La technologie révolutionnaire CRISPR-Cas9 de modification du génome, porteuse d’espoirs thérapeutiques majeurs et de questionnements éthiques fondamentaux, continue à faire l’objet de nombreuses recherches.
Parmi les dernières publications, on relève des résultats prometteurs sur plusieurs maladies, notamment la drépanocytose et la bêta-thalassémie ainsi que la mise en évidence de risques d’effets inattendus et délétères.
Traitement de la drépanocytose et de la bêta-thalassémie
Ces deux maladies font actuellement l’objet d’essais cliniques. Elles sont dues à des mutations génétiques qui affectent la forme adulte de l’hémoglobine, la molécule qui transporte l’oxygène dans le sang.
La drépanocytose est la maladie génétique la plus répandue dans le monde, et la plus fréquente en France où elle touche une naissance sur 1900. Plus rare, l’incidence mondiale de la bêta-thalassémie symptomatique a été estimée à 1/100 000 naissances/an.
Les résultats, présentés le 12 juin lors d’une réunion de l’Association européenne d’hématologie, sont très encourageants. Toutefois, les détails complets de l’étude doivent encore être publiés.
Par cette technique, les patients sont eux-mêmes leurs propres donneurs de cellules souches. Leurs cellules souches hématopoïétiques (présentes notamment dans la moelle osseuse) sont prélevées et leur ADN modifié. Puis, la moelle osseuse du patient est détruite par chimiothérapie.
Enfin, on procède à une greffe de leurs cellules souches modifiées – corrigées si l’on peut dire par CRISPR-Cas9, dans l’espoir qu’elles repeuplent la moelle osseuse et permettent de créer des lignées de globules rouges fonctionnels.
Les 44 personnes atteintes de bêta-thalassémie participant à l’essai avaient toutes besoin de transfusions sanguines régulières avant le traitement. Aujourd’hui, 42 d’entre elles n’ont plus besoin de transfusions, et les bénéfices persistent aussi longtemps que les personnes ont été suivies – plus de trois ans dans certains cas.
Les deux autres personnes n’ont plus besoin de recevoir autant de sang qu’avant. 31 autres personnes étaient atteintes d’une drépanocytose grave et présentaient en moyenne quatre crises vaso-occlusives par an, au cours desquelles des globules rouges anormaux bloquent l’apport sanguin aux tissus. Ces épisodes peuvent entraîner des dommages durables et de fortes douleurs. Aucun des 31 patients n’a connu de tels épisodes depuis qu’ils ont été traités entre deux mois et deux ans et demi environ.
Malheureusement, les greffes de moelle osseuse classiques et le traitement CRISPR présentent tous deux le même inconvénient majeur. Les cellules souches sanguines existantes doivent être éliminées par chimiothérapie pour faire place aux cellules de remplacement, ce qui peut avoir des effets secondaires, notamment sur la fertilité, explique M. de la Fuente de l’Imperial College de Londres, un médecin qui participe aux essais.
Il espère que des méthodes plus sûres d’élimination des cellules souches du sang, faisant appel à des anticorps plutôt qu’à la chimiothérapie, seront bientôt disponibles. L’équipe étudie la possibilité de modifier le gène des cellules souches du sang à l’intérieur du corps, explique M. de la Fuente. Une telle solution « prête à l’emploi » faciliterait l’application du traitement à grande échelle, mais ces travaux n’en sont encore qu’à leurs débuts.
Par ailleurs, ces approches sont également coûteuses et nécessitent beaucoup de personnel hautement qualifié. Il sera donc difficile de déployer le traitement par édition de gènes auprès des millions de personnes qui pourraient en bénéficier dans le monde.
En France, l’institut hospitalo-universitaire Imagine a également lancé une évaluation des thérapies géniques pour la drépanocytose. Un projet coordonné par l’équipe française pilotée par Annarita Miccio en association avec un consortium international. Évaluées in vitro dans des modèles de cellules souches hématopoïétiques issues de patients, ces approches donnent de bons résultats, avec une proportion importante de globules rouges normaux, en particulier en cas d’inactivation de la bêta-globine mutée.
Désormais, et avant de lancer des essais précliniques puis cliniques, les chercheurs travaillent activement pour vérifier la sécurité d’utilisation de la technique CRISPR-Cas9 dans leurs modèles cellulaires.
« Il faut répondre au cahier des charges très précis des agences de santé pour envisager d’utiliser cette technologie à des fins thérapeutiques. Il faut notamment prouver l’intégrité de l’ADN suite à la modification du gène cible, vérifier l’absence d’anomalies, notamment de transformations tumorales, explique Annarita Miccio. C’est un très gros travail. Ensuite seulement, nous pourrons progresser dans le développement clinique de notre double thérapie génique qui, nous l’espérons, permettra de soigner un grand nombre de patients. »
Une technique qui reste difficile à maitriser
L’intégrité de l’ADN suite à la modification de gène ciblé constitue l’un des enjeux et des risques majeurs de la techniques CRISP-Cas9 utilisée à des fins de thérapie génique sur des patients malades. Le risque de dégâts collatéraux ou inattendus est important.
Une équipe de chercheurs de l’université de Tel-Aviv vient justement de publier dans Nature biotechnology une étude mettant en garde contre ce risque. Dans leurs travaux, ils constatent une part importante de perte de matériel génétique sur les cellules génétiquement modifiés par CRISPR. Selon eux, « Une telle perte peut entraîner une déstabilisation du génome, ce qui pourrait favoriser le cancer ».
Sur la base de leurs résultats, les chercheurs estiment nécessaire de faire preuve d’une grande prudence lors de l’utilisation de la thérapie CRISPR. Ils proposent également des méthodes alternatives, moins risquées, pour des procédures médicales spécifiques, et recommandent de poursuivre les recherches sur deux types de solutions potentielles : réduire la production de cellules endommagées ou identifier les cellules endommagées et les éliminer avant que le matériel ne soit administré au patient.
Le Dr Barzel et son étudiant en doctorat, Alessio Nahmad, concluent :
« Notre intention dans cette étude était de faire la lumière sur les risques potentiels dans l’utilisation de la thérapeutique CRISPR. Nous l’avons fait même si nous sommes conscients des avantages substantiels de cette technologie.
En fait, dans d’autres études, nous avons développé des traitements basés sur CRISPR, y compris une thérapie prometteuse pour le SIDA. Nous avons même créé deux entreprises, l’une utilisant CRISPR et l’autre évitant délibérément cette technologie.
En d’autres termes, nous faisons progresser cette technologie très efficace, tout en mettant en garde contre ses dangers potentiels. Cela peut sembler contradictoire, mais en tant que scientifiques, nous sommes assez fiers de notre approche, car nous pensons que c’est l’essence même de la science : nous ne « choisissons pas de camp ». Nous examinons tous les aspects d’une question, tant positifs que négatifs, et nous cherchons des réponses. »
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