Sexe « neutre » en France ? La Cour européenne des droits de l’homme dit non

16/02/2023

L’État doit-il ouvrir la possibilité d’une mention « sexe neutre » ou « intersexe » sur les actes de naissance ? Dans un arrêt du 31 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a répondu par la négative. Une position moins « définitive » qu’il n’y paraît.

Certaines personnes – qu’on appelle « intersexes » présentent à la naissance une « ambiguïté sexuelle », une malformation des organes génitaux qui rend difficile l’établissement immédiat d’un acte civil les mentionnant comme garçon ou fille. Celui-ci est différé, pour permettre aux médecins de mener des examens complémentaires. Ces situations, rares et complexes, nécessitent une prise en charge particulière, aussi bien sur le plan médical que psychologique. Elles sont difficiles à vivre pour les familles et parfois, plus tard, pour les personnes concernées.

Un sexagénaire né intersexué avait demandé à la justice française de modifier son état civil pour y inscrire « sexe neutre ». Cette demande, d’abord acceptée, a ensuite été rejetée. Par son refus en 2017, la Cour de cassation, la plus haute juridiction avait rappelé que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin et que cette binarité poursuit un but légitime : elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur. La reconnaissance par le juge d’une troisième catégorie de sexe aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination.

Le requérant, alléguant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, a alors formé un recours devant la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). Celle-ci vient donc de rejeter également sa demande et a décidé de ne pas contraindre la France à reconnaitre un « sexe neutre ».  Pour la CEDH, la France a correctement mis en balance l’intérêt général et les intérêts du requérant : la vie privée doit en effet être conciliée avec d’autres impératifs, à savoir ici l’indisponibilité de l’état des personnes (le principe légal selon lequel un individu ne peut disposer à sa guise des éléments permettant de l’identifier) et la nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français » explique l’association Juristes pour l’enfance.

Mais les « mots » employés par la CEDH, les compétences qu’elle s’attribue et ses arrêts de plus en plus transgressifs n’ont rien de rassurant.

Nicolas Hervieu, juriste spécialiste du droit européen constate par exemple qu’elle « contredit la Cour de Cassation de manière cinglante, en lui indiquant qu’elle a eu tort de prendre en compte l’apparence physique et sociale masculine du requérant. L’instance européenne précise ainsi qu’ « élément de la vie privée, l’identité d’une personne ne saurait se réduire à l’apparence que cette personne revêt aux yeux des autres » ».

La CEDH conclut  par ailleurs qu’ « en l’absence de consensus européen en la matière, il convient donc de laisser à l’État défendeur le soin de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées, telles que le requérant, en matière d’état civil, en tenant dûment compte de la difficile situation dans laquelle elles se trouvent au regard du droit au respect de la vie privée en particulier du fait de l’inadéquation entre le cadre juridique et leur réalité biologique ». Ainsi, elle fonde son avis sur l’absence de consensus européen, ce qui n’est pas très solide et encore moins immuable. Pour la juriste Aude Mirkovic : « la CEDH écrit au fur et à mesure le contenu du texte qu’elle est chargée de faire respecter : point ici de séparation des pouvoirs, sans même parler de la légitimité démocratique de ce pouvoir que s’octroie la Cour sous couvert d’interprétation « dynamique », puisque ses juges ne sont pas élus et n’ont reçu du peuple aucun mandat pour édicter ainsi des règles contraignantes pour l’ensemble des États du Conseil de l’Europe. La Cour européenne laisse, aujourd’hui, la France fonder les mentions de l’état civil sur la dualité de sexes. Mais jusqu’à quand ? ».

Cette bataille juridique cache d’autres ambitions. Non pas la création de nouvelles catégories, mais bien la disparition de toute distinction des deux sexes au profit d’un concept aussi invraisemblable qu’impossible : celui de « l’autodétermination ».

« Notre but final, en tant que mouvement, est bien l’abrogation totale des catégories sexuées sur les documents d’identité, et non la création pérenne d’une troisième catégorie de sexe à l’état civil», explique depuis longtemps un collectif militant.

 

La Cour d’Appel d’Orléans rejette une demande de « sexe neutre » à l’Etat civil. 1er avril 2016.

Sexe « neutre » ? La Cour de cassation dit non, 5 mai 2017.

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