Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) vient de publier son avis 138 intitulé « l’eugénisme : de quoi parle-t-on ? » ce 16 février 2022. Il avait été adopté en Comité plénier le 20 mai 2021.
Le CCNE s’est autosaisi de la question suite à la recrudescence de l’usage du terme « eugénisme » dans les débats autour de la révision de la loi bioéthique. C’est notamment sur la question de l’utilisation du diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A) dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation que l’ « eugénisme » a été convoqué.
Après un rappel historique sur les mentalités et pratiques eugéniques, le comité se pose la question de savoir si on peut, ou non, parler d’eugénisme aujourd’hui en France.
Il rappelle ce que dit la loi : nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite. Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée (clonage). Et enfin : sans préjudice des recherches tendant à la prévention, au diagnostic et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne.
Pourtant, le CCNE reconnait qu’il existe bel et bien une sélection des personnes en France, mais puisqu’elle relève de décisions individuelles, et non d’une politique d’état, il considère que le mot eugénisme ne correspondrait pas.
Concernant les pratiques de dépistage anténatal, le comité estime que puisqu’elles ne consistent ni à améliorer l’espèce humaine, ni à transmettre des caractères génétiques modifiés à la descendance, elles ne sauraient être reconnues comme ayant une intentionnalité eugéniste. Il conclut donc que « l’analyse sémantique du mot eugénisme a permis de montrer qu’il n’existe à ce jour en France aucune pratique qui en réunit les caractères intrinsèques, à savoir l’objectif explicite de l’amélioration de l’espèce humaine, avec pour moyen la sélection des personnes par élimination ou contrôle reproductif, via une politique d’état coercitive ».
Ainsi, le CCNE conclut qu’il n’y a pas de pratique en France pouvant porter le nom d’eugénisme selon la définition qu’il en a lui-même fait.
Considérant les enjeux autour du DPI-A (diagnostic mené sur les embryons in vitro pour vérifier l’absence d’anomalies chromosomiques, comme une trisomie), le CCNE conclut que cette technique chercherait juste à sélectionner des embryons « plus viables », et non « plus désirables », et n’entrainerait donc pas de risque de dérive eugénique. Pour cela, il s’appuie sur le fait qu’un embryon aneuploïde aurait plus de chance de conduire à une fausse couche. Ce qui est vrai dans certains cas, mais procède d’un raccourci, voire d’un sophisme, dans d’autres. La recherche du caryotype se camouflant alors derrière cette notion de viabilité.
Concernant le diagnostic prénatal, le CCNE rapporte l’augmentation systématique du nombre d’échographies, induisant une surveillance accrue de l’enfant à naitre et des attentes différentes entre les parents et les soignants (….) d’où un impératif d’information du couple. Cette information doit porter, tant sur la finalité de la pratique échographique d’un point de vue médical que sur la collecte systématique d’un consentement à cette pratique, rendu précisément nécessaire par sa grande banalisation. C’est pourquoi le CCNE insiste sur la nécessité d’une « éthique de l’annonce », incluant trois critères. D’abord, la pluralité des options (une information a une réelle valeur éthique quand elle éclaire, sans les dicter, un choix qui reste ouvert sur plusieurs possibilités d’action). Puis la neutralité (appelant à la plus grande précaution oratoire lors de l’évocation de la possibilité d’une IMG, « le simple fait d’envisager l’éventualité d’un arrêt de la grossesse peut produire un effet incitatif dans la mesure où, tacitement, le médecin juge la situation préoccupante). Enfin, la temporalité (le temps participe aux conditions d’une réflexion non-contrainte).
Sur la question de « la médecine du futur », le CCNE conclut que les possibilités vertigineuses qu’ouvrent les modifications ciblées du génome requièrent une grande vigilance fondée à la fois sur la législation, mais également sur l’humilité, scientifique et philosophique, pour ce qui concerne leur usage sur le génome des cellules germinales, transmissible à la descendance. Parallèlement, le CCNE salue et encourage tous les progrès de ces techniques pour leur usage thérapeutique potentiel sur le génome des cellules somatiques, pouvant offrir des perspectives de guérison ou d’expression atténuée de maladies graves, notamment celles pour lesquelles est discutée aujourd’hui une interruption médicale de grossesse.
En conclusion, pour le CCNE, « à l’issue de l’examen des pratiques liées aujourd’hui à la médecine reproductive, il apparaît que le terme d’eugénisme paraît inapproprié pour en qualifier les enjeux éthiques. Il n’en demeure pas moins que l’enjeu de la sélection de futures personnes, de l’acceptabilité ou non du handicap et le risque d’uniformisation qu’il pourrait induire justifient une veille éthique permanente et réclament une réflexion sociétale approfondie sur la question plus générale de l’humain de demain ».
Pour Alliance VITA, « que le CCNE considère que le terme d’eugénisme paraisse inapproprié n’enlève rien à la réalité des enjeux. Il faut continuer à ouvrir cette réflexion et ce débat. La menace de l’acclimatation de notre pays à des pratiques eugéniques et son glissement vers un eugénisme technologique est réelle ».
Parmi ses recommandations, le CCNE attire l’attention sur la nécessité de garantir aux futurs parents un consentement réellement libre en développant toutes les mesures nécessaires pouvant faciliter l’accueil d’un enfant pour lequel une maladie ou un handicap a été détecté. Il rappelle aussi l’urgence de proposer des accompagnements aux familles et d’augmenter le nombre d’infrastructures adaptées à l’accueil des personnes handicapées, non seulement mineures, mais également majeures.
L’enjeu d’une réelle politique d’inclusion se joue ici comme l’a souligné Alliance VITA tout au long du processus de révision de la loi bioéthique.