pas toujours concordants. Par ailleurs, les altérations observées chez les enfants ne sont pas forcément imputables à la FIV en elle-même, mais au fait que les couples infertiles peuvent être plus à risque de transmettre des facteurs responsables de perturbations de leur propre santé. Par exemple, certains garçons nés à la suite d’une FIV avec micro-injection de spermatozoïdes dans l’ovocyte (ICSI), faite pour pallier l’infertilité masculine d’origine génétique de leur père, risquent eux aussi d’être stériles. Mais globalement, l’impact sur la fertilité des enfants nés par FIV reste trop peu étudié.
- Concernant la croissance et le métabolisme, les résultats qu’ils ont étudiés sont disparates mais plutôt rassurants. Pour autant, un suivi au long cours est indispensable car certaines pathologies ne se révèleront qu’au cours de la vie adulte.
- Concernant les cancers pédiatriques, les études existantes sont mitigées. Certaines rapportent que les leucémies et les tumeurs du système nerveux central ont été en général observées avec la même incidence, selon les conditions de conception. Mais d’autres rapportent une fréquence de cancers plus élevée en cas de FIV, particulièrement s’il y a eu aussi congélation embryonnaire. La France vient de lancer une vaste étude sur la question, basée sur une cohorte de 100 000 enfants conçus par FIV, dont 40 000 issus d’un transfert de congélation embryonnaires. Les résultats sont en cours d’analyse.
- Concernant les troubles cardiovasculaires suspectés depuis longtemps, les quelques études disponibles présentent de nombreuses limites : les échantillons sont faibles, les données de naissance peu documentées, les facteurs de santé des parents peu renseignés… néanmoins, un risque modéré d’anomalies cardiovasculaires n’est pas exclu. Une piste d’explication est donnée par le stress oxydant induit sur les embryons lors des manipulations et conditions de culture impliquant des modifications de pH, température, taux d’oxygène etc. ce stress oxydant peut être responsable de modifications épigénétiques, elles-mêmes à l’origine de complications cardiovasculaires.
- Concernant les troubles du comportement et de neurodéveloppement (déficit intellectuel, troubles du spectre de l’autisme, difficultés d’apprentissage, hyperactivité, troubles de l’attention, troubles obsessionnels compulsifs, anxiété etc.), là aussi les quelques études disponibles se contredisent et leurs auteurs tempèrent leurs conclusions. Pour les explications, les auteurs évoquent aussi les modifications épigénétiques liées aux milieux de culture des embryons. Par ailleurs, les liens entre ces troubles et les conditions de naissance passent aussi par les risques accrus, dans le cadre des PMA, de grossesses multiples et de prématurité. Quant au contexte socio-familial, majeur dans l’étude de ces troubles, il devrait être clairement pris en compte, ce qui n’est pas encore le cas.
L’emballement de la technique
Trois études mentionnées par l’Académie de médecine concernent la « qualité » des embryons conçus in vitro et « testés » avant implantation, en particulier lorsque le père est porteur d’une infertilité liée au syndrome de Klinefelter. Dans ces situations où les spermatozoïdes sont rares, certains peuvent être néanmoins recueillis dans le sperme ou directement prélevés dans les testicules pour être ensuite introduits directement dans l’ovocyte (ICSI) pour le féconder. Si les enfants nés sont des garçons, ils peuvent être porteurs des mêmes caractéristiques génétiques et donc des mêmes troubles que leur père. Les résultats de ces 3 études montrent des taux élevés d’anomalies chromosomiques. Ce qui conduit les praticiens qui proposent ces techniques à recommander la pratique d’un diagnostic préimplantatoire systématique aux couples.
Par ailleurs, l’ANM préconise de développer et de soutenir intensément en France des projets de recherches cliniques et fondamentales spécifiques, ces dernières pouvant être menées sur des modèles animaux mais aussi sur des embryons humains donnés à la science.
Ainsi, comme souvent, la technique appelle la technique, et ici aussi ce que nomme Jürgen Habermas dans L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, « la consommation d’embryons humains ».
L’AMP, responsable de dysgénisme
Dans le cas des FIV avec ICSI déjà mentionné, qui conduit à la naissance de garçons souffrant de problèmes de stérilité comme leur père, l’ANM conclut que cette technique contribue à « favoriser la diffusion aux générations suivantes de caractères génétiques qui ne se transmettaient pas naturellement ». Ainsi, même « si la PMA n’est pas elle-même la cause du trouble de santé de l’enfant, elle fait preuve en l’occurrence de dysgénisme ». (elle augmente la fréquence d’anomalies dans une population).
Quelles suites ?
De nombreuses incertitudes demeurent, les résultats ne sont pas tous pertinents ni concordants, par manque de données, variations méthodologiques, effectifs trop faibles… il est par ailleurs parfois difficile d’imputer directement des anomalies constatées aux techniques de PMA elles-mêmes. Les conditions de grossesse et de naissance (prématurité) qu’elles contribuent à induire jouent également. Ainsi que l’état de santé des parents, conduisant souvent au recours à la PMA.
L’académie de médecine conclut qu’il en ressort globalement que les enfants nés par FIV peuvent être parfois atteints de troubles de la santé sans qu’un type particulier prédomine, que leur incidence est relativement modérée et qu’en cas d’augmentation significative de l’incidence, elle n’est pas beaucoup plus importante que chez les enfants conçus naturellement.
Mieux suivre – mieux renseigner les conditions de conception
Le suivi des enfants devrait être accru, jusqu’à un âge avancé. L’ANM juge aussi que d’autres études devraient être menées, et qu’il serait bénéfique qu’il puisse y avoir un croisement des bases de données de santé des différentes sources disponibles (Agence de la biomédecine, système national des données de santé, Caisse primaire d’assurance, registres de patients etc.). Elle juge aussi qu’il serait intéressant de comparer la santé des fratries, lorsque certains sont nés naturellement, d’autres par FIV.
Pour mieux comprendre l’impact du rôle des conditions de culture, des méthodes de congélation-décongélation etc. sur les événements épigénétiques, il serait aussi fondamental que les procédures utilisées pour la conception d’un enfant soient documentées, ce qui est rarement le cas. Elle rappelle par ailleurs cette mission qui a été confiée à l’Agence de la biomédecine dès sa création en 2004, d’évaluer « les conséquences éventuelles de l’assistance médicale à la procréation sur la santé des enfants qui en sont issus » (CSP Art. L. 1418-1).
Pour une information claire des parents
Malgré les incertitudes, l’ANM plaide pour qu’une meilleure information soit donnée aux personnes ayant recours à la FIV, notamment sur l’absence de risque authentifié mais aussi sur les risques potentiels de ce mode de procréation pour la santé à moyen et à long terme des enfants qui naîtront. Et pour qu’en cas d’apparition de troubles de la santé chez leur enfant, la prise en compte des conditions de conception puisse conduire à une meilleure prise en charge. Par exemple, étant donné le risque cardio vasculaire, les parents pourraient être incités à informer leurs enfants, à mettre en place un suivi précoce et des habitudes hygiéno-diététiques appropriées. Mais aussi, pour qu’en cas d’apparition de troubles, ils puissent participer à des études les concernant, y compris quand ils seront à l’âge adulte.
Ce rapport met en lumière l’importance qu’il convient d’accorder au suivi médical des enfants nés par procréation assistée et l’importance de recueillir l’ensemble des données liées aux techniques utilisées lors des différentes étapes : stimulation ovarienne, ponction, fécondation in vitro, ICSI, milieux de culture, techniques de congélation- décongélation, transfert etc.
Par ailleurs, il démontre également en lui-même, au travers de ses préconisations, que la logique même de procréation assistée entraine vers toujours plus de technique, notamment en augmentant le recours à la recherche sur l’embryon humain et au contrôle qualité des embryons avant implantation.
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :