Le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), Israël Nisand et plusieurs professionnels de santé ont lancé un appel « solennel », le vendredi 15 juin, pour alerter les pouvoirs publics sur la surexposition des enfants et des adolescents à la pornographie.
Un nombre croissant de professionnels de santé est sensible à ce problème. Ils réclament le respect de la loi qui interdit déjà la pornographie aux moins de 18 ans. Israël Nisand déplore aussi « Aujourd’hui, c’est le business qui prime. Les fournisseurs d’accès ne peuvent pas, sous prétexte de la liberté du Net, s’affranchir de la protection des mineurs. ».
L’accès aujourd’hui de plus en plus facile des jeunes aux images et aux films pornographiques gratuits s’est généralisé avec les smartphones et ce, loin de la surveillance des parents. Cette surexposition peut avoir lieu dès le primaire et parfois même de façon imposée quand un élève est forcé de regarder par un camarade ou quand une fenêtre s’affiche inopinément.
Concernant les jeunes enfants, un rapport du ministère de la culture et de la communication datant de 2002 soulignait que « La réception d’une image crue et brutale par le cerveau d’un enfant qui sent confusément que se nichent là des tabous a autant d’effet qu’un abus sexuel. » Pour le professeur Israël Nisand, « la pornographie donne cette fausse idée que la performance sexuelle se mesure. Les femmes y sont considérées comme des objets. Les garçons n’ont aucune notion de ce qu’est le consentement ». Cette grande disponibilité des images pornographiques n’est pas étrangère à l’augmentation des viols par mineurs sur mineurs peut-on lire dans le dossier de presse détaillé du CNGOF.
La gynécologue, Ghada Hatem, dénonce de son côté « Nous voyons beaucoup d’adolescentes qui ne connaissent pas leur corps, en situation d’emprise, à qui leurs petits amis font faire des choses avec lesquelles elles ne sont pas d’accord », relate-t-elle. Elle dénonce par ailleurs l’accès généralisé à ces films constaté lors des séances d’éducation à la sexualité qu’elle dirige en Seine-Saint-Denis. Pour elle, ces films sont devenus un modèle et une norme à respecter dans l’intimité des partenaires sexuels. Ghada Hatem s’appuie sur sa rencontre avec des jeunes filles à la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui est chargée de prendre en charge des victimes de violences.
Plusieurs études récentes montrent la consommation grandissante de la pornographie chez les jeunes : Une étude de l’IFOP commandée par l’OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Education Numérique) a été publiée le 20 mars 2017 ; elle concerne « la consommation de pornographie chez les adolescents et son influence sur les comportements sexuels » et les chiffres sont tout à fait alarmants. Un sondage Opinionway, publié en avril 2018, avait montré que 62% des jeunes adultes ont vu des images pornographiques avant 15 ans et parmi eux 11% avant 11 ans. Une enquête Ipsos, publiée le 8 juin 2018, par la Fondation pour l’innovation politique, a insisté sur ce fait. Elle a mis en lumière que 21% des jeunes de 14 à 24 ans interrogés regardaient du porno au moins une fois par semaine.
Le CNGOF réclame donc l’application de la loi sur la protection des mineurs avec des campagnes d’information et de sensibilisation pour les enfants, les adolescents et les parents, une généralisation des renseignements sur la sexualité en milieu scolaire. Le Professeur Nisand propose également de pénaliser les sites de diffusion en obligeant les consommateurs de ce type de film à donner leurs coordonnées de carte bancaire avant de les regarder, sous peine d’une lourde amende.
La question est de savoir si le courage politique sera au rendez-vous. Des annonces ont été faites par le gouvernement ces derniers mois. A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre dernier, le président Macron a dévoilé un plan gouvernemental d’action qui comprenait un volet sur la lutte contre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques sur Internet. Il annonçait souhaiter s’appuyer sur diverses instances, et étendre les pouvoirs du CSA sur les réseaux sociaux, les jeux vidéo et la pornographie en ligne, afin de contrôler les « contenus qui peuvent conduire à la violence contre les femmes ». Un groupe de travail est en cours au ministère de la santé.
Si cette prise de conscience que la pornographie violente gravement les enfants et les femmes est salutaire, elle doit aussi prendre en compte le fait qu’elle dégrade les hommes.