La juridiction suprême du Portugal avait été saisie en février dernier par le Président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, quelques jours après l’adoption de la proposition de loi par le Parlement portugais, afin que les juges puissent examiner la constitutionnalité du texte. Le Président considérait en effet que la dépénalisation de l’euthanasie, telle qu’encadrée par les députés, s’accompagnait d’une insécurité juridique importante du point de vue de ses conditions légales. Dans sa requête, le Président pointait en particulier le flou entourant les concepts de « lésions permanentes » et de « souffrance insupportable », conditionnant l’un et l’autre la pratique de l’euthanasie.
Dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel conclut effectivement à l’inconstitutionnalité de la loi. Les juges insistent en particulier sur le flou entourant la notion de « lésions permanentes d’une extrême gravité selon le consensus scientifique » : aux yeux du Tribunal, une telle expression ne permet pas, du fait de son imprécision, « de délimiter avec la rigueur indispensable les situations de vie dans lesquelles la notion trouve à s’appliquer », et s’avère donc inconstitutionnelle.
Quant à la notion de « souffrances intolérables » par ailleurs mentionnée dans la loi, les juges reconnaissent également le caractère « indéterminé » de l’expression, mais considèrent qu’elle est néanmoins « déterminable selon les règles propres à la profession médicale, de sorte qu’elle ne peut être considérée comme excessivement indéterminée ».
Le constat d’inconstitutionnalité porte sur la manière dont l’euthanasie est concrètement encadrée par la loi et sur l’insécurité juridique qui en découle. Selon le Tribunal, l’euthanasie ne peut être déclarée inconstitutionnelle en tant que telle, dès lors que « le droit à la vie ne peut se transformer en devoir de vivre en toute circonstance ». Prenant appui sur une « conception de la personne propre à une société démocratique, laïque et plurielle du point de vue éthique, moral et philosophique », les juges considèrent qu’il convient de trouver un équilibre « entre le devoir de protéger la vie et le respect de l’autonomie personnelle dans les situations extrêmes de souffrance » (para. 32).
Rien n’indique toutefois, dans l’arrêt du Tribunal, que l’euthanasie constituerait le moyen approprié de parvenir à un tel équilibre. Au contraire, cette interprétation du Tribunal constitutionnel pourrait en fait se rapprocher du principe de non-acharnement thérapeutique ou absence d’obstination déraisonnable qui pourrait se révéler une option qui ne conduise pas forcément à l’euthanasie.
Ce constat d’inconstitutionnalité empêche ainsi l’adoption définitive – et l’entrée en vigueur – du texte de loi sur l’euthanasie tel que voté le 29 janvier dernier. Le parlement peut décider de ne pas poursuivre l’examen du texte ou de le remanier avant de procéder à un nouveau vote. Le Président aurait alors à nouveau la possibilité de soumettre le texte au contrôle du Tribunal constitutionnel. Une telle situation s’est notamment présentée à l’occasion de la loi autorisant la Gestation pour autrui (GPA) au Portugal, désavouée à deux reprises par le Tribunal constitutionnel en 2018 et 2019.