Avortement : des femmes vont mourir selon The Lancet ?
Après la publication sur le site Politico de l’avant-projet de décision de la Cour suprême sur le droit à l’avortement, la prestigieuse revue scientifique médicale The Lancet a réagi fortement dans un éditorial daté du 14 mai 2022 et intitulé “Pourquoi Roe vs Wade doit être défendu”, repris le jour même dans plusieurs médias français.
On peut lire notamment que « : “Si la cour suprême confirme sa décision provisoire (qui aboutirait à transmettre la compétence de l’avortement au niveau des Etats), alors des femmes vont mourir (…). Les juges et leurs supporters auront du sang de femmes sur leurs mains”.
Pour étayer cette affirmation, l’éditorialiste s’appuie sur les chiffres de l’OMS relatifs au nombre de grossesses non intentionnelles, au taux d’avortements associés et aux proportions d’avortements considérés comme non sécurisés.
Dans une publication du 8 mars 2022, l’organisme international recommandait en effet de supprimer tout délai d’accès à l’avortement au motif que les restrictions légales, non seulement ne réduiraient pas le nombre d’avortements mais s’accompagneraient aussi d’une augmentation du taux d’avortements non sécurisés et d’une augmentation du taux de mortalité maternelle.
Dans un décryptage daté du 8 avril 2022, Alliance VITA a analysé les données sur lesquelles reposaient ces affirmations : les estimations et extrapolations montrent d’importants biais. Ainsi, un article publié en 2020 dans The Lancet et utilisé par l’OMS calcule qu’entre les périodes 1990-95 et 2015-19, le taux d’avortement estimé dans les pays l’ayant libéralisé aurait baissé de -43%. A contrario, les pays à fortes restrictions, auraient vu leur taux d’avortement estimé augmenter de +12%.
Or la Chine et l’Inde, où l’avortement est légal, ont été exclues des estimations. Lorsqu’on réintègre ces deux pays, représentant près de 3 milliards des 7,9 milliards habitants sur terre, la baisse dans les pays où l’avortement est libéralisé n’est plus que de -8%. Plus encore, sur la période 2015-19, le taux d’avortement dans ces pays dits « libéraux » est supérieur de 11% à celui observé dans les pays à fortes restrictions.
Ainsi, la réintégration des “données” non mentionnées par l’OMS contredit ses conclusions et ne permet pas de faire un lien entre la légalisation et une baisse des avortements.
Par ailleurs, selon les auteurs de l’éditorial, 3/5ème des 120 millions de grossesses non intentionnelles aboutiraient à un avortement dont 55% seraient estimés comme étant sûrs. « Ainsi, 33 millions de femmes subissent des avortements non sécurisés, leur vie étant mise en danger parce que la loi restreint l’accès à des services d’avortement sûrs. »
Pourtant un autre article publié dans leurs propres colonnes en novembre 2017 indiquait qu’: “aucune association claire n’a été observée entre les proportions d’avortement non sécurisés et les taux de mortalités maternelles”
Une interprétation erronée de la surmortalité des femmes afro-américaines
Poursuivant sur la situation particulière des femmes afro-américaines, l’éditorial précise que “le taux de mortalité maternelle des femmes noires aux Etats Unis, auquel l’avortement non sécurisé contribue largement, est presque 3 fois plus élevé que celui des femmes blanche non hispaniques”.
Selon les statistiques nationales par origine ethnique, le taux de mortalité maternelle des femmes noires aux Etats Unis est en effet entre 2,5 à 2,9 fois plus élevé sur la période 2018-2020 que celui des femmes blanches non hispaniques. Les causes de la mortalité maternelle aux Etats Unis ont, quant à elles, été étudiées de manière approfondie dans une publication datant de mai 2021 et intitulée Maternal Mortality in the United States.
L’avortement n’y figure pas comme un facteur important de la mortalité maternelle. En effet, parmi les 658 mères décédées lors d’un accouchement en 2018 (dont 205 femmes noires), l’avortement considéré au sens très large (incluant les fausses couches, les grossesses extra utérines, les IVG, IMG…1 ) représente 7,6% des causes de décès loin derrière l’hypertension, les maladies du système circulatoire, les embolies et autres. Rien n’indique une surreprésentation de l’avortement (au sens d’interruption volontaire de grossesse) à l’origine de la mortalité maternelle dans la population noire américaine.
Afin de comprendre cette surmortalité maternelle, les auteurs de cette publication soulignent au contraire le rôle des déterminants sociaux tels que “les revenus, le statut social, l’éducation, l’accès au système de santé, le logement, l’environnement physique, le soutien social, la culture.”
Au-delà du débat qui s’ouvre sur la décision à venir de la Cour suprême, Il est paradoxal que The Lancet, en tant que revue scientifique, tire des conclusions aussi hasardeuses et peu scientifiques. Il serait intéressant au contraire, que la revue documente les situations de surmortalité maternelle au sein de la population noire américaine pour étudier les solutions ajustées qui permettent d’améliorer les politiques sanitaires et sociales pour cette communauté.
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :