Examen d’une proposition de loi sur le « bien vieillir » en attendant une réforme plus vaste du grand âge
Du lundi 3 au mercredi 5 avril, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a examiné une proposition de loi portée par le groupe majoritaire Renaissance pour « bâtir la société du bien vieillir en France. » Dans le même temps, Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des personnes handicapées a annoncé le lancement d’une grande réforme du grand âge dont les détails seront connus au début du mois de juin.
Une proposition de loi pour « bien vieillir »
Cette semaine, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale examinait une proposition de loi déposée par le groupe Renaissance en décembre dernier afin d’avancer vers une société du « bien vieillir ». Elle entend répondre aux attentes des professionnels du secteur de la dépendance, alors que le gouvernement a abandonné son projet de loi « grand âge ».
Cette proposition de loi poursuit trois objectifs principaux : prévenir la perte d’autonomie et lutter contre l’isolement social, lutter contre la maltraitance des personnes vulnérables, et garantir un hébergement de qualité.
I) Prévention de la perte d’autonomie et lutte contre l’isolement social
La proposition de loi prévoit la création d’une Conférence nationale de l’autonomie qui pilote la politique de prévention et son financement. Elle faciliterait aussi l’accès aux données par les services sociaux et sanitaires afin de repérer les personnes âgées ou handicapées isolées.
II) Lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables
Cette proposition de loi intègre la prévention et la lutte contre la maltraitance dans les missions de l’action sociale. Elle instaure un droit de visite de la famille et des proches et un droit au maintien d’un lien social dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette disposition fait suite aux restrictions imposées par certains établissements aux visites des familles depuis de début de la pandémie de covid-19 et entend sécuriser le droit de visite des familles en l’inscrivant dans la loi.
La proposition de loi renforce également le dispositif d’alerte des situations de maltraitance et précise les missions de la protection juridique des majeurs.
III) Garantir un hébergement de qualité
Partant du constat que « près de 80 % des Français veulent pouvoir rester chez eux », cette proposition de loi contient plusieurs mesures pour favoriser le maintien à domicile en soutenant les professionnels du secteur de l’aide à domicile :
- Expérimentation d’une carte professionnelle pour les professionnels du secteur du domicile pour faciliter leurs déplacements ou la délivrance de matériel médical
- Aide financière des départements qui contribuent au soutien à la mobilité des professionnels du domicile
- Rapport du gouvernement sur l’organisation et les modalités de financement de l’offre de soutien à domicile
Concernant l’hébergement en EHPAD, la proposition de loi définit des modalités pour accréditer les organismes chargés d’évaluer la qualité dans les EHPAD et fixe une obligation de transparence pour les établissements.
La proposition de loi contient également une mesure pour promouvoir l’habitat inclusif et prévoit la remise d’un rapport pour évaluer la mise en œuvre de l’aide sociale à l’hébergement.
Une mesure controversée
Une mesure plus discutable prévoit de supprimer l’obligation alimentaire pour les petits-enfants, s’agissant de l’aide sociale à l’hébergement. L’objectif annoncé est de ne pas faire peser cette charge sur les petits-enfants et plus paradoxalement de préserver le lien familial. Néanmoins, comme l’ont souligné plusieurs députés opposés, cette mesure créerait une rupture de réciprocité puisqu’en sens inverse, les grands-parents resteraient tenus d’aider leurs petits-enfants.
De plus, la suppression des obligations entre les générations va à l’encontre de la solidarité intergénérationnelle et favorise l’indifférence entre les générations.
Une première pierre à l’édifice avant une réforme plus vaste
Les auteurs de cette proposition de loi la présentent comme une première pierre. Le texte doit encore être enrichi en se nourrissant des conclusions du Conseil National de la Refondation (CNR) créé par Emmanuel Macron sur le « bien vieillir ».
Ces conclusions étaient présentées au moment même de l’examen de la proposition de loi en commission, le mardi 4 avril.
A l’issue de cette présentation, le Ministre, Jean-Christophe Combe, a lancé « le coup d’envoi de la réforme du grand âge ». Cette réforme comprendra quatre axes :
- Reconnaître et simplifier la vie de ceux qui entourent les personnes âgées ;
- Repérer l’isolement social et mieux prévenir la perte d’autonomie ;
- Simplifier l’accès aux services publics et à l’offre ;
- Lutter contre les maltraitances et moraliser le secteur du grand âge.
Certaines mesures figurent déjà dans la proposition de loi « Mieux vieillir », comme la création de la carte professionnelle des aides à domicile. La proposition de loi devrait encore être enrichie lors de la séance publique pour intégrer d’autres mesures annoncées par le Ministre, comme la création d’un « guichet unique » dans les départements pour « organiser des réponses claires pour les personnes en perte d’autonomie ».
Ainsi, cette proposition de loi est une « première brique » avant la présentation d’un plan d’action au début du mois de juin qui contiendra des mesures qui ne « relèvent pas de la loi ». Le troisième volet de la réforme, contenant les mesures financières, figurera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024, à l’automne prochain.
Malgré ces annonces, les professionnels du secteur du grand âge restent très préoccupés par la question du financement, sur lequel le Ministre est resté assez discret. « Soyons clairs : notre société ne pourra pas faire l’économie d’une réforme majeure à court terme ni d’un financement à hauteur des préconisations du rapport Libault. À défaut, c’est tout le système d’accompagnement des personnes âgées qui sera en péril » a réagi la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour la personne âgée (FNADEPA) dans un communiqué du 5 avril.
En effet, selon le rapport de Dominique Libault de 2019 qui fait référence, près de 10 milliards d’euros supplémentaires par an seraient nécessaires par an pour financer la dépendance à l’horizon 2030. A compter de 2024, une part de la contribution sociale généralisée (CSG) sera affectée à la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie, à hauteur de 2,5 milliards d’euros. Malheureusement, cela risque de ne pas être suffisant.
De plus, une enquête menée par la Fédération hospitalière de France a révélé que la plupart des EHPAD se trouvaient en grande difficulté financière à la fin de l’année 2022.
Or, aujourd’hui, les pouvoirs publics n’apportent pas de solution à des difficultés de financement, amplifiées par l’inflation. La réforme du grand âge n’apporte pas non plus de réponse aux difficultés de recrutement dans ce secteur, qui connaît des pénuries massives de personnel.
Pourtant, les pénuries de personnel affectent, comme on le sait, à la fois la santé des soignants guettés par l’épuisement, et la qualité des soins prodigués.
« Les soignants sont contraints, par manque de temps, d’effectuer leur métier pourtant profondément humain à la tâche et à la chaîne : cinq minutes pour un lavage de pieds, pas de temps pour plus d’une douche par semaine, cinq minutes pour la pose de bas de contention et pas une seconde de plus pour un temps d’échange, car il faut passer au suivant. » s’est indignée la députée LR Emilie Bonnivard mardi dans une question au gouvernement.
« Ce que nous faisons vivre tant à nos aînés qu’aux professionnels qui les accompagnent, par manque de moyens, est inhumain. C’est une forme de maltraitance institutionnelle subie. »
Un télescopage avec l’annonce du projet de loi sur la fin de vie
L’annonce de cette réforme intervient le lendemain de l’annonce par le Président Emmanuel Macron d’une loi fin de vie avant la fin de l’été. On peut se poser la question des priorités pour le gouvernement. Dans un virulent communiqué du 3 avril, l’Association des Directeurs au service des Personnes Âgées constate que à ce jour, « les personnes âgées vivent mal et meurent mal, et souvent isolées, car elles ne sont pas suffisamment bien accompagnées à domicile et en établissements », et que « bon nombre de citoyens âgés souffrent de syndromes dépressifs notamment liés à la solitude ».
L’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France publié en mars par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie révèle que un tiers des EHPAD n’a pas encore signé de convention avec une équipe mobile de soins palliatifs.
Ainsi, comme « 80 % des personnes qui décèdent chaque année ont plus de 80 ans, » l’AD-PA « ne pourrait admettre qu’une loi sur l’euthanasie ou le suicide assisté soit votée alors que les moyens financiers n’auraient pas été mis en œuvre pour que 80 % de l’activité des unités fixes ou mobiles de soins palliatifs soient consacrés aux plus de 80 ans et pour que les personnes âgées vivent dignement avant que la question de leur fin de vie soit posée ». […] » Il ne saurait être question d’inviter des personnes âgées à mourir parce qu’on ne leur aurait pas donné les moyens de vivre leurs dernières années correctement. »
Tout comme les professionnels du secteur, Alliance VITA suit avec attention cette réforme du grand âge. Néanmoins, il ne s’agit pas de tergiverser. Pour être à la hauteur des enjeux du vieillissement et pouvoir accompagner dignement nos aînés, cette réforme doit être dotée de moyens humains et financiers suffisants. En tout état de cause, il serait extrêmement choquant de faire évoluer la loi sur la fin de vie tant que cette réforme n’a pas été conduite.
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