Un comité d’experts de l’Académie Nationale des Sciences (NAS) et de l’Académie Nationale de Médecine a rendu public un rapport assorti de recommandations sur l’utilisation des techniques de modification du génome humain, ouvrant la porte à leur application très controversée sur les embryons et les gamètes humains (les cellules dites « germinales »).
A ce jour, cette pratique sur la lignée germinale, en vue de faire naître des enfants, n’est pas autorisée aux Etats-Unis. C’est également le cas en France et dans beaucoup d’autres pays du monde. En revanche, la Chine, la Suède et la Grande-Bretagne ont commencé à travailler sur les embryons humains in-vitro, à titre expérimental. Aucun enfant « génétiquement modifié » par cette technique ne serait né, à ce jour.
Ce rapport, même s’il tente d’appeler à la prudence, suggère que la modification de gènes portant sur les cellules reproductrices ou l’embryon humain « ne devrait être permise que pour traiter ou prévenir des maladies graves », selon une procédure très encadrée.
Le comité a passé en revue les grands champs d’application de ces techniques en formulant des recommandations pour chacun :
– La recherche stricto sensu sur les cellules somatiques, embryonnaires ou les gamètes : les règles déjà utilisées pour ce type de recherche doivent continuer à s’appliquer, selon le comité. Les experts avancent que cette recherche est nécessaire pour la fertilité et la reproduction humaine, sans conséquence sur la transmission à des générations futures. Le comité reconnaît que cela pourrait donner également des indications pour des applications futures de modifications génétiques transmissibles. Cette dernière mention montre que la recherche en elle-même pose des questions éthiques très sérieuses.
– L’utilisation pour traiter des patients atteints de maladies génétiques héréditaires, dégénératives, ou des cancers : dans la mesure où les modifications génétiques ne sont pas transmises aux générations futures, les questions soulevées sont principalement liées à l’innocuité de cette technique. Cependant, le comité recommande que les modifications génétiques ne puissent être entreprises que pour traiter la maladie en cause ou la prévenir, et pas pour d’autres objectifs non thérapeutiques. En juin 2016, le National Institute of Health a donné son feu vert à des scientifiques de l’Université de Pennsylvanie pour utiliser la technique CRISPR-Cas9 pour le traitement de cancers.
– La modification génétique des gamètes et des embryons humains, transmissible aux générations futures : jusque-là interdite, cette pratique pourrait être autorisée sous conditions, selon le comité, pour permettre de réaliser certains essais cliniques. Ceux-ci seraient possibles en l’absence de « solution alternative raisonnable » et s’il a été « démontré de façon convaincante » que les gènes modifiés soient bien la « cause » ou « prédisposent fortement » les personnes à cette maladie. Le comité propose de garder une interdiction stricte pour tout autre objectif non thérapeutique, par exemple pour améliorer les performances ou choisir des traits spécifiques de l’enfant qui naîtrait. Selon Alta Charo, professeur de droit et de bioéthique à l’Université du Wisconsin-Madison et co-présidente du comité qui a dirigé cette étude : « la manipulation du génome pour seulement améliorer les traits physiques ou les capacités suscitent des inquiétudes sur le fait de savoir si les bienfaits sont supérieurs aux risques et si cette technique pourrait n’être accessible qu’à un petit nombre de personnes privilégiées ».
La spécialiste en biotechnologie, Marcy Darnovsky, directrice du “Center for Genetics and Society”, un groupe américain de surveillance en génétique, s’inquiète : « Bien que le rapport appelle à la prudence, cette recommandation constitue en fait un feu vert pour procéder à une modification du patrimoine héréditaire humain en modifiant des gènes et des traits qui seront transmis aux futures générations ».
La technologie d’édition génétique évoluant très rapidement, nombreux sont les chercheurs, scientifiques, organismes internationaux, etc., à alerter sur les potentielles dérives de son application. Ainsi, le Comité international de bioéthique de l’Unesco a appelé en octobre 2015 à un moratoire sur les techniques de modification de l’ADN des embryons humains et des cellules reproductrices humaines. Et le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) a publié un rapport sur la modification du génome en avril 2016, soulignant la gravité des enjeux et demandant une prise de conscience des politiques et une implication de la société civile sur ce sujet.
qui a déjà alerté sur les risques de dérives de manipulation génétique sur les cellules reproductrices et les embryons humains, notamment au travers de la campagne STOP Bébé OGM : « Cet avis est la porte ouverte à toutes les dérives. L’Europe a un rôle essentiel à jouer pour contrebalancer ce type d’avis : le rapport « Etres humains génétiquement modifiés » en cours de préparation au Conseil de l’Europe exige la vigilance des parlementaires de tous les pays européens. »
Cet avis survient alors que la guerre des brevets fait rage sur la technique CRISPR-Cas9 de modification génétique, avec à la clé des perspectives financières très importantes.