La Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) a publié tout récemment une enquête Ifop intitulée « Regards sur la fin de vie en France » et ne cache pas son engagement militant en faveur de l’euthanasie dans un Manifeste Fin de vie : « Nous, collectif mutualiste, militons pour qu’en France, toutes les personnes en situation de fin de vie soient égales en droit et en dignité ainsi que libres de leurs choix. »
Mais que vient faire la mutuelle des enseignants dans l’arène du débat sur la fin de vie en France ? questionne judicieusement la journaliste du Journal du dimanche .
« Le sujet de la fin de vie est d’abord une question de dignité et de liberté individuelle. Nous aurions tort de croire que les droits acquis sont intouchables ; défendons-les en allant à la conquête de nouveaux droits. MGEN a mené un travail collectif qui a mobilisé des milliers de personnes, élus, militants, salariés, professionnels de santé et adhérents. » indique Matthias Savignac, président de la MGEN.
Des mutuelles militent pour l’euthanasie : un engagement contre-nature ?
L’engagement militant de la MGEN en faveur de l’euthanasie n’est pas un cas isolé.
Alliance VITA a alerté en mai 2021, au moment de l’élection d’une personnalité controversée, Thierry Beaudet, à la tête du Conseil Economique Social et Environnemental : ce dernier avait signé en janvier 2020 une tribune plaidant pour « une aide active à mourir » dans le Journal du dimanche, alors qu’il était encore président de la Mutualité française qui regroupe 426 mutuelles de santé du pays. Ce plaidoyer de Thierry Beaudet pour le « droit de choisir une fin de vie digne » avait suscité de vives réactions. La psychologue Marie de Hennezel, engagée depuis plusieurs années en faveur des soins palliatifs avait alors dénoncé ce qu’elle jugeait être un « conflit d’intérêts » entre la fonction de président d’une fédération de mutuelles et sa prise de position. « On peut légitimement se demander si les mutuelles ne pourraient pas avoir des intérêts financiers à défendre une telle évolution. (…) A l’aune des valeurs de “solidarité, liberté et démocratie” mises en avant par la Mutualité française, celle-ci pense-t-elle sérieusement que la réponse à donner à ce sentiment d’indignité peut se résumer à une loi sur l’euthanasie? Et est-ce le rôle d’un mutualiste de se faire l’apôtre de la mentalité euthanasique, le défenseur d’une solution facile et économique ?
Les valeurs des mutuelles n’exigent-elles pas plutôt de plaider jusqu’à obtenir l’accès pour tous aux soins palliatifs, avant de réclamer une loi aux conséquences incertaines ?
D’ailleurs, quel message d’accompagnement et de prévention du suicide feront-elles passer à leurs adhérents âgés et fragiles, lorsque, dans le même temps, elles proposeront les lieux et les conditions de la mort programmée ? »
L’euthanasie : une réponse à un problème économique dans nos sociétés régies par l’argent ?
Glissement du « droit de mourir » au « devoir de mourir » ? Si la loi évoluait en France et autorisait l’euthanasie ou le suicide assisté, est-ce que les personnes vulnérables très âgées ou dépendantes ne subiraient pas une pression sociale pour mourir et céder leur place dès lors que les conditions économiques et les regards utilitaristes ne leur permettraient plus d’éprouver le sentiment de dignité ?
Le philosophe André Comte-Sponville, soutien de l’euthanasie, a noté ce point en 2016, comme l’un de ses six arguments en faveur d’une légalisation de l’euthanasie :
« Quatrième argument : Le plus désagréable, le plus glauque, mais enfin il faut bien en parler aussi. C’est le coût économique de l’acharnement thérapeutique. Un médecin me disait que la moitié de ce que dans notre existence, nous allons coûter à la Sécurité sociale, nous le lui coûterons dans les six derniers mois de notre vie. Quand c’est pour six mois de bonheur, ou simplement de bien-être relatif, ceci vaut largement le coût. Quand c’est pour six mois d’agonie pour quelqu’un qui, au contraire, supplie qu’on l’aide à mourir, je trouve que c’est payer un peu cher ces six mois de malheur et d’esclavage. » André Comte-Sponville souligne le coût de « l’acharnement thérapeutique » alors qu’il est interdit en France depuis la Loi Léonetti de 2005, sans doute parce qu’évoquer le coût des soins des six derniers mois d’une vie serait trop indécent ?
Plus récemment le philosophe a répondu autrement à une question sur ce sujet :
« Les opposants à la dépénalisation de l’euthanasie s’inquiètent de l’effet qu’une dépénalisation de l’euthanasie aurait sur ceux qui se sentiraient inutiles économiquement, et sur la possibilité que la collectivité en vienne à considérer que les personnes en fin de vie coûtent trop cher… Que répondez-vous à cet argument ? » « Il y a là un réel danger, qui justifie de stricts garde-fous, que la loi devra déterminer. Mais cela ne saurait nous priver de la liberté ultime, qui est celle de mourir si l’on en a décidé ainsi. »
Ainsi, l’argument économique reste tout de même – si indécent qu’il est – en général, occulté.
Robert Holcman, directeur d’hôpital et professeur d’université, décrit dès 2015 ce danger, dans son livre Inégaux devant la mort – « Droit à mourir » : l’ultime injustice sociale. « Si le droit à mourir venait à être légalisé, qui pourrait résister à la formidable pression “charitable” qui s’exercerait sur tout un chacun parvenu aux frontières de la vie ? La crainte d’être une charge pour les siens explique souvent les demandes d’euthanasie. Enfin, et surtout, les plus démunis, les plus vulnérables d’entre nous, vivent moins longtemps et en moins bonne santé. Déjà victimes d’inégalités sociales en termes de santé, d’espérance de vie et de durée de vie sans incapacités, ils seraient exposés à l’ultime injustice d’une fin prématurée imposée par la dégradation de leur état de santé. »
Quel est le rôle des mutuelles ?
Le 8 septembre prochain, lors du congrès annuel de la Mutualité Française et de son forum intitulé “S’engager pour l’entraide et les solidarités”, une conférence annoncée sur twitter réunira Matthias Savignac, président de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale, un médecin membre de la commission “euthanasie” de Belgique et Jean-Luc Roméro, président d’honneur de L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité – association militante pro-euthanasie.
L’engagement militant de plusieurs mutuelles en faveur de l’euthanasie pose véritablement question : au-delà du conflit d’intérêts qui est à étudier de manière approfondie, les valeurs de solidarité mutualiste ne se trompent-elles pas de combat ?
L’enquête Ifop commandée par la MGEN sur la fin de vie (évoquée plus haut) souligne l’insatisfaction de plus de la moitié des Français sur l’accès aux soins palliatifs pour tous, sur le montant remboursé par la sécurité sociale et les mutuelles pour les derniers soins et traitements du malade et sur l’hospitalisation à domicile. L’insatisfaction de plus de 60% des Français concerne aussi l’absence d’information sur les droits du malade, le manque d’aide pour les accompagnants de la fin de vie et les carences de soutien aux familles et aux proches.
N’est-ce pas l’essence et le rôle des mutuelles de s’engager aux côtés de leurs adhérents pour mieux les soutenir dans toutes les situations difficiles d’accompagnement de la vie quand elle devient plus fragile?