Examiné à la sauvette par les députés à l’extrême fin de la session extraordinaire de juillet, en temps programmé réduit à 25 heures, le texte de la loi bioéthique issu de la seconde lecture, voté à main levée dans la nuit du 1er août, par moins de 20% des députés (60 voix contre 37 et 4 abstentions) aboutit à une complète rupture éthique.
Depuis le début de son examen, cette loi remet gravement en cause les droits des plus fragiles de notre société, en ignorant des principes fondamentaux d’écologie humaine, alors que le texte engage les générations futures et l’orientation de la recherche. La majorité présidentielle a fait prévaloir l’intérêt d’adultes au détriment des droits de l’enfant, et s’est obstinée à intensifier la manipulation du vivant, sans aucun principe de précaution.
La seconde lecture en séance valide les dispositions votées par la commission spéciale le 3 juillet dernier, à quelques exceptions près concernant des mesures fortement contestées : le DPI-A et la Réception de l’ovocyte de la partenaire (ROPA) ont été rejetés.
2 500 amendements ont été déposés sur le nouveau texte issu de la commission. Les députés de la commission ont complètement « détricoté » le texte révisé par les sénateurs en 1ère lecture. Ils ont rétabli quasi intégralement la première version votée par l’Assemblée nationale le 15 octobre 2019, tout en introduisant de nouvelles transgressions majeures, contraires à la position du gouvernement qui a été le grand absent des arbitrages en commission spéciale.
Alors que la crise sanitaire a fait prendre conscience que l’humanité est autant à protéger que la nature, le franchissement de lignes rouges est confirmé par cette seconde lecture, mettant en danger l’intégrité même de l’espèce humaine avec la création de chimères homme/animal et d’embryons humains génétiquement modifiés.
D’autre part, le vote en pleine nuit du 1er août, par surprise, d’un amendement sur les conditions d’interruption médicale de grossesse pour « détresse psychosociale » fait exploser l’encadrement de l’avortement en France. Cette disposition soulève de nombreuses critiques.
Principales mesures adoptées
I – Surenchère pour une procréation toujours plus artificielle (articles 1,2,3,4) :
Au total, ce texte aboutit à une technicisation accrue de la procréation, au détriment de la lutte contre l’infertilité. En première lecture, l’Assemblée nationale avait voté l’article 2bis, qui instaurait un plan de lutte contre l’infertilité englobant la prévention et la recherche sur les causes d’infertilité, notamment comportementales et environnementales. Le Sénat l’avait supprimé, mais la commission spéciale l’a réintroduit et les députés ont confirmé cette mesure en séance.
Alliance VITA, activement mobilisée sur les enjeux actuels de l’infertilité, a émis une série de propositions, issues de son expérience de terrain d’accompagnement des femmes et des couples.
1) Droit à l’enfant versus droits de l’enfant
De manière très controversée, la commission spéciale de l’Assemblée nationale a supprimé une mesure particulièrement protectrice des droits de l’enfant, introduite par le Sénat, qui affirmait que « nul n’a de droit à l’enfant ». Au contraire, l’Assistance médicale à la procréation (AMP) est définie comme « destinée à répondre à un « projet parental » (art. 1).
Sur le fond, cette définition a une forte importance symbolique puisqu’elle fait clairement sortir l’AMP de la technique thérapeutique pour la faire rentrer dans le champ du « droit à » basé sur la « volonté » individuelle.
En séance, les députés ont refusé à nouveau d’inscrire dans le marbre l’interdiction d’un droit à l’enfant et maintenu l’écriture de la commission spéciale.
Par contre, la méthode dite ROPA (Réception de l’ovocyte du partenaire), adoptée par la commission spéciale contre l’avis du gouvernement, a été rejetée par les députés en séance.
Il s’agit d’un don dirigé d’une femme à une autre femme. Cette pratique escamote non seulement le père, réduit à un don de sperme, mais éclate aussi la maternité entre deux femmes : la donneuse d’ovocytes et la gestatrice, pour que deux femmes puissent revendiquer être « mères » du même enfant. Le gouvernement s’était opposé, en première lecture, à cette pratique qui est en incohérence avec la loi actuelle et contredit aussi ce même projet de loi. L’article 4 dispose que « En cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation ». Brillant par son absence durant l’examen en commission, le ministre de la Santé, Olivier Véran, présent cette fois en séance, a donné un avis défavorable. Cette disposition a donc été supprimée du texte.
2) Cinq mesures supprimées par le Sénat ont été réintroduites
Ont donc été votés en seconde lecture :
- L’abandon du critère de l’infertilité pour l’accès à l’AMP, ouvrant l’accès à cette technique aux couples formés d’un homme et d’une femme, de deux femmes, ou toute femme non mariée, ainsi que leur prise en charge par la Sécurité sociale. C’est une mesure que le Sénat avait modifié en limitant le remboursement par l’assurance maladie aux couples homme-femme infertiles.
- L’auto-conservation ovocytaire, sans raison médicale, pour « procréer plus tard par FIV ».
- Le double don de gamètes (spermatozoïdes et ovocytes issus de donneurs) pour concevoir in vitro un embryon.
- La levée de l’anonymat pour les donneurs de gamètes. Les députés ont rétabli la levée réelle de l’anonymat à la demande de l’enfant à sa majorité. Le Sénat avait remis cela en cause, pour faire primer la volonté du donneur qui pourrait décider, ou non, de divulguer son identité au moment où l’enfant en ferait la demande, ce qui vidait la levée de l’anonymat de son effectivité.
- Le bouleversement des règles de la filiation, qui implique que deux femmes peuvent être reconnues « mères » de l’enfant. Une légère nuance a été apportée par rapport à la première version adoptée par les députés en première lecture pour tenir compte de la forte réprobation induite par le fait de ne plus reconnaître comme mère celle qui a accouché. Le texte prévoit donc que la femme qui a accouché soit reconnue de facto mère quand la seconde le serait, par reconnaissance anticipée, devant notaire, de l’enfant faite par les deux femmes au moment du consentement à l’AMP. Cependant, les règles de la filiation demeurent profondément bouleversées. Pourtant, les sénateurs avaient tenté d’atténuer cette disposition, en prévoyant que l’autre femme, celle qui n’a pas accouché, doive procéder à l’adoption de l’enfant.
D’autre part, concernant la Gestation par Autrui (GPA), le Sénat avait introduit des mesures, pour éviter les fraudes à la loi dans la retranscription d’actes de naissance d’enfants nés à l’étranger. La commission parlementaire est revenue sur ces mesures, en s’en tenant à la jurisprudence actuelle. Alors qu’il existe un consensus transpartisan pour interdire la GPA, l’urgence est que la France s’engage à agir pour son abolition au niveau international.
Un pas vers le business de la procréation :
En séance, les députés ont voté également la possibilité, sous couvert de « dérogation », d’organiser la collecte et la conservation des gamètes humains par des établissements à but lucratif, si aucun établissement de santé public ou privé à but non lucratif n’assure cette activité dans un département. C’est un véritable basculement pour la France qui a toujours fait du principe de non marchandisation de l’humain et des éléments de son corps, un principe éthique fondamental.
II – Vers une instrumentalisation croissante de l’embryon humain (articles 14, 15, 16, 17)
Ce projet de loi dérégule le régime encadrant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh). Il prévoit que la recherche utilisant les CSEh passe d’un régime de demande d’autorisation à celui de simple déclaration.
Tout est fait pour faciliter le travail administratif de quelques chercheurs. On banalise l’instrumentalisation de cellules qui ne sont en rien des cellules comme les autres, et dont le prélèvement conduit à supprimer un embryon. Cette banalisation de l’utilisation des cellules embryonnaires humaines (CSEh), est d’autant plus contestable qu’elles sont susceptibles d’être utilisées dans le cadre de nouvelles recherches transgressives : gamètes artificiels, chimères. Par ailleurs, est supprimée l’exigence d’une absence de recherche alternative. Ce projet de loi ouvre aussi à l’encadrement de la recherche sur les cellules souches adultes reprogrammées (IPS), les soumettant, comme les CSEh, à simple déclaration.
1) Trois lignes rouges sont franchies
- “Cultiver” l’embryon jusqu’à 14 jours : la commission est revenue au délai de 14 jours alors que le Sénat avait voté une dérogation pour une recherche jusqu’à 21 jours, un stade de développement très avancé, notamment concernant la mise en place du système nerveux. Jusque-là, le délai de 7 jours avait été retenu : cette instrumentalisation accrue de l’embryon risque d’induire de nouvelles formes d’exploitation de l’embryon humain à des fins commerciales.
- Créer des gamètes artificiels : les députés, comme les sénateurs, ont validé ces manipulations à haut risque à partir de cellules souches embryonnaires, mais aussi à partir de cellules IPS, aboutissant à créer des gamètes à partir de cellules somatiques. La commission spéciale de l’Assemblée a supprimé un garde-fou introduit par le Sénat qui consistait à interdire que ces gamètes soient fécondés, invoquant que c’était redondant avec l’interdiction de créer des embryons pour la recherche. Aujourd’hui limitée à la recherche, la création de gamètes artificiels ouvre dans le futur à des possibilités de bricolages procréatifs insensés, même s’il demeure interdit de créer des embryons pour la recherche à partir de ces gamètes.
- Créer des embryons transgéniques et des embryons chimères : ces expérimentations rejetées par le Sénat ont été réintroduites dans le texte par la commission spéciale. Autoriser la modification génétique des embryons humains (art. 17) ouvre à la tentation de passer ensuite à des essais visant à faire naître des enfants génétiquement modifiés. Avec la possibilité d’expérimenter la création d’embryons animaux dans lesquels seraient intégrées des cellules humaines, qu’elles soient embryonnaires (art. 14) ou adultes reprogrammées, IPS, (art. 15), on brise symboliquement la frontière homme-animal. C’est une rupture anthropologique majeure.
Le texte demeure inchangé sur les recherches menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Elles peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon conçu in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation.
III – Intensification de la sélection prénatale : articles 19, 20, 21
Le texte revu par la commission a confirmé plusieurs mesures prévues dans le texte initial qui intensifient la pression vers toujours plus de sélection prénatale, validées ensuite en séance :
- suppression de la proposition d’un délai de réflexion d’une semaine pour avoir recours à une IMG ;
- alignement de la clause de conscience des médecins concernant l’IMG à celle de l’IVG qui oblige à référer la patiente à un autre médecin ;
- délégation de la révision des critères du DPN à des autorités administratives sans contrôle du législateur ;
- modification des pratiques du diagnostic prénatal. Avec la possibilité de modifier, « au fil des nouvelles découvertes en génétique », les pratiques du diagnostic prénatal, on s’oriente vers une intensification du passage au crible prénatal. Nos mentalités et notre société risquent de se fermer de plus en plus à l’accueil de la vulnérabilité, qui est aussi le consentement au réel.
La commission spéciale avait voté l’autorisation de deux pratiques à forte portée eugénique : le DPI-A et le renforcement du bébé médicament. Objet de longs débats en séance et d’une forte protestation de parents d’enfants atteints de trisomie, le DPI-A a finalement été rejeté. Par contre la technique du bébé médicament a été votée et même aggravée.
- Rejet en séance de l’extension du DPI (art 19 bis).
Le DPI-A est l’élargissement du diagnostic préimplantatoire (DPI) à la recherche d’aneuploïdie (anomalies sur le nombre des chromosomes) dont la trisomie, sur les embryons conçus in vitro. Ce tri des embryons serait ouvert, à titre expérimental, pour 3 ans. Le gouvernement s’y était fermement opposé en première lecture lorsque Madame Buzyn était ministre de la Santé. Cette question est centrale, puisque cela aboutirait à multiplier le recours à cette pratique (moins de 200 enfants naissent chaque année après DPI) et à accroître l’eugénisme : la sélection d’embryons s’élargirait à des critères non héréditaires, et donc imprévisibles, une porte ouverte vers de nombreux autres tris. - Renforcement de la technique dite du bébé médicament (art. 19 bis A). Le bébé médicament, que l’on appelle aussi DPI-HLA, a été autorisé, à titre expérimental, en 2004. Cette pratique consiste à effectuer une double sélection d’embryons obtenus par fécondation in vitro : d’une part, pour sélectionner les embryons indemnes de la maladie d’un membre d’une fratrie et, d’autre part, pour choisir parmi ceux-ci les embryons génétiquement compatibles avec lui, afin notamment de greffer les cellules souches de cordon ombilical prélevées sur le nouveau-né à son aîné malade. La constitution de stocks de cellules de sang de cordon, offrant une grande variété de typage, décidée lors de la dernière loi de bioéthique, avait comme objectif notamment d’éviter cette pratique. Hautement controversée au niveau de l’éthique, elle n’est plus pratiquée depuis 2014, raison pour laquelle les députés avaient adopté sa suppression en première lecture. Le Sénat l’a réintroduite en première lecture et la commission spéciale l’aggrave, en autorisant plusieurs tentatives de fécondation in vitro et de tris d’embryons si un embryon HLA compatible n’a pas pu être sélectionné.
- Adoption par surprise de l’IMG pour « détresse psychosociale »
Le vote, sans annonce préalable, ni étude d’impact, du critère de « détresse psychosociale » pour avoir recours à une interruption médicale de grossesse (IMG) aboutit à faire exploser l’encadrement de l’avortement en France, sachant que, depuis la loi de 1975, l’IMG est possible sans délai autorisant d’avorter jusqu’au dernier jour de grossesse. Donc concrètement, il serait possible si cette mesure était conservée d’avorter jusqu’au terme de la grossesse d’un fœtus sain. Il s’agit d’une interprétation détournée du motif originel disposant que « la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ». Cette disposition, votée contre l’avis du rapporteur, véritable cavalier législatif, n’a pas sa place dans le texte.
Conclusion
Le texte de la loi peut encore être modifié par les sénateurs en seconde lecture. Cet examen pourrait intervenir en janvier 2021 – éventuellement dès octobre 2020.
Les deux assemblées ont refusé les amendements demandant d’inscrire un principe de précaution dans la loi, alors que ce même principe a aujourd’hui valeur constitutionnelle quand il s’agit de l’environnement. L’argumentation de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, devant le Sénat en février dernier était révélatrice :
« le principe de précaution est à la fois un système d’évaluation et la mise en place de mesures proportionnées et provisoires en cas d’atteinte grave et irréversible. Or, en matière de bioéthique, je pense que si nous nous interrogions à l’infini sur ce qui est une atteinte grave et irréversible, nous aurions ici une difficulté. »
C’est justement ce qui mobilise tous ceux qui alertent sur ce texte et c’est aussi ce qui justifie notre opposition.
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