Estimation et analyse des demandes d’euthanasies en France
Quelques études ont été publiées sur les douze dernières années pour estimer les demandes d’euthanasie en France. Ces études sont parfois citées dans le débat actuel sur la fin de vie et son encadrement législatif. Ainsi le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) dans son avis 139 s’appuie sur une étude conduite dans le Centre de soins palliatifs Jeanne Garnier pour justifier son revirement en faveur de l’euthanasie et le suicide assisté. Dans cette étude datant de 2014 les demandes initiales d’euthanasie exprimées par les patients traités en soins palliatifs sont estimées à 3%.
La note d’analyse que nous publions analyse dans le détail 4 études conduites en France entre 2010 et 2022, dont certaines permettent aussi de distinguer les requêtes initiales d’euthanasie des demandes persistantes, c’est-à-dire répétées dans le temps par le patient lui-même.
L’enquête de l’INED 2010 sur les demandes d’euthanasie
L’enquête la plus ancienne, menée par l’INED a été conduite auprès des médecins et non des patients. La principale conclusion de l’étude est que « selon les médecins enquêtés, 16 % des personnes décédées ont exprimé à un moment ou à un autre le souhait d’accélérer leur mort, mais les demandes explicites d’euthanasie restent extrêmement rares en France : elles concernent 1,8 % des décès, soit 44 personnes sur un échantillon d’environ 2 200 personnes ayant fait l’objet d’une décision médicale en fin de vie. »
Les requêtes initiales d’euthanasie exprimées par des patients en soins palliatifs
L’étude conduite à la maison médicale Jeanne Garnier en 2014
L’approche de cette étude est différente. Les souhaits de mort anticipée et les demandes explicites d’euthanasie sont recueillis à partir des notes consignées par les soignants (infirmières, les psychomotriciens, psychologues, thérapeutes) dans les dossiers des patients admis dans ce centre de soins palliatifs (81 lits) sur la période 2010-2011 Les données ont été classées en 3 catégories, “Requête d’euthanasie”, “Pensées suicidaires” et “Autres souhaits de mourir”.
Sur les 2157 patients étudiés dans cet hôpital de soins palliatifs, 9% (195) ont exprimé un souhait de mourir dont 3% (61) ont formulé une requête d’euthanasie initiale, 1% (15) des pensées suicidaires et les 6% restant (119) d’autres souhaits de mourir. Ces 195 patients étaient principalement des patientes (65%), leur durée de séjour était significativement plus élevée (24 jours en médiane) et leur consommation d’anxiolytiques (88% au lieu de 66%) et d’antidépresseurs (55% au lieu de 36%) était plus élevée que les autres résidents du centre de soins palliatifs.
Extension et actualisation de l’étude précédente en 2018
L’étude précédente a fait l’objet d’une actualisation sur la période 2014-2017 avec une extension au CHU de Besançon. Parmi les auteurs, on compte Régis Aubry, membre du CCNE ayant voté pour l’avis 139.
Sur un nombre de lits presque deux fois plus important (151) que dans l’étude réalisée à Jeanne Garnier (81), les demandes initiales sont plus basses : 31 contre 61. Si on considère l’hypothèse d’un taux d’occupation régulier des lits en soins palliatifs, alors on atteint 0,7% des demandes d’euthanasies parmi les patients en soins palliatifs.
Les demandes persistantes d’euthanasie
Les études permettent aussi d’obtenir une estimation des demandes persistantes d’euthanasie.
Dans l’enquête réalisée en 2014, parmi les 61 demandes d’euthanasies recueillies initialement par les soignants, seulement 6 (10%) ont persévéré dans leurs requêtes en répétant leur demande d’euthanasie.
Au total les demandes persistantes représentent 0.3% des patients en soins palliatifs. Le reste de l’étude se focalise ensuite sur ces 6 patients maintenant leur demande uniquement de façon qualitative. In fine, seuls deux patients ont maintenu leur demande d’euthanasie jusqu’à leur décès.
L’étude de 2018 permet aussi d’affiner l’évolution des demandes (maintien, arrêt, ambivalence). Celles-ci peuvent varier au gré des évènements, du vécu et des interactions. […]. L’étude note que « Le sentiment d’ambivalence, intrinsèque au désir de mort, peut masquer et nuancer le jeu des pulsions de vie et de mort. La réaction des soignants et leur accueil de la demande jouent aussi sur le fait d’exprimer à nouveau la demande et la forme rhétorique employée. Nous avons constaté leurs variations suite aux interactions avec des soignants et des proches et suite aux évènements liés à la maladie« .
Enfin une étude récente conduite auprès de professionnels de santé en Bourgogne Franche Comté et publiée en 2022 permet d’affiner le contexte autour des demandes, peu fréquentes, d’euthanasie.
Il en ressort que :
- Les hommes maintiennent plus leur demande d’euthanasie que les femmes.
- Les artisans, commerçants, chefs d’entreprise sont deux fois plus représentés dans les demandes réitérées.
Les caractéristiques cliniques ne montrent pas de différences significatives hormis dans 3 cas de figure :
- On compte beaucoup plus de patients dont les symptômes se sont dégradés dans les derniers mois, parmi les demandes qui disparaissent que parmi les demandes maintenues. Cette surreprésentation peut signifier que la dynamique de dégradation influence l’expression initiale de la demande d’euthanasie mais une fois passée cette expression, l’adaptation des traitements palliatifs permet de rétablir une stabilité des symptômes
- Les symptômes douloureux sont légèrement plus importants pour les demandes maintenues que pour les demandes abandonnées.
- Les maladies neurologiques sont plus représentées dans les demandes maintenues que dans les demandes abandonnées
Conclusion
Les études disponibles montrent que, parmi les personnes en fin de vie, les demandes d’euthanasie restent peu fréquentes. D’après les données recueillies auprès de patients, les demandes initiales d’euthanasie peuvent être estimées entre 0.7% et 3% d’entre eux, une enquête plus ancienne de l’INED estimant que les demandes explicites d’euthanasie concernent 1,8 % des décès. Les demandes persistantes sont encore moins nombreuses, autour de 0.3% selon l’étude effectuée en 2014. La qualité des soins procurés, l’attention des soignants, le contexte familial, socio-économique… sont aussi des facteurs d’influence sur ces demandes et leur persistance.
Plus que jamais, l’urgence est de soulager et accompagner les personnes en fin de vie.
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