Projections démographiques : le 8 milliardième humain serait né le 15 novembre
1 milliard en 1800, 2 milliards en 1927, 6 milliards d’humains en 1999, 7 milliards en 2011, et le cap des 8 milliards franchi le 15 novembre selon les projections démographiques du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) publié en juillet dernier.
Abondamment commentés, ces projections démographiques déclenchent des polémiques et alimentent des scénarios divergents, et souvent pessimistes. Le film Soleil vert, récemment rediffusé, en est une illustration.
Projections démographiques : le probable et l’incertain.
Les projections sont le résultat de modèles comportant des hypothèses qui cherchent à rendre compte d’une réalité complexe. De l’incertitude est nécessairement attachée à toute projection. Les articles spécialisés de démographie n’utilisent pas le mot « prévision » qui pourrait faire croire que le futur est connu. Selon une étude publiée par l’INED en octobre dernier, le phénomène de croissance démographique sans précédent que le monde connait depuis quelques décennies est lié au phénomène de transition démographique.
Celui-ci est défini comme un régime où le taux de mortalité baisse avant le taux de natalité, ce qui alimente la hausse de la population. Sur les données démographiques observées, la croissance de la population mondiale a atteint un pic à 2% autour de 1965-1970, et se situe aujourd’hui un peu en dessous de 1%. La population va continuer à croitre dans les prochaines décennies mais un pic serait atteint au cours du 21° siècle selon les projections.
L’ONU le projette en 2100 entre 8.9 et 12.4 milliards à 95% de probabilité, dans son modèle. Un économiste de la Banque HSBC a publié l’été dernier une étude avec des projections nettement plus basses. Selon son modèle, le pic serait atteint en 2050 avec une population humaine de 8.6 milliards pour redescendre à 4.2 milliards d’humains en 2100. Ce résultat provient essentiellement d’une projection du taux de fécondité plus basse que celle de l’ONU.
Celle-ci a baissé fortement, et plus vite que beaucoup de démographes ne s’y attendaient dans les années 1960-1970. La fécondité moyenne par femme était à 5 enfants en 1950, elle est autour de 2,3 en 2022. En Inde, pays qui va dépasser la Chine pour sa population totale d’ici quelques années, elle se situe à 2,0. Elle est de 1.83 en France selon une donnée de 2021. Les disparités géographiques sont importantes : alors qu’une majeure partie de l’Asie et l’Amérique latine affichent des taux similaires aux pays européens, l’Afrique, l’Asie Centrale (Pakistan, Kazakhstan…) conservent des taux plus élevés.
Un humain sur 6 vit en Afrique aujourd’hui, les projections estiment cette proportion à un sur quatre en 2050 et peut-être un sur trois ou plus en 2100. Comme toute projection, l’incertitude augmente en fonction de l’horizon considéré.
L’évolution de la population comporte un élément important d’inertie. Les mentalités, les opinions relayées par les médias et les politiques gouvernementales impactent la fécondité des couples. Le cas de la Chine est régulièrement cité. Malgré les annonces gouvernementales, après la politique imposée de l’enfant unique entre 1979 et 2015, le taux de fécondité ne remonte pas selon les dernières données, restant à 1,2. Information plus anecdotique, mais qui souligne l’incertitude sur toute projection, selon l’INED : « Il est possible que le seuil de 8 milliards ait été franchi un ou deux ans plus tôt que 2022, ou un ou deux ans plus tard« .
Malthusianisme version 21° siècle.
L’anxiété liée à la taille de la population est ancienne. Les thèses de Thomas Malthus (1766 -1834) sont bien connues : la population augmente plus vite que les ressources alimentaires disponibles. Le malthusianisme est souvent synonyme de mentalité poussant à la restriction. L’économiste Alfred Sauvy parlait de malthusianisme comme « état d’esprit affectif autant que raisonnement« .
Le néo-malthusianisme est défini comme une actualisation de la doctrine de Malthus avec un accent sur les ressources limitées de la terre, et une insistance sur le contrôle des naissances comme un droit et un devoir humains. Alors que l’accent pouvait être mis auparavant sur les ressources alimentaires, l’accent est souvent mis de nos jours sur un lien entre population et émission de gaz carbonique contribuant au réchauffement climatique.
Par exemple, une étude datant de 2017 avançait que la façon la plus effective de réduire l’accumulation des gaz à effets de serre était que chaque couple réduise d’un enfant la taille de leur famille.
Le « coût climatique » d’un enfant calculé dans cette étude serait de 60 tonnes de CO2 par an. Cette affirmation se retrouve encore dans de nombreux articles. Pour comparaison, la consommation moyenne d’un Français est estimée à 11.2 tonnes de CO2 par an. Une enquête de l’INED en 2019 montrait que pour plus des trois quarts des enquêtés, l’évolution de la population mondiale est perçue seulement comme un risque, comme un risque et une chance pour 12%, et comme une chance pour 3%.
En 2020, une campagne publicitaire de l’organisation Population Balance au Canada affirmait sur son affiche « le plus beau cadeau d’amour que vous pouvez faire à votre premier enfant est de ne pas en avoir d’autre ». Paru dans Elle, une enquête par questionnaire auto-administré réalisée par l’IFOP sur le désir d’enfants des femmes citent l’éco-anxiété et la crainte de surpopulation parmi les cinq facteurs du motif de non-désir d’enfant.
Auteur du livre paru en septembre « Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète », Emmanuel Pont démonte cette idée de « bombe démographique ». Dans plusieurs articles parus récemment, dont une tribune dans le Monde, il pointe les limites des raisonnements avancés.
Ainsi, le chiffre cité plus haut de 60 tonnes de CO2 par an pour un bébé inclut « les émissions à très long terme dans les cas où les émissions moyennes par personne ne baisseraient pas ». Un raisonnement « ceteris paribus » qui ne prend pas en compte les changements possibles de comportement.
Par ailleurs, les écarts de niveau de vie et de consommation entre les régions du monde sont très importants. Les pays avec un taux de fécondité au-dessus de trois enfants par femme représentent seulement 3,5% des émissions de CO2 mondiales, pour 20% de la population.
De plus, le niveau de vie et de technologie est également un critère qui masque des fortes différences. Les Etats Unis ont un niveau d’émission de 15.74 tonnes de CO2 émis par habitants (données de 2017) et l’Union Européenne est à 6.97.
Au total, réclamer une baisse de la population mondiale comme levier pour réduire le phénomène de réchauffement climatique est vraiment contestable.
Surtout, on ne peut oublier les graves dérives éthiques observées lorsque des autorités veulent réduire les naissances. Par exemple en Chine, les avortements sélectifs, les campagnes de stérilisation forcée ont été largement pratiquées. Et vouloir résoudre un phénomène complexe par une solution unique est illusoire.
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