En seconde lecture, le Sénat a réécrit en profondeur le texte de loi bioéthique. Les sénateurs ont rejeté plusieurs mesures qui divisent les Français.
- Le rejet de l’article 1 qui ouvrirait la PMA hors indication médicale aux femmes seules ou à deux révèle combien cette pratique n’est pas consensuelle. Injuste et discriminante pour les enfants, cette disposition conduit à un « droit à l’enfant » quitte à le priver de père voire de toute origine avec le double don de gamètes.
- Le maintien de l’interdiction de la création de chimères homme-animal et d’embryons transgéniques est aussi le signe que des lignes rouges ne doivent pas être franchies impunément : le respect de l’intégrité de l’espèce humaine est une partie intégrante de l’écologie humaine.
- Le critère flou de « détresse psychosociale » permettant des avortements jusqu’à la naissance a été retiré : il avait choqué des personnalités de tous bords par sa violence qui s’apparente à l’infanticide.
Les mesures contradictoires adoptées entre le Sénat et l’Assemblée nationale au fil des examens du projet de loi sont le reflet de profondes controverses et injustices de ce texte, loin du consensus initialement promis par le Président de la République.
Les sénateurs ont privilégié une démarche législative d’avant-garde par une approche bioéthique qui prend en compte les enjeux écologiques, environnementaux et humains, grands absents du texte proposé par le gouvernement.
Cependant, le texte issu du Sénat demeure problématique et incohérent sur plusieurs points.
Principales mesures adoptées
I – Le Sénat rejette l’extension de la PMA et l’autoconservation ovocytaire (articles 1,2,3,4)
1) Le rejet du droit à l’enfant (articles 1 et 2)
Dans cette 2e lecture, le Sénat a choisi de privilégier les droits de l’enfant plutôt que le droit à l’enfant. Parmi les principes fondateurs du projet de loi, le Sénat a adopté une disposition selon laquelle « il n’existe pas de droit à l’enfant ».
Puis, le Sénat a rejeté l’article 1 qui ouvrait l’accès à l’AMP « aux couples de femmes ou à toute femme non mariée », avec une prise en charge par la Sécurité sociale. Le rejet de cet article est intervenu alors qu’un amendement qui aurait autorisé la PMA post mortem avait été adopté par inadvertance.
L’article 2, qui prévoyait l’autoconservation ovocytaire pour les femmes sans raison médicale, est également supprimé.
Par ailleurs, le Sénat a choisi de supprimer comme en première lecture l’article 2bis, qui instaurait un plan national de lutte contre l’infertilité englobant la prévention et la recherche sur les causes d’infertilité, arguant que cette disposition de nature réglementaire ne relève pas du législateur. Un amendement demandant un rapport sur la question a été rejeté alors que cette disposition aurait eu l’intérêt d’orienter vers une politique volontariste de prévention de l’infertilité et de recherche de restauration de la fertilité, délaissée actuellement.
2) Une révision confuse des articles 3 et 4
- L’article 3 revient sur la levée de l’anonymat pour les donneurs de gamètes. Le texte de loi initial, et tel qu’il a été voté en 2e lecture à l’Assemblé nationale, prévoyait que le donneur devait consentir à lever son identité à la majorité de l’enfant s’il en a fait la demande. Comme il l’avait fait en 1e lecture, le Sénat revient sur cette disposition pour soumettre la levée de l’anonymat à la bonne volonté du donneur, qui peut accepter ou refuser l’accès à son identité au moment où l’enfant en fait la demande. Cette modification majeure vide en partie l’effectivité de la levée de l’anonymat. Cela constitue une véritable bombe à retardement au détriment des enfants et une terrible hypocrisie.
- De façon incohérente avec la suppression de l’article 1, l’article 4 a été examiné. Il établit les règles de la filiation dans le cadre de PMA réalisées par des couples de femmes. Comme en première lecture, le Sénat a réécrit cet article qui prévoyait, dans la version adoptée de nouveau par l’Assemblée nationale en 2e lecture, l’établissement d’une filiation par reconnaissance anticipée de deux « femmes ». Dans la version du Sénat, l’établissement de deux filiations maternelles ou paternelles à l’égard du même enfant est rendu impossible. Une distinction est opérée entre la femme qui accouche (automatiquement considérée comme mère de l’enfant) et l’autre femme (qui doit adopter l’enfant). Néanmoins, dans cet article, le Sénat a choisi en même temps d’ouvrir l’adoption à des couples pacsés ou en concubinage, alors que jusqu’à présent l’adoption était réservée aux couples mariés, sans aucun débat et étude d’impact. La procédure d’adoption serait accélérée pour le deuxième conjoint.
- Comme en première lecture, le Sénat a interdit dans l’article 4 bis la retranscription à l’état civil français des enfants nés de GPA à l’étranger mais autorise toutefois la retranscription des jugements d’adoption, sans mention de l’injustice que constitue cette pratique. Pour rappel, une jurisprudence de la Cour de cassation avait récemment autorisé la retranscription automatique de ces actes de naissance, alors que la GPA constitue une fraude à la loi.
II – Instrumentalisation croissante de l’embryon humain (articles 14, 15, 16, 17)
1) Des mesures subsistent dans le sens de la dérégulation de la recherche sur l’embryon humain
Cette nouvelle version des articles 14 à 17, adoptée par le Sénat, a laissé des dispositions pour assouplir la recherche sur l’embryon humain :
- Le texte maintient un délai de 14 jours pour la recherche sur l’embryon, tel qu’il a été voté en 2e lecture à l’Assemblée nationale. Jusque-là, le délai de 7 jours avait été retenu : cette instrumentalisation accrue de l’embryon risque d’induire de nouvelles formes d’exploitation de l’embryon humain à des fins commerciales.
- Le texte crée un régime plus souple pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, par rapport au régime de recherche sur l’embryon. Cette recherche est soumise à une simple déclaration à l’Agence de biomédecine, contre une demande d’autorisation pour un protocole de recherche sur l’embryon.
- Le texte autorise la création de gamètes artificiels à partir de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches reprogrammées (IPS). Ces protocoles doivent être déclarés auprès de l’Agence de biomédecine. Toutefois, le texte précise que les gamètes obtenus à partir de cellules souches embryonnaires ne peuvent être fécondés.
2) Le Sénat réintroduit des garde-fous pour le respect de l’intégrité humaine
Le Sénat est revenu sur plusieurs mesures qui menaçaient l’intégrité de l’espèce humaine :
- Dans les articles 14 et 15, le Sénat a supprimé les dispositions votées par l’Assemblée nationale qui autorisaient la création d’embryons chimères par insertion de cellules souches embryonnaires humaines ou de cellules souches pluripotentes induites (IPS) dans des embryons d’animaux.
- Dans l’article 17, comme en 1e lecture, le Sénat précise clairement l’interdiction de créer des embryons chimériques en donnant la définition explicite des pratiques. Par ailleurs, toute intervention ayant pour objet de modifier le génome d’un embryon humain est interdite.La création d’embryons pour la recherche est interdite. Toutefois, le Sénat a conservé un amendement précisant que cette interdiction concerne les embryons conçus « par fusion de gamètes », laissant un flou sur la création d’embryons par d’autres procédés.
III – Intensification de la sélection prénatale : le Sénat rejette les mesures polémiques (articles 19, 20,21)
1) Le Sénat a rejeté les mesures les plus polémiques du texte
Introduite en pleine nuit à la sauvette par l’Assemblée nationale en 2e lecture, la clause de détresse psychosociale pour l’accès à l’IMG a été retirée du texte par le Sénat dès le passage en commission (article 20). Il s’agissait d’une interprétation détournée du motif originel disposant que « la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ».
Le Sénat n’a pas réintroduit le DPI-A (le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies, c’est-à-dire la recherches d’anomalies chromosomiques sur des embryons issus de Fécondation in vitro, dont la trisomie). Celui-ci avait été autorisé par la Commission du Sénat en première lecture, puis finalement rejeté (article 19ter). S’il avait été autorisé, cela aurait abouti à multiplier le recours à la pratique du DPI (alors qu’aujourd’hui moins de 200 enfants naissent chaque année après DPI) et à accroître l’eugénisme : la sélection d’embryons s’élargirait à des critères non héréditaires, et donc imprévisibles, une porte ouverte vers de nombreux autres tris.
2) Le Sénat n’est pas revenu sur plusieurs mesures qui renforcent la sélection prénatale.
Si cette nouvelle version du texte évite certaines dérives eugénistes, le Sénat n’a pas souhaité retirer d’autres mesures qui vont dans le sens de l’aggravation de la sélection prénatale.
- Le Sénat n’est pas revenu sur l’aggravation de la technique dite du bébé médicament, réintroduite par l’Assemblée nationale en 2e lecture (art. 19 bis A). Autorisée depuis 2004, cette technique, que l’on appelle aussi DPI-HLA, consiste à effectuer une double sélection d’embryons obtenus par fécondation in vitro : d’une part, pour sélectionner les embryons indemnes de la maladie d’un membre d’une fratrie et, d’autre part, pour choisir parmi ceux-ci les embryons génétiquement compatibles avec lui, afin notamment de greffer les cellules souches de cordon ombilical prélevées sur le nouveau-né à son aîné malade. L’Assemblée nationale, en 2e lecture, a réintroduit et élargi le recours à cette technique, en autorisant plusieurs tentatives de fécondation in vitro et de tris d’embryons si un embryon HLA compatible n’a pas pu être sélectionné.
- L’article 20 supprime la proposition d’un délai d’une semaine de réflexion pour avoir recours à l’IMG. Le Sénat a rejeté plusieurs amendements qui proposaient de réintégrer cette proposition de délai de réflexion dans la loi.
Conclusion
A l’issue des deux lectures dans chaque assemblée, on constate clairement deux approches différentes. La sagesse recommanderait de ne pas aller plus loin et de surseoir à ce texte.
Le gouvernement doit l’entendre plutôt que de promouvoir un texte qui fracture la société.