Sondage IFOP avortement dans la Constitution : des nuances derrière le consensus apparent
Un sondage commandité par la Fondation Jean Jaurès, à l’IFOP interroge « le rapport des Français à l’IVG et la question de l’inscription de l’avortement dans la constitution française ». Si les médias ont retenu quelques chiffres choc, le détail des résultats montre des nuances intéressantes.
Les médias ont essentiellement repris les lignes phares : 83% des Français jugent positivement l’autorisation de l’IVG dans la loi française et si une majorité, 56%, juge toujours impossible une remise en cause de l’IVG dans un avenir proche en France, 81% sont favorables à l’inscription de l’accès à l’avortement dans la Constitution.
Un acquis de la révolution sexuelle selon la synthèse de l’IFOP
Dans son analyse, François Kraus, Directeur du pôle « Politique/Actualité » de l’IFOP, rappelle que le contexte français est différent de celui des Etats Unis. Il note que l’opinion française reste « une des plus attachées à l’avortement dans son principe et dans le détail de ses conditions d’application ». Selon lui, l’adhésion massive (81%) des Français à inscrire l’accès à l’avortement dans la Constitution n’est pas seulement une réaction à l’actualité américaine, mais une tendance sociologique lourde.
Il voit le « libre choix » comme une des valeurs fortes des sociétés industrielles avancées « post-matérialistes » en citant comme référence l’analyse de Ronald Inglehart dans son livre « The Silent Revolution », paru en 1977. François Kraus estime que les Français ont compris l’enjeu de l’avortement et de son accès : il s’agirait d’un droit qui « garantit à tous un des principaux acquis de la révolution sexuelle du XX° siècle, la dissociation entre sexualité et procréation ».
Les plus aisés et les plus âgés sensiblement plus favorables à la légalisation de l’IVG
Sur la question de l’adhésion au principe de l’autorisation de l’avortement dans la loi française, l’IFOP fournit une comparaison avec un même sondage CSA pour Marie-Claire de 1995.
Au total, et dans un contexte où l’avortement est fréquent en France (une grossesse sur 5 environ se termine par une interruption volontaire), et est légalisé depuis longtemps, l’adhésion à cette légalisation est élevée et progresse peu. Elle enregistre une hausse de 5% en 27 ans. Le pourcentage de ceux qui jugent cette légalisation « une très bonne chose » est passé de 48 à 64%, alors que ceux qui le voient comme « une assez bonne chose » est passé de 31 à 19%. Ceux qui la jugent une « très mauvaise chose » est stable à 6%.
En recoupant avec les votes à la dernière présidentielle, les « moins adhérents » sont électeurs de E Zemmour (75%) puis V Pécresse (79%) et les « plus adhérents » sont électeurs de Y Jadot (95%) puis E Macron (93%). Les électeurs de M Le Pen se situent à 88%, au-dessus de la moyenne nationale.
La répartition homme/femme est peu marquée : 81% et 85%. En revanche, se dessine une corrélation positive entre le niveau de revenu et le soutien à cette légalisation, tout en demeurant élevé dans toutes les catégories. Ainsi, les personnes des catégories aisées, définies comme celles bénéficiant d’un revenu net par personne au-dessus de 2500 euros mensuels, jugent positivement, à 93%, cette légalisation alors que les catégories modestes (entre 900 et 1300 euros de revenu mensuel net) et pauvres (revenu sous 900 euros) la jugent positives à 80 et 77% respectivement.
L’affiliation religieuse n’apporte pas de différence marquée entre les Français se déclarant « sans religion » (86% de jugement positif) et ceux qui se déclare catholiques (87%). Ceux qui se déclarent affiliés à une autre religion ont une opinion positive sur la légalisation à 76%.
Dans ce groupe, les personnes de religion musulmane ont un jugement positif (très bonne chose ou assez bonne chose) à 66%. L’IFOP croise également ces données avec une évaluation des pratiques religieuses. Ainsi, les personnes athées soutiennent la légalisation à 84%, les personnes croyantes mais pas religieuses à 88%, et les personnes croyantes et religieuses à 70%.
Les différences sont plus importantes par tranches d’âge. En effet, si les 65 ans ou plus jugent la légalisation positivement à 92%, les 35 à 49 ans sont 80% et les 18-24 ans 71%. Un écart notable si on prend en compte le fort appui médiatique pour l’avortement dans notre pays.
Les jeunes et les moins aisés plus restrictifs sur les conditions d’accès à l’avortement
L’IFOP a également demandé au panel des sondés de choisir entre plusieurs affirmations : « une femme doit avoir le droit d’avorter librement », « une femme doit avoir le droit d’avorter seulement dans certaines circonstances », « une femme ne doit pas avoir le droit d’avorter sauf si la grossesse met sa vie en danger », « une femme ne doit en aucun cas avoir le droit d’avorter ». Ces affirmations recueillent respectivement 78, 13, 3 et 1%.
Dans le détail par catégories de revenu et par tranche d’âge, la répartition suit le même profil que pour la question précédente. Les plus aisés optent à 84% pour l’opinion « que la femme doit pouvoir avorter librement » contre 62% pour les plus pauvres. La tranche d’âge 65 ans et plus se retrouve aussi à 84% dans cette opinion quand les jeunes de 18 à 24 ans la soutiennent à 66%.
L’Institut de sondage met ce résultat en rapport avec un questionnaire auto-administré de l’IPSOS de juin 2020 rassemblant plusieurs pays. Dans cette enquête, l’opinion qu’une femme « doit avoir le droit d’avorter librement » plaçait la France dans les résultats les plus élevés, à 66%, très proche du Royaume Uni où l’avortement se pratique jusqu’à la 24° semaine. La Suède était au plus haut du classement à 76%, l’Espagne se situant à 58%, l’Allemagne à 49%, les Etats Unis à 35% et le Japon à 33%.
Une remise en cause jugée peu probable nuance le soutien à l’inscription de l’avortement dans la Constitution
Selon le sondage, 56% des Français, contre 31%, estiment qu’il est impossible que « le droit à l’IVG puisse être remis en cause dans un avenir proche en France ». Ce pourcentage était à 64% en 1995. Parmi ceux qui estiment possible une remise en cause à court terme, l’opinion varie très peu par tranche d’âge, et les catégories très aisées sont proches des plus pauvres : 36% contre 35%.
L’avant dernière question du sondage porte sur le projet « d’inscrire dans la Constitution française le droit des femmes à recourir à l’IVG ». Les « très favorables » représentent 48%, les « plutôt favorables » 33%, les « plutôt opposés » 12% et « très opposés » 7%. Sur cette question, les pourcentages en fonction des tranches d’âge et des catégories socio-professionnelles varient peu autour de la moyenne des Français. Les affiliations religieuses et le rapport à la religion montrent les mêmes différences que pour la première question.
La dernière question porte sur l’utilité de cette inscription. Si 77% la jugent utile, il est à noter que c’est une utilité dont la mesure est faite dans l’abstrait, sans comparaison avec d’autres propositions de lois, ou d’autres sujets. Ce résultat serait à comparer avec les priorités des Français mesurées pendant les campagnes électorales de cette année. Ainsi un sondage IPSOS donnait le tiercé « pouvoir d’achat », « système de santé » et « environnement » en janvier 2022.
Au total, ce sondage de l’IFOP pose des questions d’ordre plutôt abstrait et juridique. Aucune question ne permet d’interroger les Français sur le choix entre l’avortement et d’autres options possibles, ni sur l’intérêt d’une politique de prévention. Cet effet de loupe produit des chiffres de soutien élevé.
Or pour aborder cette question sensible, il est nécessaire d’ouvrir un débat de fond sur la réalité des situations qui conduisent à l’IVG. Interrogés également par l’IFOP pour Alliance VITA en 2020, 92% des Français estimaient qu’un avortement laissait des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes et 73% que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’IVG.
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