Moins de cinq ans après avoir dépénalisé l’euthanasie, le Canada modifie largement les conditions d’accès. L’euthanasie, désignée par l’expression d’« aide médicale à mourir » (AMM, MAiD en anglais) dans la loi canadienne, est désormais ouverte à toute personne atteinte d’une affection grave et incurable et qui souhaite mourir.
La loi C-7, votée en février dernier par le Parlement fédéral est entrée en vigueur ce 17 mars : elle contient ainsi des modifications substantielles des conditions d’accès à l’euthanasie.
Suppression du critère de fin de vie et élargissement aux personnes handicapées physiques
En premier lieu, est désormais supprimé le critère de « mort raisonnablement prévisible » conditionnant jusqu’ici la pratique de l’euthanasie. Sur le plan médical, ne subsiste dès lors plus que la condition liée à l’existence d’une maladie grave et incurable et au fait, pour le patient, d’éprouver des souffrances qu’il juge lui-même insupportables.
En pratique, cet élargissement signifie qu’une personne physiquement handicapée ou atteinte d’une maladie chronique est désormais éligible à l’euthanasie. En cela, la loi canadienne s’apparente de facto à un régime de mort sur demande pour toute personne malade, et à laquelle le corps médical est tenu de répondre.
La nouvelle loi exclut temporairement l’hypothèse de la maladie mentale, qui, à elle seule, « n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap » ouvrant l’accès à l’euthanasie. Cette perspective n’est toutefois pas définitivement exclue, dans la mesure où elle fera l’objet d’un examen indépendant dans les semaines qui viennent. Un tel élargissement de la loi aux personnes atteintes d’une maladie mentale est, quoi qu’il en soit, d’ores et déjà prévu pour 2023.
Possibilité d’euthanasier la personne le jour de sa demande
En deuxième lieu, la nouvelle loi prévoit la suppression du délai de 10 jours entre la demande d’euthanasie et l’injection létale, dans le cas où la mort naturelle est raisonnablement prévisible. En pratique, comme le souligne le collectif de 888 médecins opposés au projet de loi, « une personne dont la mort naturelle est considérée comme ‘raisonnablement prévisible’ pourrait être diagnostiquée, évaluée et euthanasiée en un seul jour » : en d’autres termes, « votre pire journée pourrait être votre dernière journée ».
Euthanasie sur les patients inconscients ayant préalablement demandé l’euthanasie
Troisièmement, la loi prévoit désormais la possibilité d’effectuer l’euthanasie sur un patient ne pouvant exprimer son consentement final (par exemple s’il est inconscient) et dont la mort est raisonnablement prévisible, dans le cas où le patient a fait une déclaration anticipée en ce sens, ou lorsque l’injection létale qu’il s’est lui-même administrée a échoué.
Des experts de l’ONU alertent sur les dérives
Ce glissement rapide et substantiel des conditions d’accès à l’euthanasie apparaît en décalage avec les exigences d’accompagnement des personnes handicapées et des malades chroniques, tant du point de vue physique que psychique. Comme le rappelaient récemment trois experts des Nations Unies, un tel élargissement de l’euthanasie conduit à ce que les personnes âgées et/ou handicapées se sentent mises sous pression pour mettre fin à leur vie prématurément.
Enfin, le législateur canadien envisage déjà cette réforme comme l’amorce possible d’un élargissement encore plus conséquent de la loi : l’évaluation parlementaire de la législation sur l’euthanasie qui s’ouvrira dans les prochains jours comprendra en effet une discussion sur « l’admissibilité des mineurs matures, les demandes anticipées, la maladie mentale, les soins palliatifs et la protection des Canadiens handicapés ».
L’urgence d’un accompagnement renforcé des plus fragiles
Dans leur communiqué publié ce 19 mars, le mouvement citoyen Vivre dans la Dignité et le collectif des médecins contre l’euthanasie insistent à cet égard sur le fait que, face à l’idée de l’euthanasie faussement vue comme « soin de fin de vie », il convient plutôt de « travailler à promouvoir des soins adaptés à tous les types de souffrances », en améliorant « les soins de santé mentale, le soutien des personnes en situation de handicap (emploi, logement, etc.), le soutien des personnes atteintes de maladies chroniques, peu importe leur âge, les soins et le maintien à domicile et l’appui aux proches aidants ».