Midazolam et fin de vie à domicile : sortir de la confusion
L’annonce de la disponibilité prochaine du Midazolam dans les pharmacies de ville en même temps que la publication par la Haute autorité de santé (HAS) d’une mise à jour de la pratique de la sédation profonde et continue jusqu’au décès induit une grave confusion sur les indications de ce produit et sur l’accompagnement des personnes en fin de vie à domicile.
La démarche de la HAS
Elle s’inscrit dans la continuité du travail entrepris à la suite du vote de la loi Claeys Leonetti de 2016, pour préciser l’encadrement des stratégies de prise en charge de la douleur, dont la pratique exceptionnelle de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Ce travail a abouti à la publication en 2018 du guide parcours de soins « Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? », proposant des outils pour aider à la décision et à la mise en œuvre de cette sédation.
Le texte vient d’être mis à jour pour préciser les modalités d’utilisation des médicaments, y compris hors AMM*, pour accompagner les patients en fin de vie par une sédation, et « qu’elle soit proportionnée, profonde, transitoire ou maintenue jusqu’au décès ».
En réalité la HAS décrit donc les médicaments de la sédation et leurs modalités d’utilisation et élabore des recommandations sur l’« antalgie des douleurs rebelles et [les] pratiques sédatives chez l’adulte : prise en charge médicamenteuse en situations palliatives jusqu’en fin de vie » du fait qu’aucune molécule n’a actuellement d’AMM dans ces indications de pratiques sédatives.
Le Midazolam, actuellement disponible uniquement en milieu hospitalier, est le médicament recommandé en première intention pour la sédation.
Dans son communiqué du 10 février 2020, la HAS demande aux pouvoirs publics, sur la base de ces recommandations, de permettre la dispensation effective de ces médicaments aux médecins généralistes libéraux qui prennent en charge des patients en fin de vie à leur domicile.
*L’AMM (Autorisation de mise sur le marché) concerne les caractéristiques attribuées à un médicament et à son utilisation. Elle est accompagnée : du Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) et de la notice pour le patient.
Qu’est-ce que le Midazolam ?
Le Midazolam, plus connu sous l’ancien nom commercial d’Hypnovel® est la seule benzodiazépine actuellement sur le marché avec un temps d’action extrêmement court. Les benzodiazépines sont des molécules utilisées en psychiatrie, contre l’anxiété essentiellement, en neurologie pour le traitement des épilepsies, en anesthésie-réanimation pour la sédation, en addictologie pour aider au sevrage de l’alcool…
Dans cette classe des benzodiazépines, les molécules comme le Lexomil®, Xanax®, Valium®, Rivotril®… sont bien connues. Une des problématiques de ces molécules est leur durée d’élimination avec des demi-vies qui peuvent aller jusqu’à presque 7 voire 10 jours. L’intérêt du midazolam est d’être éliminé rapidement avec une demi-vie de l’ordre de deux heures, ce qui évite des risque d’accumulation et est un atout essentiel dans l’équilibre des traitements, particulièrement chez les sujets âgés, ou chez tout sujet présentant des décompensations organiques (cardiaques, respiratoires, hépathiques, rhénales…) que l’on peut voir en fin de vie. Il est donc pertinent d’utiliser le Midazolam.
Cela a même pu être recommandé, en fin de vie ou non, dans le cadre de réalisation de soins anxiogènes ou simplement pour lutter contre une anxiété souvent présente. Sur un plan pharmacologique, il est donc nécessaire de donner aux médecins généralistes l’accès au Midazolam. Cette molécule existait d’ailleurs en vente en officine sous la forme du Versed® jusqu’au 30 avril 2013.
L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) recommande le Midazolam hors AMM en cas de réalisation de soins douloureux en complément d’un traitement antalgique, en raison de l’anxiolyse qu’il entraîne et de son effet amnésiant (accord professionnel).
Actuellement ce produit a reçu une AMM dans un contexte d’anesthésie. Le ministère de la santé a annoncé modifier l’AMM du Midazolam pour intégrer la sédation, ce qui provoque un amalgame entre ce produit et la sédation profonde et continue jusqu’au décès.
La sédation profonde et continue jusqu’au décès, une pratique exceptionnelle
La « sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès » est un traitement très exceptionnel qui était pratiqué par les professionnels, avant le vote de la loi fin de vie de 2016, en cas de souffrances réfractaires intolérables ne pouvant être soulagées par aucun autre moyen et lorsque le pronostic vital était engagé à court terme. Dans son principe, la sédation conduit à altérer la conscience du patient et le coupe de toute relation.
Les doses de sédatifs peuvent être proportionnelles à l’intensité des symptômes et réversibles. Les professionnels privilégient au maximum l’utilisation d’analgésiques permettant aux patients de garder leur conscience. A l’inverse, endormir un patient dont on sait qu’il ne se réveillera pas est difficile à vivre pour les proches comme pour les soignants. Le texte de la HAS, le précise très justement et prévoit un accompagnement spécifique des différents acteurs pour que ces situations, qui doivent demeurer exceptionnelles, ne soient pas banalisées.
La loi a prévu que le patient puisse avoir l’initiative de la demande de sédation. Couplée à l’arrêt ou la limitation de traitements ou de soins, dont la nutrition et l’hydratation, cette pratique comporte des risques de dérives euthanasiques dans son application. Alliance VITA les a dénoncées lors des débats sur la révision de la loi avec le mouvement Soulager mais pas tuer dont elle fait partie et qui rassemble également des professionnels de santé. Si les recommandations de la HAS tentent de lever les ambiguïtés, certaines persistent.
Ce que dit la loi
A la suite des recommandations de la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 diligentée après l’affaire Chantal Sébire (2008), qui avait amené à une mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005, le code de déontologie avait été modifié et préconisait dans le §III de son article 37 : « (…), le médecin, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la personne (…). Il veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. »
Le principe du maintien d’une sédation et cet article du Code de déontologie n’étaient pas explicitement repris dans la loi du 22 avril 2005.
La loi du 2 février 2016 a introduit la notion de sédation profonde continue et maintenue jusqu’au décès dans des conditions très précises : à la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable.
L’obstination déraisonnable est définie par la loi : elle correspond à des actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins qui ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Deux ans après la promulgation de la loi, la HAS a publié en février 2018 un texte définissant les modalités de la sédation profonde continue maintenue jusqu’au décès.
Le temps nécessaire à la rédaction des recommandations de la HAS témoigne des difficultés d’appréciation des modalités concrètes d’une mise en oeuvre qui doit rester exceptionnelle et ne peut être banalisée.
D’où vient la confusion ?
1/ Dans sa lettre au Syndicat des Médecins Libéraux, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn assimile le Midazolam à la sédation profonde et continue. Cela risque d’occulter sa réelle utilité pour l’orienter vers une pratique « banalisée », alors que ce type de sédation doit rester exceptionnel.
Donner l’accès aujourd’hui au Midazolam après avoir voté la loi Claeys-Leonetti en février 2016 augmente le risque d’un glissement vers davantage d’euthanasies masquées.
2/ Par ailleurs, un médecin généraliste de Seine-Maritime a été accusé en décembre dernier par la justice d’avoir involontairement causé la mort de cinq personnes âgées en leur prescrivant du Midazolam, présenté comme un puissant sédatif réservé à un usage hospitalier.
Il s’était procuré illicitement ce produit auprès de sa femme, anesthésiste. La procédure étant en cours, il est difficile de se prononcer. Ce médecin a expliqué avoir utilisé ce produit anxiolytique pour soulager ses patients, pas pour les faire mourir : « En utilisant ce médicament, il ne s’agissait ni d’accélérer la mort, ni de prolonger inutilement le patient. Il s’agissait vraiment, au sens strict, d’un accompagnement qui permet au patient de rester chez lui et aussi à sa famille de pouvoir vivre le plus paisiblement possible ces moments qui sont toujours difficiles. »
La mise à disposition pour les médecins généralistes libéraux du Midazolam peut-elle entraîner une augmentation du nombre d’euthanasies masquées ?
Il ne devrait pas y avoir de relation de cause à effet. Sauf à réduire l’accompagnement de fin de vie à pratiquer une sédation jusqu’au décès. Grâce à la bonne utilisation de cette molécule, la qualité du soin devrait être améliorée. En l’occurrence, dans les cas de douleurs amplifiées par une anxiété majeure, l’emploi approprié du Midazolam peut permettre de réduire ce type de demandes « d’en finir », au demeurant très rares, souvent en lien avec une insuffisance de soins.
Le défi est davantage celui de la formation des médecins à l’utilisation de ce produit, des conditions d’une réelle collégialité en cas de son utilisation sédative. C’est le contexte de la loi Claeys-Leonetti qui entretient une certaine confusion.