Le Ministre de la Justice et procureur général du Canada vient de déposer un projet de loi, le 6 octobre 2020, pour modifier la loi sur l’euthanasie et le suicide assisté dite « loi sur l’aide médicale à mourir AMM », en retirant le critère de fin de vie pour recourir à l’euthanasie.
Une telle disposition ferait du Canada le pays le plus permissif en matière d’euthanasie, mettant en grand risque les personnes en situation de fragilité.
Ce projet de loi, sous le nom de « projet de loi C-7 » avait déjà été déposé en février dernier, juste avant les élections fédérales et l’élection d’un nouveau parlement. C’est donc la même loi, redéposée en termes identiques, qui est actuellement en examen.
Les lois qui dépénalisent l’euthanasie au Québec (2015) et au niveau fédéral (2016) à tout le Canada sont particulièrement transgressives. Cependant, un an après leur mise en application, les premières demandes d’élargissement de la loi font surface par l’intermédiaire d’un certain nombre de cas emblématiques.
C’est ainsi que ce projet de loi répond à une adaptation du jugement de la cour supérieure du Québec le 11 septembre 2019 dans l’affaire Truchon c. Procureur général du Canada. « M. Jean Truchon et Mme Nicole Gladu, deux adultes aptes souffrant de handicaps majeurs irréversibles et éprouvant des souffrances intolérables ne compromettant toutefois pas leur espérance de vie, ont introduit en 2017 une demande judiciaire pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité des critères restrictifs fédéral et provincial. Les demandeurs prétendaient donc que la Loi fédérale et la Loi québécoise portaient atteinte à leur droit à la vie, la liberté et la sécurité prévu à l’article 7 de la Charte, ainsi qu’à leur droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte. »
Dans son jugement, la Cour suprême a statué que le critère « en fin de vie » de la loi ouvrant à l’euthanasie au Québec était inconstitutionnel. Elle intimait de modifier le Code Criminel en supprimant le critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible » dans un délai de 6 mois. Ce délai a finalement été prorogé à deux reprises et prend fin le 18 décembre 2020.
Le gouvernement fédéral aurait pu faire appel de cette décision et éviter le risque d’aboutir à une loi qui remet dangereusement en cause le droit des plus fragiles. C’est ce que dénonçaient 71 associations de défense des personnes handicapées et de la dignité humaine après ce jugement, réclamant au procureur général du Canada un pourvoi au nom du droit des personnes handicapées.
Ignorant ces alertes, le gouvernement fédéral propose une loi comportant une série de mesures qui attentent gravement aux droits des personnes handicapées.
Les conditions d’accès à l’euthanasie et au suicide assisté varieraient selon que le décès du demandeur est raisonnablement prévisible ou pas. Dans les deux cas, la demande d’ « aide médicale à mourir » doit être écrite et signée devant un seul témoin (et non deux selon la loi actuelle), et la situation médicale du demandeur évaluée par deux médecins ou infirmiers. Le projet de loi supprime l’exigence d’un délai de 10 jours entre la demande et la pratique de l’euthanasie ou suicide assisté en cas de mort naturelle prévisible, si bien que la mort pourrait intervenir en suivant l’expression de la demande. Si la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, la personne doit être informée des moyens disponibles pour soulager sa souffrance, et « l’évaluation de l’admissibilité doit prendre au moins 90 jours, à moins que les évaluations aient été effectuées et que la perte de capacité soit imminente ».
D’autre part, cette loi prévoit de renoncer au consentement final, pour les personnes qui risquent de perdre leur capacité de prise de décision avant la date choisie pour recevoir l’AMM. « Le projet de loi rendrait également invalide cette renonciation au consentement final si la personne, après avoir perdu sa capacité de prise de décision, démontre un refus ou une résistance à l’administration de l’AMM. Les réflexes et autres types de mouvements involontaires, comme la réaction au toucher ou l’insertion d’une aiguille, ne constitueront pas un refus ou une résistance. » Ce renoncement serait également appliqué aux personnes qui procèdent à un suicide assisté et dont la procédure échoue, permettant ainsi à un médecin de poursuivre sans son consentement à une euthanasie.
Le 10 novembre 2020, l’association Vivre dans la Dignité a partagé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne (JUST) un mémoire. Cette association, experte sur les questions de fin de vie, analyse les conditions (mesures de sauvegarde) dont le projet de loi propose la suppression ou la modification pour les personnes en fin de vie et les risques de l’introduction de l’ « aide médicale à mourir » pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie. Elle livre ses principales recommandations: rien n’oblige le gouvernement à modifier les mesures de sauvegarde pour les personnes en fin de vie; ne pas ouvrir l’accès de l’AMM aux personnes qui ne sont pas en fin de vie.
Dans une lettre ouverte publiée le 9 octobre, le réseau citoyen Vivre dans la Dignité déplorait la reprise des débats alors qu’« Une pandémie mondiale sépare février d’octobre 2020. Au cours des derniers mois, nous avons vécu une prise de conscience collective sur l’importance de protéger les personnes les plus vulnérables. Alors que la détresse psychologique semble en augmentation partout au pays, nous nous apprêtons à ouvrir l’accès à l’euthanasie à des personnes malades ou vivant avec un handicap grave et incurable. » Ce mouvement citoyen appelle les élus fédéraux à profondément amender cette loi dont la date limite de dépôt était fixée au 19 novembre 2020.