Cas litigieux d’euthanasie au Canada: l’inquiétude d’experts des droits de l’homme et des personnes handicapées

14/10/2022

Début octobre 2022, le quotidien CBC news rapportait l’histoire douloureuse d’une jeune femme du Manitoba, atteinte de SLA qui s’est résolue à demander l’euthanasie par manque d’aide à domicile. Elle supportait son état même s’il se détériorait progressivement et aurait souhaité vivre plus longtemps. Nancy Hansen, professeur à l’Université du Manitoba, spécialisé dans les études sur le handicap, s’inquiète quant à elle de la manière dont l’euthanasie est proposée aux personnes confrontées au handicap.

Déjà au mois d’août dernier, l’agence de presse APNewsn (AP) relayait l’inquiétude d’experts qui s’alarment des conséquences de la loi canadienne sur l’euthanasie sur le droit des personnes handicapées. Dans un long dossier, plusieurs cas sont rapportés de personnes handicapées conduites à l’euthanasie. Alan Nichols un homme de 61 ans avec des antécédents de dépression avait été hospitalisé en 2019 en raison de ses troubles suicidaires. Un mois après il était euthanasié. La raison invoquée était sa « perte de l’ouïe ». Sa famille a porté plainte contre cette « mise à mort ». L’hôpital affirme qu’Alan Nichols a fait une demande valide d’euthanasie et que, conformément à la vie privée du patient, il n’était pas obligé d’informer les proches ou de les inclure dans les discussions sur le traitement.

Le témoignage de Roger Foley est également saisissant. Cet homme de 45 ans, hospitalisé à London, en Ontario souffrait d’une maladie dégénérative. Alarmé que les membres du personnel mentionnent la possibilité de l’euthanasie, il a commencé à enregistrer secrètement certaines de leurs conversations. Dans un enregistrement obtenu par l’AP, le directeur de l’éthique de l’hôpital a déclaré à Foley que son séjour à l’hôpital coûterait  » 1 500 dollars par jour ». A la question de savoir quel était le plan pour ses soins de longue durée, le directeur « éthique » s’est borné à répondre que sa mission personnelle était uniquement de lui présenter « la possibilité, d’avoir recours à l’aide à mourir. » Or M.Foley a déclaré qu’il n’avait jamais mentionné l’euthanasie auparavant. L’hôpital s’est alors défaussé derrière l’absence d’interdiction pour le personnel de soulever la question. Le patient a ensuite interpellé en 2020 les députés de la commission Justice et Droits de l’Homme depuis son lit d’hôpital via Zoom. Il les a exhortés à ne pas étendre davantage la législation sur l’aide médicale à mourir, et a dénoncé le fait que « l’aide médicale à mourir est plus facile d’accès que des mesures de soutien sûres et appropriées pour vivre ».

L’enquête fait également mention des canadiens qui demandent l’euthanasie pour des raisons financières. Avant d’être euthanasié en août 2019 à 41 ans, Sean Tagert avait du mal à obtenir les soins 24 heures sur 24 dont il avait besoin. Atteint de SLA, le gouvernement ne couvrait que 16 heures de soins quotidien. Il supportait financièrement les huit heures restantes. Finalement il n’a pas pu collecter suffisamment d’argent pour financer le matériel médical spécialisé dont il avait besoin.

Heidi Janz, professeure auxiliaire adjointe en éthique des personnes handicapées à l’Université de l’Alberta, a déclaré qu' »une personne handicapée au Canada doit franchir tellement d’obstacles pour obtenir du soutien que cela peut souvent suffire à faire pencher la balance » et  la conduire à l’euthanasie. Un professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, M Stainton souligne qu’aucune province ou territoire ne fournit un revenu de prestations d’invalidité supérieur au seuil de pauvreté. Dans certaines régions, il atteint 850 $ CA (662 $) par mois – moins de la moitié du montant que le gouvernement a fourni aux personnes incapables de travailler pendant la pandémie de COVID-19.

Contrairement aux rares pays qui ont légalisé l’euthanasie comme la Belgique ou les Pays-Bas, le Canada ne s’est pas doté de commission de contrôle que ce soit a priori ou a posteriori pour examiner les cas litigieux. D’autre part, les patients canadiens ne sont pas tenus d’avoir épuisé toutes les alternatives de traitement. L’enquête souligne encore que l’association canadienne des professionnels de santé qui pratiquent l’euthanasie demande aux médecins et aux infirmiers d’informer les patients qu’ils sont éligibles à l’euthanasie même s’ils ne l’ont pas demandé.

Alors que le Canada examine la possibilité d’étendre l’accès à l’euthanasie en 2023 aux personnes atteintes par des maladies mentales, des défenseurs de personnes handicapée et des droits de l’homme affirment que le système mérite maintenant un examen plus approfondi. L’euthanasie « ne peut pas être une pratique par défaut en raison du manquement du Canada à ses obligations en matière de droits de la personne », a déclaré Marie-Claude Landry, présidente de la Commission des droits de la personne. Cette dernière partage la « grave préoccupation » exprimée l’année dernière par trois experts des droits de l’homme de l’ONU, dans une déclaration commune à propos de la loi canadienne : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie ». Ces experts notent par ailleurs que « la proportion de personnes en situation de handicap frappées par la pauvreté est sensiblement plus élevée » que celle du reste de la population, et qu’une « protection sociale insuffisante pourrait d’autant plus rapidement mener ces personnes à vouloir mettre fin à leur vie, par désespoir ».

 

Ils ont souligné que la loi canadienne sur l’euthanasie avait un «impact discriminatoire» sur les personnes handicapées et était incompatible avec les obligations du Canada de respecter les normes internationales en matière de droits de la personne.

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