Dans un nouvel avis N° 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » publié le 13 septembre 2022, le Comité National Consultatif d’Ethique (CCNE) juge “qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes avec lesquelles il apparait inacceptable de transiger“. Les conditions strictes sont résumées en page 4 de l’avis et détaillées en vingt points à la fin de son avis (page 35 sq). Essentiellement il s’agit du renforcement des soins palliatifs et de “quelques exigences éthiques incontournables” en cas de légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie : pronostic vital engagé à moyen terme, consentement éclairé, procédure médicale collégiale avec une trace écrite.
Ce nouvel avis marque un revirement. Dans un avis N°121 de 2013 Fin de vie, autonomie de la personne et volonté de mourir, le CCNE excluait l’euthanasie considérant comme essentielle et utile la distinction opérée par la loi entre « laisser » et « faire mourir ». Il rappelait également que le maintien de l’interdiction faite aux médecins de « provoquer délibérément la mort » protège les personnes en fin de vie, et qu’il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à « donner la mort ». Il écartait aussi le suicide assisté et considérait que « toute évolution vers une autorisation de l’aide active à mourir pourrait être vécue par des personnes vulnérables comme un risque de ne plus être accompagnées et traitées par la médecine si elles manifestaient le désir de poursuivre leur vie jusqu’à la fin“
L’avis précédent mettait l’accent sur la distinction essentielle entre mort provoquée et mort naturelle, sur la protection des personnes en fin de vie et la relation avec les soignants, le besoin que la société rassure les plus fragiles sur leur accès aux soins, et une réserve à la légalisation de l’euthanasie compte tenu des dérives observées -déjà- à l’étranger.
Comment le CCNE justifie-t-il son changement de position ?
Sans entrer dans la question de la composition du Comité, qui pèse nécessairement dans un vote, il est possible de relever les facteurs que le CCNE présente pour justifier son revirement.
- Le contexte.
Le CCNE cite des éléments qu’il qualifie “d’évolutions qui se sont accentuées” :
La fin de vie est toujours plus médicalisée,
L’espérance de vie s’allonge avec une probabilité de conditions de santé dégradées,
L’isolement social des personnes âgées s’accentue,
L’autonomie de l’individu et la performance est toujours plus valorisée comme valeur centrale de la société
La demande de la société pour une légalisation est plus forte, culminant avec la tentative de législation en avril 2021 (proposition de loi Falorni)
Les évolutions législatives en faveur de la légalisation ont lieu dans quelques pays étrangers.
- Le cas de personnes dont le pronostic vital est engagé à moyen terme.
Le CNCE estime que “le cadre juridique actuel est satisfaisant lorsqu’un pronostic vital est engagé à court terme”, ce qui pourrait justifier un statu quo législatif. Mais le CCNE constate que “certaines personnes souffrant de maladies graves et incurables provoquant des souffrances réfractaires dont le pronostic vital est engagé à moyen terme, ne rencontrent pas de solution à leur détresse“. Sur ce point, le CCNE ne cite pas de documents ni d’études qui permettraient de mieux comprendre ces situations et de les quantifier. S’agissant d’un point important motivant son avis, des éléments approfondis sur ces situations paraissent pourtant indispensables.
- Un droit à la vie relativisé par d’autres droits.
Le CCNE reconnait en page 26 que le droit à la vie est consacré par l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales mais que l’article 8, qui reconnait le droit au respect de la vie privée, permet aux Etats de déduire de cet article un droit à l’autonomie et à la liberté de disposer de soi-même. Le CCNE en déduit ainsi qu’il n’y a pas obligation de vivre et que si une personne “considère que son état n’est plus compatible avec ses propres exigences de dignité”, elle peut souhaiter que “son droit à disposer de soi-même l’emporte sur son droit à la vie”. Ce raisonnement qui soutient la conclusion de l’avis masque cependant un saut au-dessus de la question suivante : en quoi la société serait-elle tenue de répondre à ce souhait par l’organisation d’un service de suicide assisté ou d’euthanasie, en particulier s’agissant d’un principe aussi fondamental pour une société que l’interdit de tuer ? S’il s’agit d’un consensus social manifesté dans les sondages, le CCNE relève en page 14 que ceux-ci “ne traduisent pas toujours fidèlement les caractéristiques et la force réelle des demandes sociétales“. Et le CCNE lui-même déconseille la tenue d’un référendum (page 37) “en raison de l’extrême complexité du sujet“.
Des réserves
Huit membres, sur quarante, ont exprimé des réserves sur cet avis. Ils ont qualifié le développement des soins palliatifs de préalable à toute discussion pour lever l’ambiguïté du rapport sur ce point. Et les trois questions qu’ils soulèvent rejoignent les motivations de l’avis précédent (en 2013) autour :
- De la limite d’une revendication d’autonomie individuelle détachée de ses impacts sociaux et interpersonnels,
- De la protection des plus fragiles et la prévention du suicide,
- Du dilemme éthique des médecins dont le serment stipule, de ne “remettre à personne de poison” ni de “prendre l’initiative d’une pareille suggestion”.
L’avis du CCNE est un renoncement éthique, construit sur des pilotis qui ne tiendront pas longtemps face aux pressions économiques ou aux revendications culturelles d’un individualisme insatiable.