« C’est le moment de faire, alors nous ferons ». Ces propos tenus ce mois-ci par Emmanuel Macron à Line Renaud sur l’euthanasie reflètent-ils un calcul sur l’opportunité d’une diversion quand d’autres sujets – les retraites, le pouvoir d’achat, l’énergie, le système de santé- secouent notre société ? Ou viennent-ils d’une impression qu’il y aurait consensus sur la fin de vie de sorte qu’une loi majoritairement approuvée par les Français s’inscrirait au crédit du pouvoir actuel ? Le choix du timing repose-t-il sur le pari de faire passer sans heurt un sujet assez éloigné des préoccupations principales des Français et qui risque au pire de susciter l’indifférence ?
Après une élection présidentielle marquée par une nouvelle poussée de l’abstention, premier parti de France selon l’expression des commentateurs, après une élection législative montrant un paysage politique plus morcelé, comment ont réagi les parties prenantes au débat qui s’annonce sur la fin de vie?
Donner la mort n’est pas un soin : de nombreux soignants réagissent à l’avis du CCNE
Au front du combat contre la souffrance, aux côtés des patients, les soignants sont nombreux à avoir réagi aux annonces simultanées du CCNE et de l’Elysée mardi 13 septembre. Ainsi, neuf sociétés savantes et associations, toutes impliquées dans la fin de vie et les soins, se sont exprimées dès la publication de l’avis du CCNE pour affirmer que « donner la mort n’est pas un soin ». Le texte complet est disponible sur le site de la SFAP. Elles relèvent l’absence de consensus au sein du CCNE sur cet avis, et rappellent que « leurs pratiques soignantes actuelles sont ancrées dans une déontologie et une éthique médicale claire, caractérisée par une longue continuité historique« . En effet le serment d’Hippocrate date du IV° siècle avant JC et fait promettre à chaque médecin : « je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion« . Le président de l’Ordre National des Médecins, François Arnault s’est exprimé dans une interview au Quotidien du médecin pour redire que « l’Ordre n’est pas favorable à l’euthanasie« , et en cas de légalisation d’une forme de mort médicalement administrée, il a rappelé la nécessité de prévoir une clause de conscience spécifique. Il a également souligné le retard de la France dans le déploiement des soins palliatifs et « qu’il faut lutter contre ces inégalités d’accès aux soins palliatifs, par la formation, et déjà par l’application de la loi Leonetti Claeys« .
Un infirmier en soins palliatifs, Xavier, a témoigné sur France Info que La mort n’a jamais été et ne sera jamais une réponse digne à la souffrance ». Connu sous son nom de plume de l’homme étoilé, auteur dessinateur d’une bande dessinée à succès sur sa vie quotidienne auprès des malades, intitulée « à la vie », il a jugé que la loi actuelle est « bien ficelée et cohérente ». Le soin est au cœur de sa vocation et il a ajouté : « je ne crois pas en une médecine dont le rôle tiendrait à déterminer qui est éligible ou non à mourir ».
Un médecin en soins palliatifs à l’Institut Curie, Alexis Burnod dans une interview à Paris Match témoigne du chemin positif fait par les patients lorsqu’ils sont accompagnés et leur douleur prise en charge. Sur la question du cadre législatif, il note les dérives des pays qui ont légalisé l’euthanasie et souligne que « dès lors qu’une loi est adoptée, il est difficile d’éviter qu’elle se transforme en encouragement au suicide.«
Jean Leonetti, auteur de la loi de 2005 et co-auteur de celle de 2016 rappelle que « La vie humaine est la valeur suprême » et qu’il faut « avancer avec prudence » sur « la transgression majeure de donner la mort à quelqu’un. »
Dans la presse
Une tribune de Jeanne-Emmanuelle Hutin dans Ouest France rappelle les paroles fortes tenues en 2008 par Robert Badinter, Garde des Sceaux ayant fait voter l’abolition de la peine de mort en 1982: « L’État a-t-il le pouvoir et le droit de dire : « Puisque vous voulez mourir je vais vous tuer ? » […] La vie, nul ne peut la retirer à autrui dans une démocratie. Il y a ce principe que l’État doit respecter« . Une autre tribune dans le Figaro aborde la question de l’enfermement dans des scénarios où seule la performance et l’apparence compteraient, dans l’hypothèse où une loi légaliserait l’euthanasie. Dans un article d’analyse politique, deux journalistes du Monde soulignent l’importance pour E. Macron « d’éviter de donner l’impression qu’il aurait en tête un scénario déjà écrit« . Parmi les écueils d’une légalisation, elles mettent en avant la difficulté de « définir des exceptions sans qu’elles ne puissent être jugées arbitraires ?«
Les représentants des religions en faveur du mieux vivre
De nombreux représentants des cultes ont affirmé leur soutien aux soins palliatifs et à l’urgence d’un accès équitable sur tout le territoire français. Le grand Rabbin de France, Haïm Korsia, a estimé « qu’il n’y a nul besoin d’aller plus loin que la loi actuelle« . Il considère une légalisation comme une « rupture anthropologique classique » qui « frise l’eugénisme« . La Fédération protestante de France (FPF) a dit sa crainte qu’un changement de la législation soit motivé par des « motifs économiques ou idéologiques« . Interrogé dans l’avion le ramenant du Kazakhstan, le Pape François a eu une réponse lapidaire : « Tuer, ce n’est pas humain. Point. Si tu tues avec des motivations, tu finiras par tuer de nouveau. Ce n’est pas humain. » Dans une tribune du Monde, les évêques français ont rappelé la mobilisation nationale au moment de la crise de la Covid 19 et interrogent la contradiction avec une légalisation de l’euthanasie : « Comment comprendre que, quelques mois seulement après cette grande mobilisation nationale, soit donnée l’impression que la société ne verrait pas d’autre issue à l’épreuve de la fragilité ou de la fin de vie que l’aide active à mourir, qu’un suicide assisté ?«
« L’euthanasie reflète une collectivité qui manque de solidarité« . Cet extrait du livre le promeneur immobile de Philippe Pozzo ramasse en peu de mots un enjeu fort du débat qui s’ouvre.