Le 13 septembre dernier, lors de la publication de l’avis n°139 du CCNE sur la fin de vie, selon lequel « il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir », on a pu s’étonner de son revirement par rapport à un précédent avis sur le sujet, en 2013. Qu’est-ce qui justifierait que des principes éthiques évoluent selon le temps ?
A vrai dire, si l’on examine la succession d’avis émis sur l’accompagnement de la fin de vie, le CCNE est loin d’en être à son premier tournant.
Le premier avis du Comité Consultatif National d’Ethique sur la question date de juin 1991 (avis n°26). A l’époque, sans ambiguïté, le CCNE « désapprouve qu’un texte législatif ou réglementaire légitime l’acte de donner la mort à un malade. » Selon cet avis, « la légalisation de l’euthanasie, même pour des cas exceptionnels, serait source d’interprétations abusives et incontrôlables » ; inclure l’euthanasie dans la mission du médecin « en trahirait la finalité » et « jetterait sur les équipes soignantes un soupçon ».
Pourtant, dès le 27 janvier 2000, le CCNE ouvre la porte à une « exception d’euthanasie » dans son avis n°63, « face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable ».
Mais cette position, encore une fois, n’est pas définitive. Treize ans plus tard, dans l’avis n°121, « la majorité des membres du Comité expriment des réserves majeures et recommandent de ne pas modifier la loi actuelle […]. Ils considèrent que le maintien de l’interdiction faite aux médecins de « provoquer délibérément la mort » protège les personnes en fin de vie, et qu’il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à « donner la mort ». » Entre temps, l’euthanasie a été légalisée dans plusieurs pays, dont la Belgique, et « le bilan des expériences étrangères invite à la prudence. » En France, une loi de 2002 a autorisé les patients à refuser un traitement et la loi Leonetti de 2005 explicite le refus de l’obstination déraisonnable.
Cette position du CCNE n’évolue pas dans l’avis 129 de 2018, jusqu’au nouveau revirement que l’on connaît, en 2022.
Si l’inconstance de la position du CCNE par rapport à la fin de vie saute aux yeux, on peut se demander comment il arrive à justifier de tels revirements tous les dix ans. Et pour cela, il n’a pas fait preuve de beaucoup d’originalité entre 2000 et 2022. En 2022, l’avis évoque une « tendance accrue à la médicalisation de la fin de vie » voire à la « technicisation ». Or cette médicalisation était déjà présente dans l’avis de 2000, suscitant les mêmes problématiques.
De façon surprenante aussi, que ce soit pour demander le maintien de l’interdit de tuer ou légitimer l’euthanasie, le Comité invoque la solidarité. En 2000, il ouvre la possibilité de l’euthanasie au nom de la « solidarité humaine et de la compassion ». Or, en 2013, il souligne les risques qui découleraient de la légalisation de l’euthanasie « au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité ». Finalement, en 2022, pour réconcilier les deux, il conclut que « deux expressions de la fraternité sont […] mises en tension » .
Après pas moins de 7 avis traitant la question de la vie entre 1991 et aujourd’hui, on aurait donc bien du mal à trouver une cohérence éthique à la réflexion du CCNE, dont la composition a d’ailleurs évolué avec le temps. Si l’on cherche une constante, c’est que ses avis se font de plus en plus longs, de 2 pages en 1991 à 63 pages en 2022. On pourrait ainsi conclure que sur la fin de vie, souvent CCNE varie…