Décryptage des chiffres de l’OMS sur l’avortement dans le monde
01/04/2022

Décryptage des chiffres de l’OMS sur l’avortement dans le monde

Note d’analyse – Avril 2022

 

 

Résumé  

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publie des chiffres officiels appelés “fact sheet” sur l’avortement. Ces chiffres concernant le nombre d’avortements dans le monde, le nombre d’avortements non sécurisés et le nombre de décès maternels suite à un avortement sont présentés comme des données venant de statistiques officielles recensant ces cas à travers le monde. En étudiant les sources des articles sur lesquels s’appuie l’OMS, et en l‘absence de données officielles suffisamment disponibles, il apparait que ces chiffres sont le résultat d’estimations issues de modèles statistiques.

Ces derniers utilisent des hypothèses en amont pour prédire ces grandeurs. Cette note se propose donc d’analyser les méthodologies derrière les estimations de l’OMS, les limites de leur validité ainsi que la manière dont sont présentés les chiffres.

 

Evaluation du nombre d’avortements dans le monde

“Environ 73 millions d’avortements provoqués ont lieu chaque année dans le monde.”

Cette affirmation de l’OMS s’appuie sur un article de Juillet 2020 publié dans The Lancet Global Health Journal [1]. Ces 73 millions sont présentés comme des affirmations (“ont lieu”) alors qu’ils sont le résultat d’une estimation. En effet, selon [1], il y aurait entre 67 et 82 millions d’avortements dans le monde dans un intervalle d’incertitude assez faible de 80% ce qui laisse une marge d’erreur assez importante. Le nombre correspondant d’avortements ramené par femme serait entre 36 et 44 avortements pour 1000 femmes en âge de procréer sur la période 2015-19.

Les auteurs de l’article [1] constatent la faible disponibilité des données officielles sur ce sujet :

  • les données sur l’avortement sont relativement faibles et ont de grandes incertitudes dans les pays ayant des politiques restrictives”,
  • la disponibilité de plus en plus grande de l’IVG médicamenteuse rend difficile le calcul du nombre d’avortements à l’intérieur et à l’extérieur du système de santé”,
  • les données pour des naissances non voulues sont relativement faibles dans les pays légalisant l’avortement”.

Ainsi, en l’absence de données directes suffisamment importantes, une approximation statistique est développée par [1] qui consiste à estimer :

  1. le taux de grossesses non voulues à partir
    • du nombre de femmes souhaitant la contraception et n’y ayant pas accès,
    • du nombre de femmes utilisant une contraception mais qui a fait défaut
    • et du risque de grossesse dans chaque catégorie
  2. l’intention de donner naissance parmi les grossesses non voulues, (basé notamment sur le London Measure of Unplanned Pregnancy).

Afin de valider leur modèle, les auteurs ont comparé leurs résultats avec les points de références disponibles dans les pays recensant correctement le nombre d’avortements. Les écarts entre les sorties du modèle et les points de comparaison se révèlent importants. (De l’ordre de 30% en erreur relative absolue).

En outre, si l’on compare avec d’autres sources de l’OMS, ce chiffre de 73 millions est beaucoup plus élevé que dans des références antérieures. 3 ans auparavant en 2016, un article publié dans The Lancet [2] (avec en partie les mêmes auteurs) estimait à 56 millions le nombre d’avortements annuels dans le monde (entre 52 et 70 millions dans un intervalle d’incertitude plus élevé de 90%) sur la période 2010-14  (estimations reprises par l’INED). Or l’estimation de l’article de 2019 pour la même période (avec les corrections sur la croissance de la population, ce qui correspond à une augmentation de 4,8% sur 4 ans) est de 71 millions d’avortements.

Cet écart de plus de 26% n’est aucunement expliqué dans la publication [1].

On peut noter que les méthodologies sont très différentes entre les deux articles :  celui de 2016 [2] se base sur la fréquence des rapports sexuels, la fécondité, la “force” des femmes de mener une grossesse à leur terme et la capacité à agir selon leurs préférences (basés sur leur niveau d’éducation et le PIB). Tous ces “prédicteurs” sont particulièrement subjectifs et mériteraient une discussion approfondie des hypothèses choisies.

On peut conclure que la méthode et les variables d’entrée des modèles d’estimations du nombre total d’avortements dans le monde par l’OMS ont une influence très forte sur les chiffres publiés.

Ces écarts appellent à creuser les hypothèses qui ont été retenues pour ces estimations.  

 

 

Nombre d’avortements non sécurisés dans le monde

“Environ 45 % de l’ensemble des avortements sont non sécurisés”

Cette affirmation de l’OMS s’appuie sur un article de Novembre 2017 publié dans Le Lancet [3]. Ces 45% sont présentés comme des affirmations (“sont non sécurisés”) alors qu’ils sont le résultat d’une estimation.

En effet, selon [3], il y aurait entre 40,6% et 50,1% d’avortements non sécurisés dans un intervalle d’incertitude de 90%. Selon [3], ces 45% correspondent à 25 millions d’avortements sur les 56 millions pris comme référence issus de l‘article [2].  Cette répartition est dans la continuité avec des sources précédentes correspondant à 20 millions sur 42 millions d’avortements dans un article de l’OMS de 2009 [4].

Les auteurs de [3] insistent sur la très grande pauvreté (“data paucity”) des données disponibles concernant les avortements sécurisés et les autres non sécurisés selon les méthodes recommandées par l’OMS pour pouvoir vérifier leurs chiffres. Ils doivent donc passer par une estimation à partir d’autres facteurs.

Le modèle pour estimer le nombre d’avortements “sécurisés” s’appuie sur 4 prédicteurs (variables d’entrée du modèle : le nombre d’années depuis que le mifepristone est autorisé dans le pays, la proportion de la population vivant dans les zones urbaines, l’indice d’inégalité entre les sexes, le statut d’autorisation du misoprostol pour capturer les avortements réalisés en dehors du système de santé).  

L’absence de transparence sur les critères de sélection rend les fondements de cette méthodologie discutables. De plus, aucun résultat de validation du modèle par rapport aux données de recensement n’est fourni dans l’article.

Compte tenu de la spécificité du modèle, les auteurs indiquent en particulier que “des comparaisons avec des estimations préalablement faites sur les proportions d’avortements sécurisés et non sécurisés ne peuvent pas et ne doivent pas être réalisées en raison de la méthodologie, les données utilisées et les approches d’analyses très différentes”.

Ce modèle conduit à donner une estimation chiffrée à deux catégories d’avortement :

  • Les avortements “moins sécurisés” représentent 30%. Ils concernent l’utilisation d’une méthode non recommandée par l’OMS (ex curetage) par une personne qualifiée et une méthode recommandée par l’OMS (ex l’avortement médicamenteux) sans suivi par une personne qualifiée.
  • Les avortements “les moins sécurisés” représentent 15%. Ils incluent toutes les méthodes non recommandées par l’OMS réalisées par des personnes non qualifiées.

On peut noter que l’OMS communique sur 45% plutôt que les 15% de l’article [3].

 

 

Nombre de décès maternels liés à un avortement dans le monde

“4,7 % à 13,2 % des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécurisé”

Cette affirmation de l’OMS s’appuie sur un article de Juin 2014 publié dans Le Lancet [5]. La large plage d’incertitude de 4,7% à 13,2% correspond à un intervalle de confiance à 95% ce qui est élevé, l’estimation moyenne étant de 7,9%. Ces pourcentages ont été convertis par l’OMS à 39 000 décès par an sur leur site ce qui correspond au 13,2% (en considérant les 295 000 décès annuels de la fact sheet de l’OMS sur la mortalité maternelle).

On notera que l’OMS, dans sa communication, préfère retenir l’estimation haute plutôt que l’estimation moyenne qui aurait conclu à 23 000 décès par an.  Notons que les auteurs de l’article [5] mentionnent un possible sous reporting des décès qui ne seraient pas dans les statistiques.

Les auteurs de [5] ont exploité des données médicales de classification internationale des maladies (ICD-10) pour classer les causes de décès maternels : avortement, embolie, hémorragie, hypertension, septicémie, autres causes directes et autres causes indirectes. Un biais important apparait dans la mesure où la catégorie « décès de la mère par avortement » inclut les situations suivantes : IVG (induced abortion) mais aussi fausse couches (miscarriage) et grossesses extra-utérine (ectopic pregnancy). L’article ne fait aucune distinction entre ces 3 catégories.

Ces estimations de décès maternels liés à l’IVG ne s’avèrent pas fiables.

De plus, le lien entre les avortements non sécurisés tels que définis par l’OMS et les décès maternels n’est pas établi.  

En effet, les auteurs de la publication [3] ont tenté de relier les estimations d’avortements non sécurisés tels que définis par l’OMS (comprenant les avortements “moins sécurisés” et les avortements “les moins sécurisés”) avec des taux estimés de mortalité maternelle liés à l’avortement tout type confondu (Case fatality rate) pour vérifier l’hypothèse d’impact sur la santé des femmes d’avortements non sécurisés.  

Or, ils n’aboutissent pas à trouver un lien et déclarent qu’”aucune association claire n’a été observée entre les proportions d’avortement non sécurisés et les taux de mortalités maternelles”. 

Ils indiquent cependant qu’ils peuvent observer une association entre le taux de mortalité maternelle et le taux d’avortement “les moins sécurisés”.  La figure 8 (ci-dessous) montre pourtant des disparités de corrélation très fortes d’une région à une autre. La corrélation est négative en Amérique Centrale et en Afrique du Nord avec un fort taux d’avortement “les moins sécurisés” et très peu de mortalité alors que la corrélation est positive en Afrique de l’Ouest et du Centre où les conditions générales de santé sont mauvaises.   

tableau tx avortement tx mortalite maternelle

En conclusion, la fiabilité des données, très contestable, remet en cause la pertinence des  recommandations et appelle à la plus grande prudence.

 

Bibliographie

[1] Unintended pregnancy and abortion by income, region, and the legal status of abortion: estimates from a comprehensive model for 1990-2019, Guttmacher Institute, WHO, University of Massachussets, July 2020, The Lancet Global Health Journal https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(20)30315-6/fulltext

[2] Abortion incidence between 1990 and 2014: global, regional, and subregional levels and trends,  Guttmacher Institute, WHO, University of Geneva, Ibis Reproductive Health California, University of Massachussets, July 2016, The Lancet Journal https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5498988/pdf/nihms863976.pdf

[3] Global, regional, and subregional classification of abortions by safety, 2010–14: estimates from a Bayesian hierarchical model, Guttmacher Institute, WHO, University of Massachussets, November 2017, The Lancet Journal https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2817%2931794-4

[4] Unsafe Abortion: Global and Regional Incidence, Trends, Consequences, and Challenges, WHO, December 2009, Journal of Obstetrics and Gynaecology Canada,  https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1701216316343766.

[5] Global causes of maternal death: a WHO systematic analysis, WHO, University of California, University of Birmingham, National University of Singapore, June 2014, The Lancet Global Health Journal https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S2214-109X%2814%2970227-X

 

Avortement : approche extrémiste et biaisée de l’OMS.

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