Avortement : La Cour Suprême va-t-elle abroger l’arrêt Roe vs Wade ?
La Cour Suprême des Etats Unis s’apprêterait à renverser l’arrêt Roe vs Wade établissant une protection fédérale constitutionnelle au « droit à l’avortement », selon un article publié par le site Politico le 5 mai. L’impact juridique de ce renversement serait essentiellement de revenir à la situation prévalant avant 1973, date de l’arrêt Roe vs Wade. Concrètement, il appartiendrait alors à chacun des 50 Etats américains de légiférer sur l’avortement, sauf si le Congrès américain votait une loi au niveau fédéral.
Le site Politico aurait obtenu un “draft” (texte en projet) de l’opinion majoritaire, écrit par le juge Samuel Alito. Quatre autres juges soutiendraient cette opinion, constituant une majorité de 5 voix sur les 9 juges composant la Cour Suprême. Les 3 juges nommés par des présidents démocrates et le chef de la Cour (“Chief Justice”) nommé par Georges W Bush seraient les voix minoritaires. Le site précise également que l’opinion majoritaire est susceptible de changer jusqu’à la publication finale.
La fuite de ce document interne, daté du 10 février, vers les médias, est un cas exceptionnel pour la Cour Suprême. Celle-ci a confirmé l’authenticité du texte en projet tout en indiquant que cette version n’est pas définitive. La fuite fera l’objet d’une enquête interne.
La décision de la Cour, attendue en juin 2022 porte sur la constitutionnalité d’une loi de l’Etat du Mississipi de 2018 restreignant la possibilité d’un avortement à 15 semaines de grossesse à l’exception de cas d’urgence médicale ou de malformation grave du foetus. La Cour Suprême a entendu en décembre 2021 les arguments oraux des deux parties, le Département de la Santé de l’Etat du Mississipi représenté par Thomas Dobbs, et la clinique Jackson Women’s Health Organization, située dans la ville de Jackson, et seule clinique pratiquant l’avortement dans l’Etat du Mississipi.
Loi ou jurisprudence ?
Dans de nombreux pays, dont la France, l’avortement est régulé par une loi votée par le Parlement. En France, récemment, la loi a étendu le délai d’accès à l’avortement de 12 à 14 semaines de grossesse. L’analyse de cette extension se trouve sur le site d’Alliance VITA.
Aux Etats Unis, le Congrès, constitué du Sénat (100 sièges) et de la Chambre des Représentants (435 sièges) n’a pas voté de loi régulant ou bannissant l’accès à l’avortement.
Ainsi, récemment, le Sénat n’a pas trouvé de majorité pour une proposition de loi votée par la Chambre des Représentants. Cette proposition de loi visait à codifier la jurisprudence établie par l’arrêt Roe vs Wade et celle issue d’un arrêt de 1992 Planned Parenthood vs Casey. Ce dernier consolidait l’arrêt de 1973 Roe vs Wade tout en modifiant les critères selon lesquels un Etat américain peut encadrer l’avortement.
Ce qu’établit l’arrêt Roe vs Wade
L’arrêt Roe vs Wade a établi, par 7 voix contre 2, que la Constitution américaine protège le droit d’une femme de choisir d’avorter sans que l’Etat puisse opposer une « restriction excessive » à ce droit.
Jane Roe est le pseudonyme de Norma Mc Corvey, une femme enceinte en 1969 de son troisième enfant, souhaitant avorter, et Henry Wade le nom du procureur du Comté de Dallas. Le Texas restreignait l’avortement aux cas de danger pour la vie de la mère. L’arrêt s’appuie sur deux principaux éléments juridiques.
Tout d’abord, la Cour Suprême a statué que la possibilité pour une femme de choisir un avortement, bien que non mentionné explicitement dans la Constitution, relevait du droit à la vie privée (“right to privacy”) réaffirmé par le quatorzième amendement à la Constitution dans sa section 1.
Ainsi cette clause (“Due process clause”) spécifie notamment qu'”Aucun État ne peut adopter ou appliquer une loi qui abrégera les privilèges ou immunités des citoyens des États-Unis; aucun État ne peut non plus priver une personne de la vie, de la liberté ou des biens, sans procédure régulière; ni refuser à quiconque relevant de sa juridiction l’égale protection des lois“. Ce quatorzième amendement a été voté en juillet 1868. Dans le contexte de la fin de la guerre civile américaine et de l’abolition de l’esclavage, il garantissait dans la Constitution l’égalité des droits de tout citoyen, quelle que soit sa race ou son statut (ancien esclave ou pas).
D’après l’arrêt Roe vs Wade, les Etats pouvaient avoir un intérêt à réguler l’accès à l’avortement en considération de la santé des femmes et de la vie prénatale du fœtus, s’ils respectaient de strictes conditions (“strict scrutiny”) déclinées en trois concepts ou tests :
- La charge de la preuve (“burden of proof”) de l’intérêt d’apporter une restriction revient à l’Etat,
- L’Etat doit poursuivre un intérêt impérieux (“compelling interest”),
- De la façon la plus étroite possible (“pursued in the narrowest possible way”).
Le droit de recourir à l’avortement étant considéré comme un droit fondamental, les lois l’encadrant devaient être évaluées à l’aune de ces critères stricts.
Dans la pratique, l’arrêt établissait une distinction par trimestre de grossesse pour juger du bienfondé de législation d’un Etat. Lors du premier trimestre, aucune restriction n’était possible. Dans le courant du second trimestre, une régulation par des Etats était possible. Lors du dernier trimestre de grossesse, des restrictions étaient possibles sous réserve de question de santé et d’urgence médicale pour les femmes.
L’introduction du critère de viabilité, arrêt Planned parenthood vs Casey.
En 1992, la Cour Suprême a rendu un nouvel arrêt sur le sujet de l’avortement. Elle affirme ce qu’elle déclare être les trois principales conclusions de l’arrêt de 1973, à savoir :
- Le droit des femmes de choisir d’arrêter leur grossesse sans que l’Etat puisse interférer de façon indue,
- Le droit d’un Etat de restreindre l’avortement quand le fœtus est viable (“fœtal viability”)
- L’intérêt légitime d’un Etat dès le début de la grossesse à protéger la santé des femmes et la vie du fœtus.
Le respect du précédent (“stare decisis”), c’est-à-dire le fait de ne pas renverser une décision précédente de la Cour Suprême, était un des arguments également invoqué pour ne pas revenir sur l’arrêt Roe vs Wade.
La distinction par trimestre pour analyser les législations des Etats est remplacée dans cet arrêt par un critère de viabilité du fœtus (“viability analysis”), ouvrant la possibilité que les connaissances médicales modifient l’évaluation de la date de cette viabilité.
Par ailleurs, cet arrêt modifie également un point important : l’analyse des législations des Etats sur l’avortement par le critère des strictes conditions est remplacé par un critère de “fardeau indû” (“undue burden”). En conséquence, l’arrêt avait validé une législation de Pennsylvanie demandant le consentement informé au moins 24 heures avant l’acte d’avortement par la femme enceinte, un consentement parental pour les mineures, mais avait invalidé la nécessité pour une femme d’informer son mari de la procédure.
Plusieurs arrêts de la Cour Suprême ont ensuite affiné la notion de fardeau indû. En 2020, un arrêt de la Cour Suprême June Medical Services llc vs Russo, a ainsi réaffirmé que “les nombreuses restrictions qui n’imposaient pas d’obstacle important étaient constitutionnelles, tandis que la restriction qui imposait un obstacle important était inconstitutionnelle”.
Conclusion
Ces différentes interventions de la Cour Suprême montrent que les législations des Etats américains sur l’avortement ont fait l’objet de nombreuses évolutions après l’arrêt Roe vs Wade. La législation du Mississipi, objet de l’arrêt à venir, ainsi que celle votée au Texas en septembre 2021, en sont des exemples médiatiquement très commentés. Comme indiqué dans l’introduction, il faut maintenant attendre l’arrêt définitif de la Cour en Juin.
En tout état de cause, la comparaison de la situation américaine avec celle de la France est hasardeuse. Les systèmes juridiques des deux pays sont très différents. Par ailleurs, le débat sur ce sujet est toujours resté vif outre-Atlantique, divisant l’Amérique et séparant les politiques en deux camps.
En France, un tel débat est difficile et plus déséquilibré, poussant à toujours plus d’extension de l’IVG. Les prises de position de l’OMS, décryptées récemment sur le site d’Alliance VITA, sont dans cette lignée. L’urgence est de s’interroger sur une véritable politique de prévention d’un acte qui n’a rien d’anodin, et que beaucoup de femmes voudraient éviter.
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