Quand les enfants vont mal : un rapport lance une alerte sur l’état de santé mentale des enfants
Un rapport publié récemment et intitulé “quand les enfants vont mal, comment les aider” lance une alerte sur l’évolution de la santé mentale des enfants et les difficultés de prise en charge associée.
Alerte à la sur-médication
Adopté le 7 mars par le Haut Conseil de la Famille, de l’enfance et de l’âge, et publié sur leur site, ce rapport long de 172 pages se penche en profondeur sur la santé mentale des enfants, étant précisé qu’il s’agit d’une étude sur des enfants de 6 à 17 ans. Selon ses propres termes, le HCFEA “alerte sur la montée de la consommation de médicaments psychotropes par des enfants et adolescents“.
Les données utilisées dans le rapport indiquent des fortes hausses de consommation entre 2014 et 2021 : 48% pour les antipsychotiques, 62% pour les antidépresseurs et 155% pour les hypnotiques et sédatifs.
Si cette tendance a démarré avant la crise sanitaire liée à la Covid 19, elle s’est affirmée particulièrement en 2021 : hausse de 23% pour les antidépresseurs comparée à l’année précédente, et 224% pour les hypnotiques. En 2010, la consommation de médicaments psychotropes touchait 2.5% des enfants et adolescents. Elle atteindrait maintenant 5% de cette population, ce qui concerne 500 000 enfants (source INSEE, 2019). Le rapport relève deux traits significatifs et inquiétants :
- D’une part, cette augmentation ne se retrouve pas dans les autres pays d’Europe et d’Amérique du nord
- D’autre part, cette consommation “se situe pour une large part hors des conditions réglementaires de prescription”.
Sur ce dernier point, le rapport consacre, dans sa synthèse, un paragraphe intitulé “une mise à mal systématique des obligations réglementaires de prescription”. Concrètement, cette “mise à mal” se décline sur différents facteurs : une prescription avant l’âge de 6 ans, une durée de traitement particulièrement longue, une prescription hors AMM (Autorisation de mise sur le Marché). Le phénomène de co-prescriptions nombreuses de médicaments psychotropes (c’est-à-dire une substance agissant sur l’état du système nerveux central) est également dénoncé.
Les auteurs soulignent que “ces co-prescriptions ne font l’objet d’aucune étude ni validation scientifique”. Enfin, des études ont établi que cette sur-médication affectait davantage les enfants les plus jeunes de leur classe et ceux issus des milieux plus défavorisés.
L’accompagnement psychologique, éducatif et social, soin de première intention
Selon le HCFEA, les autorités sanitaires comme la HAS (Haute Autorité de Santé) et l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament), les soins de première intention pour les troubles mentaux chez l’enfant se déclinent en 3 axes :
- Les pratiques psychothérapeutiques,
- Les pratiques éducatives,
- Les pratiques de prévention et d’intervention sociale.
Le traitement médicamenteux est décrit comme une prescription de deuxième intention en soutien de l’accompagnement psychologique, éducatif et social de l’enfant et de sa famille. Les réserves sur la prescription de médicaments s’appuient sur “la rareté d’études robustes sur l’efficacité des traitements médicamenteux chez l’enfant“, et l’existence “d’effets indésirables importants et une balance bénéfice/risque qui conduit à un nombre limité d’AMM pour les médicaments psychotropes en population pédiatrique“.
Un “effet de ciseau” entre hausse des besoins de soins et déficit chronique de l’offre de soins.
L’effet de ciseau est provoqué par deux tendances inverses :
- d’une part, selon le rapport, la santé mentale “est considérée comme la première problématique de santé publique chez l’enfant en France et au niveau international”. Le nombre d’enfants ou d’adolescents en difficultés psychiques augmentent. Des facteurs négatifs jouent sur cette tendance. Sont citées la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, l’éco-anxiété, les crises économiques et les inégalités sociales. Hausse de la demande donc.
- d’autre part, du côté de l’offre de soins, sa dégradation reflète celle constatée dans le système de santé en général, et de la psychiatrie en particulier. Le rapport souligne :” l’offre pédiatrique, pédopsychiatrique et médicosociale est en recul et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables les enfants et les familles (délais d’attente de 6 à 18 mois sur le territoire). Faute de spécialistes, la majorité des consultations de l’enfant est réalisée par le médecin généraliste. La situation de la médecine scolaire, de la PMI et de l’ensemble des acteurs du champ médicosocial est très altérée et ne permet plus d’assurer les missions de service public d’accueil et de suivi de l’ensemble des enfants et des familles“. Ce déficit structurel dans la prise en charge des enfants a pour effet le “recours faute de soins adaptés, à la seule prescription de médicaments psychotropes alors même que l’indication ne correspond pas, en première intention, à la situation de l’enfant“.
Le drame des suicides
Avant la pandémie, le taux de suicide des jeunes dans la population générale était au-dessus de la plupart des pays européens (Santé publique France, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, février 2019).
En 2022, deux pédopsychiatres ont publié une tribune d’alerte cosignée par plus de 700 professionnels du soin aux enfants et adolescents, dans laquelle ils soulignent que « le délitement des structures de soins empêche les soignants d’exercer leur fonction de dernier rempart contre les tentations suicidaires des jeunes, dont la hausse massive est attestée ».
Ils y pointent à quel point « la faiblesse du tissu social (soutien familial et intégration sociale) est un facteur pronostique majeur dans les problématiques suicidaires. Sa fragilité en France ainsi que le sentiment d’isolement des jeunes étaient déjà bien identifiés dans les analyses sociologiques du suicide»
Comment aider les enfants ?
La troisième partie du rapport se penche sur les ressources et les savoir-faire existant pour améliorer la santé mentale des enfants. Les 3 axes de soin de première intention, cités plus haut, sont examinés de façon détaillée.
Concernant les psychothérapies, le rapport détaille les différentes approches (psychanalytique, comportementales et cognitives, thérapies familiales). Les critiques et controverses concernant l’efficacité de chaque approche sont croisées avec des études scientifiques. Au-delà de ces débats d’experts, le rapport consacre une partie aux repères fondamentaux pour des pratiques psychothérapeutiques avec les enfants.
Les auteurs mettent en exergue l’importance de la qualité de la relation dans tous les cas, citant un rapport de l’Académie de médecine de 2022 “Psychothérapie : une nécessaire organisation de l’offre“.
Aider les enfants, selon le HCFEA, nécessite une ambition et des moyens. Sa recommandation finale consiste à “renforcer considérablement les moyens structurels dédiés à la santé mentale de l’enfant et au déploiement d’une politique publique ambitieuse en la matière, ce qui implique de renforcer les moyens de la pédopsychiatrie mais également les moyens dédiés aux approches psychothérapeutiques, éducatives et sociales destinées à l’enfant et à la famille“.
Ce rapport soulève la question des moyens et des priorités dédiées à l’enfance. Un autre enjeu se dessine. Dans d’autres domaines, par exemple la dysphorie de genre, les autorités veulent donner la priorité aux traitements médicamenteux (hormones…) plutôt qu’aux approches thérapeutiques. Il ne faudrait pas que cette tendance masque un abandon de la relation de soins.
La question du bien-être et de la santé mentale des jeunes devrait être une préoccupation de premier ordre dans notre pays. Ils sont la France de demain. La question du soutien aux familles est prépondérante.
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