Pilule de Mifépristone : débat juridique aux Etats-Unis
A la suite d’une décision préliminaire (“preliminary injonction”) d’un juge siégeant au Texas, un débat juridique intense se poursuit aux Etats-Unis sur la pilule de Mifépristone, utilisée comme abortif.
Qu’est-ce que la Mifépristone ?
La mifépristone, connue également sous le nom de RU486, est une substance chimique inhibant les effets de la progestérone, hormone naturelle nécessaire au maintien de la grossesse. Administrée à une femme enceinte, la mifépristone agit en bloquant l’action progestative, entravant ainsi la poursuite du développement de l’embryon humain et favorisant les contractions utérines. Pour un avortement dit médicamenteux, la prise de cette pilule est suivie de la prise d’une autre pilule qui augmente les contractions et l’expulsion de l’embryon.
Dans son guide sur les méthodes d’avortement médicamenteux datant de 2018, l’OMS mentionne deux méthodes : une combinaison mifépristone et misoprostol, ou la prise de misoprostol seulement.
La mifépristone comme produit abortif a été développée dans les années 80 en Europe. La commercialisation aux Etats-Unis est intervenue en 2000. L’agence fédérale américaine FDA (Food and Drug Administration) a le mandat d’autoriser la commercialisation des médicaments sur tout le territoire américain.
Elle a approuvé l’utilisation de la mifépristone sous prescription par un médecin jusqu’à 7 semaines de grossesse. L’utilisation requérait alors 3 visites (“in person”) dans les centres proposant l’avortement : deux visites pour la prise des produits abortifs (mifépristone puis misoprostol), et une visite de suivi post avortement.
En 2016, la FDA a étendu l’utilisation de la mifépristone jusqu’à 10 semaines de grossesse, a réduit le nombre de visites requises à une seule et a étendu la possibilité de prescription à un soignant non médecin. En avril 2021, en lien avec la crise sanitaire de la Covid 19, la FDA a autorisé la distribution de la mifépristone par voie postale.
Selon l’Institut Guttmacher, organisation pro-IVG américaine, l’avortement médicamenteux concerne 53% des avortements aux Etats Unis (chiffre de 2020). Par comparaison, le chiffre est de 72% en France. En 2021, dans le même contexte de la crise sanitaire, la HAS (Haute Autorité de la Santé) en France a actualisé ses préconisations sur l’IVG médicamenteuse en uniformisant le délai à 7 semaines de grossesse, à l’hôpital ou en ville. Les produits doivent être remis par le médecin ou la sage-femme qui l’a prescrit.
Qu’est-ce qu’un juge fédéral aux Etats-Unis ?
Le système judiciaire américain fonctionne avec deux types de tribunaux.
Les tribunaux relevant de chaque Etat traitent la plus grande partie des litiges civils ou des cas criminels du territoire américain. Leurs juges sont nommés par les autorités de l’Etat en question, ou parfois élus par les habitants.
Pour ce qui relève des compétences fédérales, un circuit différent est prévu dans la Constitution américaine. Le circuit comprend 94 juridictions sur tout le territoire américain (“District Courts”). Au-dessus, siègent 13 cours d’Appel (“Courts of Appel”) et comme instance supérieure, la Cour Suprême des Etats-Unis. Tous les juges fédéraux sont nommés par le Président des Etats-Unis avec confirmation du Sénat.
Quelle est la décision de la Cour du district Texas Nord ?
L’association Alliance pour une Médecine Hippocratique (AHM), association regroupant des médecins, a attaqué la FDA devant la cour du district du Texas Nord pour ses décisions d’approbation de la mifépristone. En plus de la FDA, le laboratoire Danco, producteur de la mifépristone, est également partie prenante au procès.
Le 7 avril, le juge fédéral Matthew Kacsmaryk, nommé en 2016 par Donald Trump, a ordonné la suspension de l’autorisation de la FDA. Ce format d’injonction préliminaire signifie que le jugement n’a pas encore été rendu sur le fond, à savoir le bien-fondé ou non de l’autorisation de commercialisation donnée par la FDA.
En réponse, le gouvernement américain a saisi en urgence la Cour d’appel (5° Circuit) dont dépend le district du Nord Texas pour suspendre ce premier jugement. La Cour d’Appel l’a partiellement suspendu : l’autorisation donnée en 2000 par la FDA est maintenue mais les dernières autorisations de 2016 et 2021 sont suspendues. La Cour d’Appel a considéré en particulier que la prescription par une autre personne qu’un médecin posait un préjudice aux associations de médecins plaignants.
Selon les chiffres même de Danco et la FDA, entre 2 et 7% des femmes prenant la mifépristone doivent poursuivre des traitements chirurgicaux, car l’avortement médicamenteux n’a pas réussi. Le gouvernement américain a ensuite saisi la Cour Suprême qui a suspendu le jugement en totalité jusqu’à mercredi 19 avril, puis vendredi 21 avril à minuit. En parallèle, et le 7 avril également, un autre juge fédéral siégeant dans l’Etat de Washington, Thomas Rice, a interdit à la FDA de retirer la mifépristone de la circulation dans 17 Etats américains.
Quels sont les scénarios possibles suite à ce premier jugement ?
Le jugement initial est une injonction préliminaire. Le jugement sur le fond n’étant pas rendu, de nombreux scénarios sont possibles. La Cour Suprême a été saisie par le gouvernement américain suite à la décision de la Cour d’Appel du cinquième circuit. Sa décision portera donc sur le maintien ou non du jugement de cette dernière, à savoir la circulation de la pillule de mifépristone dans les conditions prévues en 2000 au moment de la première autorisation.
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