Un éditorial de la revue Nature attire l’attention sur l’augmentation alarmante des tests génétiques complexes dans la sélection des embryons humains in vitro.
L’émergence de ces entreprises qui offrent aux futurs parents des tests fondés sur un « score de risque polygénique des embryons » alarme les généticiens et les bioéthiciens. La Société européenne de génétique humaine, la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie et l’American College of Medical Genetics déconseillent la mise en œuvre de ces tests dans la pratique clinique.
On connait déjà les tests génétiques simples, réalisés dans le cadre des diagnostics préimplantatoires pour rechercher des maladies rares et graves liées à la mutation d’un seul gène (c’est le cas en France, pour certaines pathologies). Au Royaume-Uni, ces tests ont été approuvés pour plus de 600 anomalies.
Désormais, certaines sociétés, comme Myome en Californie, prétendent être en mesure de prédire le risque de nombreuses maladies courantes, y compris celles influencées par des dizaines, voire des centaines de gènes, dans l’optique de prévoir le risque de maladies courantes se développant des décennies plus tard… Il est très difficile de séquencer avec précision un génome entier d’un embryon à partir de quelques cellules. Pour aboutir à ces prédictions, cette société utilise un autre moyen, décrit dans une publication : le séquençage de l’ADN des deux parents et la « reconstruction » du génome d’un embryon à l’aide de ces données. Ils ont donc séquencé le génome de 10 couples de parents ayant réalisé des fécondations in vitro et ayant eu des bébés. Les chercheurs ont utilisé les données recueillies sur tous les embryons de ces couples, 110 au total, qui ont subi des tests génétiques simples (vérifiant le nombre de chromosomes et la présence de quelques anomalies génétiques bien identifiées). En combinant ces données avec les séquences des génomes parentaux et en appliquant des techniques statistiques et de génomique des populations, les chercheurs estiment avoir pu tenir compte du brassage des gènes qui se produit pendant la reproduction. Ils ont comparé leurs résultats théoriques avec le génome des quelques enfants nés dans ces couples et estiment les résultats encourageants.
Mais la fiabilité de ces prédictions n’est absolument pas étayée, et les risques et implications sociétales sont insuffisamment expliquées et discutées.
Ces scores ont été développés sur la base de prédictions, qui peuvent s’avérer fausses, et en étudiant des populations peu diversifiées, majoritairement européennes. Elles seraient moins précises dans d’autres groupes. Par ailleurs, créer un score de risques pour un embryon en se basant sur des données de santé observées chez les adultes ne va pas de soi, étant donné la complexité de la génétique et le fait que l’’environnement global joue un rôle très important dans la survenue, ou non, d’une pathologie.
Pour le généticien statistique à l’Université hébraïque de Jérusalem Shai Carmi et ses collègues : « Il est difficile de dire si cela aura un sens ». De leur côté ils ont utilisé la modélisation informatique pour tester la possibilité d’augmenter la taille et le QI en sélectionnant des embryons sur la base de scores de risque polygéniques. Et ils ont constaté que, généralement, cela ne fonctionne pas.
Les résultats ne sont parfois prédictifs que par des interactions encore mal expliquées entre les contributions génétiques et environnementales d’une maladie. Ensuite, on comprend encore mal pourquoi certains embryons sélectionnés comme ayant un risque plus faible pour une maladie sont en fait plus sensibles à d’autres infections. Pour Norbert Gleicher, spécialiste de l’infertilité au Center for Human Reproduction à New York, qui qualifie cette pratique de contraire à l’éthique, « Vous pouvez obtenir l’omission d’une maladie, mais en même temps, en faisant cela, induire une autre maladie ». On sait qu’une séquence d’ADN associée à une caractéristique bénéfique pourrait également augmenter le risque d’une caractéristique néfaste, et que certains gènes identifiés pour prédisposer à la survenue d’une pathologie protège contre d’autres.
Enfin, ces tests prétendent sélectionner les embryons dans l’objectif de limiter la survenue de certaines pathologies à l’âge adulte. Pourtant, des traitements ou des mesures préventives pourraient exister d’ici là et permettre de les éviter.
Malgré ces sérieuses incertitudes, ces tests polygéniques sont déjà commercialisés dans certains pays, notamment aux États-Unis et au Japon, sans que les consommateurs ne soient informés sur les incertitudes et les risques de ces techniques. « Ce qui est préjudiciable. Elles peuvent déclencher la destruction inutile d’embryons viables ou inciter les femmes à subir des cycles supplémentaires de stimulation ovarienne pour collecter plus d’ovocytes » estiment les auteurs de l’éditorial.
Le marché mondial des tests génétiques sur les embryons, greffé à celui de la procréation artificielle et de la fécondation in vitro, est en plein essor. Il était déjà estimé à 75 millions de dollars en 2018.