Estimation et analyse des demandes d’euthanasie en France
22/12/2022
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Estimation et analyse des demandes d’euthanasies en France

 

Introduction et objectifs

Dans le débat actuel sur la fin de vie, les demandes persistantes d’euthanasies sont fréquemment invoquées pour justifier sa légalisation. Dans son avis 139, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lui-même s’appuie sur une étude pour justifier son revirement sur l’euthanasie et le suicide assisté.

L’objet de cette note d’analyse est d’étudier l’évolution entre 2012 et 2022 de l’estimation et de la compréhension des demandes d’euthanasie en France à partir d’études scientifiques fréquemment citées dans le débat.

I. Quelle est la réalité chiffrée de la demande persistante d’euthanasies en France hors et au sein des services de soins palliatifs ? (Les demandes persistantes sont des demandes répétées dans la durée par le patient lui-même)

 

1) Une estimation basée sur l’ensemble des décès – Enquête de l’INED “ La fin de vie en France”

L’enquête “La fin de vie en France” a été réalisée pour la première fois par l’INED en 2010 et n’a pas été actualisée depuis. 14 080 questionnaires comprenant 40 questions fermées ont été envoyés à 11 828 médecins certificateurs. 5 217 questionnaires ont été reçus en retour, soit un taux global de participation de 40 % ce qui est considéré comme suffisamment représentatif. Seuls 4723 questionnaires remplis ont été considérés comme exploitables.

Dans l’analyse de l’enquête [1], “selon les médecins enquêtés, 16 % des personnes décédées ont exprimé à un moment ou à un autre le souhait d’accélérer leur mort, mais les demandes explicites d’euthanasie restent extrêmement rares en France : elles concernent 1,8 % des décès, soit 44 personnes sur un échantillon d’environ 2 200 personnes ayant fait l’objet d’une décision médicale en fin de vie.”

Cette enquête déclarative menée auprès des soignants ne mesure pas l’évolution et la persistance de la demande d’euthanasie au cours du temps.

2) Des estimations de requêtes au sein des centres de soins palliatifs

L’article de Guirimand et al [3, 2014] s’appuie sur une méthodologie différente de celle de l’enquête de l’INED. Les souhaits de mort anticipée et les demandes explicites d’euthanasie sont recueillis à partir des notes consignées par les soignants (les infirmières, les psychomotriciens, psychologues, thérapeutes) dans les dossiers des patients admis à l’hôpital en soins palliatifs.

L’approche quantitative se base sur la récupération des notes concernant les patients admis au sein de la maison médicale Jeanne Garnier (81 lits) en 2010 et 2011 soit 2157 patients qui sont restés en moyenne 13 jours dans l’hôpital. Au total 33 024 observations médicales et 195 862 observations paramédicales ont été étudiées ce qui donne un échantillon très large d’observations croisées.

Deux statisticiens ont ensuite analysé ces notes pour évaluer le type de “souhait à mourir” et les ont classés en trois catégories : “Requête d’euthanasie”, “Pensées suicidaires” et “Autres souhaits de mourir”. La catégorie “requête d’euthanasie” nécessite que la requête émane du patient et exclut toutes les requêtes faites par les membres de la famille. Le terme de “pensées suicidaires” renvoie à l’expression de l’intention de mourir de ses propres mains.

La catégorie “autres souhaits de mourir” inclut toutes les demandes de raccourcir la vie, qu’il s’agisse de passer le temps rapidement ou de mourir rapidement sans requérir explicitement l’aide d’une tierce personne. L’article n’indique pas une mesure de performance de l’algorithme de classification notamment l‘évaluation du risque de mauvaise classification. Habituellement, cette mesure de performance peut prendre la forme d’une matrice de confusion avec des vrais/faux positifs et de vrais/faux négatifs.

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âge et durée de séjour en soins palliatifs
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statut marital des patients en soins palliatifs
types de maladies
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Figures 1-a / 1-e: Caractéristiques des patients ayant émis un souhait de mourir en centre de soins palliatifs issues de [3]

Sur les 2157 patients étudiés dans cet hôpital de soins palliatifs, 9% (195) ont exprimé un souhait de mourir dont 3% (61) ont exprimé une requête d’euthanasie initiale, 1% (15) des pensées suicidaires et les 6% restant (119) d’autres souhaits de mourir. Ces 195 patients étaient principalement des patientes (65%), leur durée de séjour était significativement plus élevée (24 jours en médiane) et leur consommation d’anxiolytiques (88% au lieu de 66%) et d’antidépresseurs (55% au lieu de 36%) était plus élevée que les autres résidents du centre de soins palliatifs.

Un article récent publié en 2022 [4] par Leboul et al (avec une partie des auteurs de l’étude réalisée au sein de la maison médicale Jeanne Garnier [3] associés à des acteurs du CHU de Besançon) s’appuie sur une recherche effectuée pendant un an dans 11 unités de soins palliatifs dont 5 en Bourgogne Franche Comté et 5 en Région Parisienne avec une capacité de 151 lits d’accueil au total (ces 151 lits représenteraient approximativement 4000 patients en prenant en compte le taux d’occupation des lits de la Maison Médicale Jeanne Garnier de 26,6 patients par an/lit selon l’étude Guirimand et al citée plus haut[3]).

Ainsi, par rapport à cette étude [3] de 2014, l’enquête actualisée et étendue Leboul [4] au sein de la maison Jeanne Garnier et du CHU de Besançon de 2022, montre des demandes d’euthanasie initiales plus faibles : 31 contre 61 en 2014 pour un nombre de lits presque deux fois plus important (151 lits en 2022 v/s 81 lits représentant 2157 patients en 2014). Si on regarde l’indicateur des demandes d’euthanasie par patient et par lit, celui-ci est passé de 61/81 (0,75) à 31/151 (0,21) ce qui rend encore plus rares les demandes initiales.

Si on applique le même taux d’occupation des lits de la maison Jeanne Garnier c’est-à-dire 26.6 par lit par an, alors on obtient une estimation de 0,7% demandes d’euthanasie parmi les patients en soins palliatifs. (Plus basse que les 3% estimées dans l’étude précédente.)

Parmi les 31 patients qui ont fait une demande d’euthanasie, 18 ont participé à l’étude Leboul et al, les 13 autres n’ont pas été retenus en raison de leurs capacités physiques ou cliniques ou de leur refus de participer. 9 d’entre eux ont pu réaliser les deux entretiens successifs (les autres étant décédés ou en incapacité de réaliser le deuxième entretien). Les caractéristiques de ces patients sont similaires à celles de [3] avec une majorité de femmes demandant l’euthanasie, pour la plupart atteintes de cancer.

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distribution des âges
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Figures 4-a/4-b/4-c: Caractéristiques des 18 patients ayant fait une demande d’euthanasie dans les services de soins palliatifs de Bourgogne Franche Comté et d’Ile de France (issue de [4])

3) Estimation du maintien des demandes d’euthanasie

Dans l’étude Guirimand [3], parmi les 61 demandes d’euthanasie recueillies initialement par les soignants (51% de médecins, 39% d’infirmières et 7% de psychologues), seulement 6 (10%) ont persévéré dans leurs requêtes en répétant leur demande d’euthanasie (représentant donc 0,3% des patients en soins palliatifs). Le reste de l’étude se focalise ensuite sur ces 6 patients uniquement de façon qualitative. In fine, seuls deux patients ont maintenu leur demande d’euthanasie jusqu’à leur décès.

L’article Ferrand et al [2,2012] est basé sur une enquête adressée durant l’année 2010 aux soignants de centres de soins palliatifs. Parmi les 789 services contactés, 352 (45 %) ont envoyé des données sur les demandes d’accélération de la mort dans leurs services (ce taux de réponse ne donne cependant aucune indication sur le nombre de patients totaux dans les unités répondantes).

Parmi ces requêtes d’accélération de la mort (dont 68,9% sont considérés comme des “souhaits clairs” d’euthanasies), un tiers (37%) sont persistantes, 28% disparaissent et 24% sont fluctuantes. Nous notons une différence significative entre celles, d’une part, venant des patients (34%) et des proches (39%) et celles, d’autre part, du personnel soignant qui sont très persistantes (53,1%).

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Figure 2: Persistance des requêtes initiales de hâter la mort issue de [2]

L’étude Leboul [4] permet également de regarder l’évolution de la demande d’euthanasie (maintien, arrêt, ambivalence) au gré des évènements, du vécu et des interactions. […].. Selon les auteurs « Le sentiment d’ambivalence, intrinsèque au désir de mort, peut masquer et nuancer le jeu des pulsions de vie et de mort. La réaction des soignants et leur accueil de la demande jouent aussi sur le fait d’exprimer à nouveau la demande et la forme rhétorique employée. Nous avons constaté leurs variations suite aux interactions avec des soignants et des proches et suite aux évènements liés à la maladie ».

Sur les 26 situations récoltées à partir des questionnaires venant des 31 patients qui ont fait une demande d’euthanasie, 10 sont considérées comme non persistantes par le soignant remplissant le questionnaire, 9 sont considérées comme persistantes. (6 définitions de l’évolution ne sont pas renseignées suite à un décès trop rapide et 1 donnée manquante).

La très récente étude Trimaille [5] se focalise particulièrement sur la sociologie des personnes demandant une euthanasie ou un suicide assisté avec un focus particulier sur la persistance des demandes et les caractéristiques spécifiques de cette persistance. EpiDESA2 est une étude prospective et multicentrique qui s’est déroulée de janvier à décembre 2017 en Bourgogne Franche Comté (2,8 millions d’habitants) auprès des 30 000 professionnels de santé à travers une large campagne de communication.

Le premier questionnaire permettait de recueillir les données socio-démographiques du patient, le contexte et la formulation mot pour mot de la demande.

Le second questionnaire était rempli dans les deux jours suivant la demande, avec un membre de l’Équipe mobile ou du Réseau de soins palliatifs (27 services mobiles ou fixes de soins palliatifs; les données de ressources disponibles de la région sont bien documentées), pour recueillir des renseignements sur l’état de santé physique, le niveau d’autonomie, d’indépendance, la situation familiale, sociale et psychique du patient. Le troisième questionnaire était complété une semaine après la première formulation, pour collecter des informations sur le contexte et les raisons de réitération ou non de la demande.

Les professionnels ont signalé 146 demandes d’euthanasie ou de suicide assisté sur une année.

Sur ces 146 demandes, 14 n’ont pas été retenues car elles ne correspondaient pas aux critères définis : demande formulée de manière explicite par un patient majeur, n’ayant pas de trouble neurocognitif, en fin de vie du fait d’une maladie grave, évoluée et incurable ou du fait de polypathologie gériatrique.

67 demandes ont été exclues pour d’autres raisons (l’accord de participation du patient n’a pas pu être recueilli (38) ; le patient a été perdu de vue (12) ; le patient est décédé (9) ; le patient a refusé de participer à l’étude (7) ; le questionnaire n’a pas été rempli (1)).

Finalement, 65 demandes ont été intégrées dans l’étude au jour 1. Dix patients ont été exclus entre le jour 1 et le jour 2 en raison de questionnaires incomplets ou de décès ce qui donne 55 demandes dont la sociologie et les symptômes médicaux ont été étudiés en profondeur.

Quarante demandes ont été formulées au sein d’un établissement de santé (16 en CHU et 24 en hôpital local), 7 en EHPAD, 7 en cabinet libéral et 1 au domicile du patient. Trente-deux des 55 patients bénéficiaient d’une prise en charge palliative (9 en USP –unité de soins palliatifs-, 19 par une EMSP-équipe mobile de soins palliatifs- ou RSP-réseau de soins palliatifs- et 4 par l’intermédiaire d’un LISP-lits identifiés de soins palliatifs-, d’un gériatre ou d’un médecin généraliste).

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type demande
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Figures 5: comparaison des caractéristiques socio-économiques et symptômes entre les demandes persistantes et non persistantes selon [5]

Concernant la réitération des demandes au bout d’une semaine, dix patients sont exclus entre le jour 2 et le jour 7 en raison du décès soit au final 45 demandes suivies jusqu’au bout du protocole. Ainsi, parmi les 45 demandes d’euthanasie ou de suicide assisté initiales, 22 disparaissent (49%) contre 23 qui sont réitérées (51%).

Les patients qui ont réitéré leur demande ont une moyenne d’âge plus élevée (81 ans contre 75 ans), sont moins entourés 14/23 (61 %) et 22 des 23 patients disent avoir plus de difficultés à gérer leur perte d’autonomie.

En outre, les comparaisons des caractéristiques socio-économiques montrent que:

  • Les hommes maintiennent plus leur demande d’euthanasie que les femmes,
  • Les artisans, commerçants, chefs d’entreprise sont deux fois plus représentés dans les demandes réitérées.

Les caractéristiques cliniques (figures 5) ne montrent pas de différences significatives hormis dans 3 cas de figure :

  • On compte beaucoup plus de patients dont les symptômes se sont dégradés dans les derniers mois parmi les demandes qui disparaissent que parmi les demandes maintenues. Cette surreprésentation peut signifier que la dynamique de dégradation influence l’expression initiale de la demande d’euthanasie mais une fois passée cette expression, l’adaptation des traitements palliatifs permet de rétablir une stabilité des symptômes.
  • Les symptômes douloureux sont légèrement plus importants pour les demandes maintenues que pour les demandes abandonnées.
  • Les maladies neurologiques sont plus représentées dans les demandes maintenues que dans les demandes abandonnées.

Conclusion

Selon ces études, les demandes initiales d’euthanasie restent faibles en France (1,8% des décès et entre 0,7% et 3% des patients en soins palliatifs).

Les demandes persistantes sont encore plus faibles puisque les études montrent qu’entre 50% et 90% des demandes initiales ne persistent pas dans le temps.

II.Quelles sont les raisons et les motivations de ces demandes d’euthanasie ?

Après avoir estimé le nombre de demandes d’euthanasie initiales et persistantes, nous proposons d’analyser le contexte médical, les conditions de la maladie ainsi que les raisons et motivations de ces demandes.

1) La situation clinique des personnes demandant une accélération de la mort

L’étude Ferrand [2, 2012] (soutenue financièrement en particulier par la SFAP) a permis d’identifier 783 cas de requête pour accélérer la mort1 dont 476 venaient des patients, 258 de la famille ou des amis proches et 49 de l’équipe de soignants.

Parmi les 476 demandes d’accélération de la mort exprimées par les patients :

  • 79,4% des patients exprimant cette demande étaient atteints de cancer.
  • D’après les soignants, 13,9% des patients qui demandent d’accélérer la mort souffraient d’un syndrome dépressif en cours.
  • 82,4% des patients demandant une accélération de la mort ont vu soit un psychologue ou un psychiatre “ce qui peut laisser des doutes sur la capacité à prendre des décisions importantes sur sa fin de vie.”

Lorsque la demande est exprimée par le patient, les symptômes cliniques principaux (>40%) sont la souffrance physique contrôlée (55,3%), les difficultés d’alimentation (54,6%), les difficultés motrices (46%). 5% souffrent de manière incontrôlée.

Parmi les 258 demandes d’accélération de la mort exprimées par les proches, les principaux symptômes cliniques évoqués sont les difficultés d’alimentation (81,4%), les difficultés de communication (67,4%), les difficultés d’excrétion (67,4%) et les déficiences motrices (65,1%). Les douleurs incontrôlées ne sont citées que par 1,9% des proches.

Parmi les 49 demandes d’accélération de la mort exprimées par les soignants, les principaux symptômes cliniques évoqués sont les difficultés d’alimentation (79,6%), les déficiences motrices (73,5%), les difficultés d’excrétion (67,4%) et les difficultés de communication (63,3%). Les douleurs incontrôlées ne sont pas citées du tout.

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Figures 2-a : Symptômes cliniques du patient, parmi les patients exprimant une demande pour accélérer la mort, issus de [2]

L‘importance des symptômes évoqués par les groupes de personnes demandant une accélération de la mort (patients, proches, personnels soignants) n’est pas uniforme :

  • Les troubles cognitifs et de communication sont davantage (respectivement 5 et 4 fois plus) mentionnés par les proches et le personnel médical que par les patients ainsi que les difficultés d’excrétion (2 fois plus) et les difficultés d’alimentation (1,5 fois plus).
  • La douleur incontrôlée est peu citée par les patients (5%). Elle n’est pas perçue de la même manière par les proches ou les soignants. Ces derniers ne la mentionnent pas du tout.

2) Les motivations de la requête d’accélération de la mort

Dans l’étude Ferrand [2], le contexte de la demande se fait souvent après l’annonce de la maladie ou à la suite d’un ou plusieurs épisodes sévères sur l’évolution de la maladie (plusieurs choix possibles dans l’enquête) :

  • 39,7% après l’annonce de l’entrée en phase terminale
  • 25% en apprenant le diagnostic
  • 18,1% après un épisode sévère
  • 60,5% après plusieurs épisodes sévères

Lorsque la demande est exprimée par le patient, les motifs principaux (>40%) sont la culpabilité d’être un fardeau pour sa famille (51,3%), la peur de donner une image intolérable de soi-même (49,8%), une vie inutile (42,6%) et la peur d’une souffrance insoutenable (41,2%)

Lorsque la demande est exprimée par les proches, les motifs principaux concernent la peur de donner une image intolérable de soi-même (49,2%), une vie inutile (42,6%), la peur de la douleur insoutenable (37,2%), la culpabilité d’être un poids pour sa famille (36,8%).

Lorsque la demande est exprimée par le corps médical, les motifs principaux concernent la peur de donner une image intolérable de soi-même (51%), la culpabilité d’être un poids pour sa famille (40,8%), la peur de la mort (38,8%), et la peur de la douleur insoutenable (37,2%).

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Figure 2-b : Perceptions du patient, parmi les patients exprimant une demande pour accélérer la mort, issues de [2]

Les trois principaux motifs de demandes d’accélération de la mort chez les patients sont liés à la perception de leur image et de la qualité de leur vie relationnelle :

  1. Culpabilité d’être un fardeau pour sa famille et ses amis
  2. Peur de présenter une image intolérable de soi-même
  3. Vie inutile

Ces facteurs d’ordre psychologique et relationnel demandent une prise en charge adéquate de l’environnement familial, amical et médical.

3) Focus sur une approche nouvelle basée sur des entretiens directs qui donnent la parole aux patients qui font une demande d’euthanasie

Un article récent publié en 2022 [4] par Leboul et al (avec une partie des mêmes auteurs de la maison médicale Jeanne Garnier [3] associés à des acteurs du CHU de Besançon) permet d’enrichir cette approche qualitative pour mieux comprendre en profondeur les demandes d’euthanasie. La collecte de données a été réalisée auprès des patients et pas des soignants ce qui rend cette étude unique.

Deux entretiens approfondis d’une quarantaine de minutes ont été réalisés à une semaine d’intervalle. Grâce à ce procédé de “recherche utilisateur” (procédé utilisé en marketing par exemple), 15 entretiens riches permettent d’obtenir suffisamment d’informations.

Ainsi, cinq catégories de raisons ressortent des entretiens avec les patients justifiant selon eux leur demande d’euthanasie.

Le premier thème confirme les résultats de l’étude précédente sur les motifs des patients [2]. Si la douleur physique après des épisodes aigus des maladies constitue un motif important, on note aussi un appel des patients à reconnaitre une souffrance existentielle insupportable. Cette catégorie inclut :

  • La détresse psychologique de voir son corps et ses fonctions se détériorer, la perte de contrôle de sa vie
  • Les sentiments de solitude liés à la désespérance qu’ils ne peuvent pas partager, un sentiment d’inutilité auprès des autres, la difficulté à communiquer…
  • L’angoisse projective de souffrir dans le futur juste avant la mort notamment en faisant référence à des épisodes traumatiques vécus par des proches souffrant à l’approche de leur fin de vie

En donnant la parole aux patients, cette étude fait ressortir également quatre nouvelles catégories de raisons :

  • Un encouragement à changer d’approche clinique. En effet, parmi ceux qui ont pu avoir les deux entretiens, les patients ont exprimé avoir vu un changement d’attitude du personnel soignant après avoir exprimé une demande d’euthanasie et se sont sentis rassurés par la capacité des soignants à gérer la souffrance physique et les symptômes. Les patients ont aussi investi les relations avec les soignants et témoignent que cette attention accrue a pu leur faire changer de point de vue sur l’urgence de mettre un terme à leur vie.
  • Une réaffirmation de la liberté par rapport aux contraintes médicales. Les déclarations des patients révèlent une recherche de contrôle du moment et des conditions de leur mort afin de se libérer de la mainmise des professions médicales sur leur maladie. Les patients réclament de prendre leurs décisions pour eux-mêmes enracinées dans une philosophie de vie basée sur la liberté et l’autonomie. Ils mettent en avant leur capacité à se battre face à l’adversité.
  • Une capacité à imaginer un futur désirable pour soi-même. Les patients se projettent eux-mêmes dans un futur où ils seront soulagés de toutes les souffrances du présent. Ils souhaitent avoir la capacité à investir le temps restant en prenant un certain plaisir à vivre (refaire des activités qui leur plaisent par exemple). Enfin, ce temps permet de déclencher des discussions avec leurs proches.
  • Le test de la possibilité de transgresser l’interdit de l’euthanasie. En faisant cette demande, ces patients souhaitent vérifier si l’euthanasie pourrait être pratiquée. Lors du second entretien, des patients testent aussi la possibilité de la faisabilité du suicide assisté comme alternative à la demande d’euthanasie.

L’étude conclut que l’adoption d’une attitude d’écoute des unités de soins palliatifs face à ces demandes permet de créer un espace de discussion à même de favoriser l’interaction avec le patient au lieu de répondre à cette demande d’euthanasie par une solution irréversible.

 

CONCLUSIONS

Selon les résultats de la première partie de l’étude :

  • Les demandes initiales d’euthanasie restent faibles en France (1,8% des décès et entre 0,7% et 3% des patients en soins palliatifs).
  • Les demandes persistantes sont encore plus faibles puisque les études montrent qu’entre 50% et 90% des demandes initiales ne persistent pas dans le temps.

Dans la deuxième partie, une étude plus qualitative des demandes d’euthanasie montre que :

  • Les demandes d’euthanasie sont très peu motivées par la douleur incontrôlée (seulement 5% des cas), mais majoritairement motivées par la perception de la perte de dignité et la peur d’être un poids pour la société ou les proches.
  • L’existence de demandes d’euthanasie émanant de médecins et de proches peut interroger sur les pressions éventuelles subies par les patients (enquête Ferrand).
  • Certaines motivations exprimées par les patients sont bien identifiées par les soignants comme l‘anticipation de la souffrance et le sentiment de solitude. En revanche, lorsqu’ils sont directement interrogés, les patients disent le besoin de retrouver une marge de manœuvre sur les choix médicaux. Ils cherchent également des interactions plus importantes et un rééquilibrage de la relation avec les soignants.

 

[1] 2012, Pennec Sophie, Monnier Alain, Pontone Silvia, Aubry Régis. 2012. Les décisions médicales en fin de vie en France. Population & Sociétés, 494, 4 p. https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2012-10-page-1.htm

 

[2] 2012, Ferrand E, Dreyfus JF, Chastrusse M, Ellien F, Lemaire F, Fischler M. Evolution of requests to hasten death among patients managed by palliative care teams in France: a multicentre cross-sectional survey (DemandE). Eur J Cancer. 2012 Feb;48(3):368-76. doi: 10.1016/j.ejca.2011.09.020. Epub 2011 Oct 28. PMID: 22036873. https://www.ejcancer.com/article/S0959-8049(11)00733-7/fulltext ; en Français: L’enquête multicentrique DemandE, Médecine Palliative : Soins de Support – Accompagnement – Éthique, Volume 11, Issue 3, 2012, Pages 121-132, ISSN 1636-6522, https://doi.org/10.1016/j.medpal.2011.12.005. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1636652212000037

 

[3] 2014, Guirimand F, Dubois E, Laporte L, Richard J-F, Leboul D. Death wishes and explicit requests for euthanasia in a palliative care hospital: an analysis of patients files, November 2014, BMC Palliative Care 13(1):53 https://bmcpalliatcare.biomedcentral.com/articles/10.1186/1472-684X-13-53

 

[4] 2022, Leboul D, Bousquet A, Chassagne A, Mathieu-Ricot F, Ridley A, Cretin E, Guirimand F, Aubry R. Understanding why patients request euthanasia when it is illegal: a qualitative study in palliative care units on the personal and practical impact of euthanasia requests, January 2022, Palliative Care & Social Practice, https://www.researchgate.net/publication/357738825_Understanding_why_patients_request_euthanasia_when_it_is_illegal_a_qualitative_study_in_palliative_care_units_on_the_personal_and_practical_impact_of_euthanasia_requests ;

en Français, Étude DESA Demandes d’Euthanasie et de Suicide Assisté Étude prospective, multicentrique et qualitative RAPPORT DE RECHERCHE 2014 – 2017, 2018, https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=18356 https://www.jeanne-garnier.org/wp-content/uploads/2022/10/Comprendre-les-Demandes-deuthanasie-de-patients-en-USP-25-oct-2022.pdf

 

[5] Hélène Trimaille, Florence Mathieu-Nicot, Morgane Bondier, Aurélie Godard-Marceau, Régis Aubry, Lionel Pazart, Aline Chassagne, Évolution des demandes d’euthanasie ou de suicide assisté selon les professionnels de santé, Médecine Palliative, 2022, ISSN 1636-6522, https://doi.org/10.1016/j.medpal.2022.09.003, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1636652222000836