Les dernières données montrent une augmentation inquiétante de suicides chez les jeunes, plus particulièrement des filles en 2020 et 2021, avec une persistance dans les premiers mois de 2022.
Avec près de 9 200 décès par suicide par an, la France présente un des taux de suicide les plus élevés d’Europe.
La période de pandémie a fait apparaître un phénomène en croissance de plus de 22% chez les jeunes femmes en 2021. Les professionnels appellent à la mobilisation de tous pour enrayer le phénomène.
Sur les 3 premiers mois de de 2022, Santé Publique France a enregistré 6418 passages aux urgences , en hausse de 27% sur la même période en 2021.
Les filières d’accueil psychiatriques se révèlent sous dimensionnées comme le rapporte le journal Libération qui a consacré un dossier sur cette question.
Comment expliquer ce phénomène ? Comme le rapporte un article paru dans le Monde, « la crise sanitaire et le climat anxiogène qu’elle a engendré ont particulièrement affecté la santé mentale des enfants, des adolescents et des jeunes adultes dans la plupart des pays ». Elle a sans doute rehaussé le niveau de vulnérabilité individuelle. D’autres facteurs augmentent le risque suicidaire : le rôle des difficultés vécues dans l’enfance et l’adolescence (violence physique, sexuelle ou psychologique), les problèmes psychiatriques (dépression, troubles anxieux et alimentaires), la consommation de drogue ou d’alcool, l’impulsivité, une rupture amoureuse, la pression scolaire ou le harcèlement à l’école et via les réseaux sociaux.
Si le nombre absolu de suicides est plus important pour les hommes de 45-54 ans, c’est pour la classe d’âge des 25-34 ans que l’importance des décès par suicide, relativement aux autres causes de mortalité, est la plus forte : le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes.
Les singularités du suicide à l’adolescence
Le 3ème rapport de l’Observatoire national du suicide (ONS) souligne en 2018 les interactions entre comportements suicidaires et processus d’adolescence.
L’adolescence est une période marquée par un entre-deux : l’adolescent n’est plus un enfant et pas encore un adulte. La complexité de cette transition est aujourd’hui augmentée du fait d’une délimitation de l’adolescence moins nette qu’auparavant. La sortie plus rapide de l’enfance et le passage plus chaotique à l’âge adulte brouillent le début et la fin de l’adolescence. Chez les jeunes en souffrance les troubles des conduites et l’inadaptabilité sociale sont beaucoup plus précoces que par le passé, en particulier les violences contre soi ou contre les autres et l’exposition de soi par le biais d’internet. Les jeunes ne sont pas plus nombreux à aller mal à l’adolescence, mais ceux qui sont en souffrance, vont mal plus tôt et sans doute de façon plus marquée.
Les pratiques numériques – qui jouent aujourd’hui un rôle prépondérant dans la vie de la plupart des adolescents – ont parfois pour effet de réduire leur durée de sommeil, de diminuer leur activité physique et de les surexposer aux médias. Or, ce trio de facteurs est associé fortement aux idées suicidaires et aux symptômes dépressifs et anxieux.
De plus, l’usage des technologies numériques creuse les inégalités entre les jeunes face au suicide. Il présente en effet un atout pour les adolescents qui évoluent dans un environnement familial et scolaire sécurisant et qui vont bien, mais constitue un espace qui expose les plus vulnérables à la souffrance et au risque suicidaire.
Le risque de « contagion » des comportements suicidaires chez les jeunes peut, dans certaines circonstances particulières, être amplifié par le biais des outils numériques, notamment des réseaux sociaux qui peuvent véhiculer des informations et des images spectaculaires ou romancées du suicide. Les jeunes semblent ainsi particulièrement sensibles à cet effet d’imitation, notamment lorsqu’ils sont confrontés au suicide d’un pair.
« La conjonction de la place plus importante des mondes virtuels, de la diminution du rôle sécurisant des familles et de l’exigence de performance, associée aux changements psychiques et physiques spécifiques à l’adolescence, doit ainsi être interrogée comme facteur aggravant du mal-être et comme éventuelle contribution aux conduites suicidaires chez les adolescents. » conclut le rapport de l’observatoire national du suicide.
La prévention du suicide
Chez les jeunes, les usages de substances psychoactives, le décrochage scolaire et les symptômes dépressifs pourraient être utilisés comme des indicateurs pour le repérage de profils d’adolescents présentant un risque accru de conduites suicidaires.
Après des années d’attente, un plan de prévention lancé par les pouvoirs publics en 2018 a vu la mise en place de la ligne d’écoute 3114, numéro national de prévention du suicide. Près de 70 000 appels ont été reçus depuis. Il est prévu de renforcer l’adaptation aux jeunes du dispositif de suivi VigilanS, créé en 2015 dans les Hauts-de-France.
D’autres actions pour éviter la contagion sont développées, avec des programmes comme Papageno pour contrer « l’effet Werther » qui désigne le phénomène de suicide mimétique mis en évidence en 1982 par le sociologue américain David Philipps. L’Organisation Mondiale de la Santé, en partenariat avec l’Association internationale pour la prévention du suicide (IASP) a publié des recommandations, en particulier à l’attention des médias : il s’agit entre autres d’éviter le langage qui sensationnalise et normalise le suicide, ou qui le présente comme une solution aux problèmes ; de ne pas donner de détails sur le lieu et la méthode utilisée dans un suicide ou une tentative de suicide ; et de fournir des informations sur les ressources d’aide.
Nous constatons depuis plusieurs années que la médiatisation de revendications de « suicide assisté » par des lobbies ou au travers d’affaires médiatiques produit un effet de contagion, comme Alliance VITA en a témoigné lors de son audition auprès du Comité consultatif national d’éthique en octobre 2021. Comment est-elle compatible avec la prévention de tous les suicides ? Une étude intitulée « Euthanasie et suicide assisté chez les patients psychiatriques : une revue systématique de la littérature » souligne que le nombre de patients psychiatriques demandant l’euthanasie ou le suicide assisté dans le monde ne cesse d’augmenter et conclut : « Étant donné que la prévention du suicide reste une importante priorité de santé publique, il est nécessaire de s’assurer que la demande d’euthanasie ou de suicide assisté n’est pas simplement un moyen (très efficace) de réaliser un suicide. Actuellement, il existe de nombreuses preuves que les patients qui demandent/reçoivent l’euthanasie ou le suicide assisté sont très similaires à ceux qui meurent par suicide. »