Maltraitance des enfants, un livre interroge la société
Dans une interview publiée par la Revue des Deux Mondes, Michèle Créoff, ancienne vice-présidente du CNPE (Conseil National pour la Protection de l’Enfance) et Françoise Laborde, journaliste, discutent de leur récente publication « Les indésirables. Enfants maltraités : les oubliés de la République ».
Les auteurs notent que si le principe de la protection de l’enfance fait bien sûr l’unanimité, de nombreux facteurs contribuent à ce que la maltraitance perdure, malgré une volonté politique constante.
Une loi votée en 2007 réformant la protection de l’enfance avait pour but de renforcer la prévention, améliorer le dispositif d’alerte et de signalement et de diversifier les modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille. La loi dite Rossignol votée en 2016 mettait en avant deux objectifs : mieux prendre en compte les besoins de l’enfant et améliorer la gouvernance nationale et locale. Le ministère des solidarités et de la santé a publié en 2019 un plan de lutte contre les violences faites à l’enfant, avec 22 mesures.
La loi de 2016 a défini la maltraitance comme tout ce qui « contrevient aux besoins fondamentaux, physique, affectif, social et intellectuel, de l’enfant et a un impact sur son développement ».
Les chiffres disponibles pour évaluer les cas de maltraitance ne sont pas récents. L’ONPE (Observatoire Nationale de la Protection de l’Enfance) a publié les résultats de l’enquête sur 2018. Le nombre de mineurs ou jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure ou d’une prestation relevant de la protection s’élève à 306 800, soit 2.1% de la population mineure en France. Le nombre de mineurs ayant fait l’objet d’une saisine d’un juge des enfants atteint 110 000. Les deux auteurs rappellent le nombre important de viols sur mineurs enregistrés chaque année (13 000 en 2020), ce chiffre étant probablement sous-estimé.
Les enfants confiés à l’ASE (Aide sociale à l’enfance) étaient 34 000 fin 2017, une proportion importante restant en échec scolaire (15,8% des enfants confiés ne sont plus scolarisés contre 5,8% pour la population générale, chiffre 2013). Concernant la maltraitance la plus tragique, l’infanticide, l’ONPE note lui-même la difficulté à fournir une donnée fiable et avance un chiffre de 80 enfants pour l’année 2018. Pourtant, les moyens ne manquent pas.
Ainsi, les auteurs notent que le budget de l’ASE est de 8 milliards d’euros en 2018. Les auteurs citent plusieurs facteurs pour expliquer l’importance de la maltraitance malgré l’attention et les discours des pouvoirs publics.
Parmi eux, le cloisonnement de l’information et l’absence de formation des adultes travaillant dans ce secteur. Ainsi, un « référent national d’évaluation » est peu utilisé ou mis à disposition, et la demande de formation obligatoire pour les responsables de l’ASE (lois 2007 et 2016) n’est pas appliqué. Un chiffre illustre cette carence : la moitié des infanticides auraient lieu alors que la famille était suivie par les services sociaux des départements.
Des facteurs anthropologiques ou sociaux entrent en ligne de compte.
L’enfant est souvent considéré comme un adulte en miniature plutôt qu’en devenir. Revenant sur les cas d’inceste ou d’abus sexuel qui ont récemment secoué les médias et le public, les auteurs rappellent la nécessité de prendre en compte la maturation et les stades de développement de l’enfant et de l’adolescent, stades bien documentés maintenant par les neuro-sciences. Désirer, souhaiter, vouloir, sont trois choses différentes qu’un adolescent ne saura pas forcément distinguer ni articuler.
Selon les auteurs, la responsabilité revient aux adultes de ne pas confondre ces termes. Elle s’inscrivent d’ailleurs en opposition par rapport à la clause « Roméo et Juliette », récemment incluse dans la loi d’avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Elles constatent en effet que la majorité des adolescents qui ont un rapport sexuel à l’âge de 13 ou 14 ans sont des victimes d’inceste, de prostitution, de pédo-criminalité ou de viol. Cette clause « laisse donc à la merci des prédateurs sexuels toute une population entre 13 et 15 ans. »
Enfin, les auteurs dénoncent le paradoxe entre « un enfant de plus en plus précieux, dernière transcendance pour exister après sa mort » et « cette exigence, ce droit à l’enfant qui s’est substitué aux droits des enfants ». Selon elles, « l’enfant est de plus en plus pensé comme un partenaire de vie pour les adultes, plutôt que comme une responsabilité à exercer au bénéfice des enfants. »
Un projet de loi pour améliorer le dispositif de l’ASE, et présenté hier au Conseil des Ministres par Adrien Taquet, sera débattu en juillet. Il instaure des normes d’encadrement des structures accueillant les mineurs, une base nationale d’agrément pour les assistants familiaux. Ce projet semble insuffisant à certaines associations oeuvrant dans ce domaine. Ainsi, aucun dispositif d’accompagnement après les 18 ans n’est prévu. L’association Repairs qui regroupe d’anciens enfants placés, rappelle que « plus d’un jeune sans abri sur trois est un ancien enfant placé ».
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